Correspondant aux actes de journées d’études qui ont eu lieu en avril 2009, augmentés de deux contributions supplémentaires, cet ouvrage entend explorer la notion de médiation culturelle et politique appliquée au contexte de l’Empire romain. Après une introduction d’A. Gangloff, qui définit brièvement cette notion, notamment en lien avec la théorie des transferts culturels, l’ouvrage s’organise en trois parties, réunissant chacune quatre à cinq articles.
La première partie, « Voyages et médiations », s’ouvre sur deux figures incarnant la pluralité culturelle de l’Empire. A. Billault examine les réactions de Lucien, Syrien hellénisé voyageant dans l’Empire romain, au contact de cultures étrangères, à partir de prologues de ses Tmuvres qui le mettent en scène remontant le cours de l’Éridan, se faisant commenter par un Celte un tableau d’Héraclès ou donnant une conférence en Macédoine. M.-Fr. Baslez propose ensuite une lecture des épîtres de Paul de Tarse, « passeur de cultures » revendiquant un triple héritage grec, juif et romain, et fait l’hypothèse que les réseaux de clientèle romaine ont influencé la représentation de l’espace de l’apôtre, tandis que le modèle des associations professionnelles et cultuelles a joué un rôle dans sa conception des relations humaines, en particulier par le biais de la notion de fraternité. A. Gangloff consacre quant à elle une étude aux épigrammes grecques gravées sur la statue du Colosse de Memnon à Thèbes d’Égypte. Elle s’intéresse au milieu que forment les poètes hellénophones connus à travers ces inscriptions et conclut qu’au sein de ce groupe hétérogène, tant par ses origines géographiques que par ses motivations à écrire sur le Colosse, seuls deux individus (Achilleus et Iulia Balbilla) ont joué un rôle de médiateur culturel, en proposant à travers leurs poèmes une cohabitation ou une synthèse entre les cultures grecque et égyptienne. Pour clore cette première partie, deux articles se penchent sur d’autres catégories de voyageurs, bien spécifiques. M. Molin étudie les déplacements des administrateurs civils et militaires de l’empire : il propose une estimation du nombre de sénateurs, chevaliers, officiers supérieurs romains voyageant chaque année pour rejoindre ou quitter leur poste dans les provinces, ainsi que des remarques sur les modalités pratiques de leurs déplacements, sur leur origine et leur nécessaire bilinguisme (grec et latin). Enfin, O. van Nijf s’intéresse aux associations d’artistes et d’athlètes et à leur rôle de médiateurs, à la fois dans le transfert culturel que représente la diffusion des concours grecs et dans le transfert politique que ces associations opèrent en reprenant certains concepts-clés de l’idéologie impériale, comme celui que traduit le terme oikoumenikos.
La deuxième partie, « Médiateurs et gestion de conflits », propose une réflexion sur la spécificité de la médiation en contexte conflictuel. E. Parmentier, commentant plusieurs conflits qui ont impliqué Hérode le Grand et Nicolas de Damas et ont opposé tour à tour la cité d’Ilion à Agrippa, les communautés juive et grecque d’Ionie, puis le roi de Judée lui-même à ses héritiers, souligne ainsi ce qui différencie le médiateur de l’arbitre : au lieu de la neutralité, on recherche en lui une égale proximité avec les deux parties, et on lui demande d’aider à renouer le dialogue plutôt que de rendre une sentence. Cette conclusion rejoint de manière frappante celle de Fr. Barone, qui examine, à la fin de la deuxième partie, les usages du terme mésitès dans l’œuvre de Jean Chrysostome et la figure du Christ comme médiateur entre Dieu et les hommes – capable de rétablir la communication entre eux car étant à la fois homme et Dieu. Entre ces deux articles qui se font écho par-delà la différence de contexte, on trouve une étude de C. Bost-Pouderon sur les sophistes et hommes de lettres grecs en tant qu’intermédiaires entre les cités et le pouvoir impérial, à partir de passages de Dion de Pruse, Plutarque et Épictète, puis une étude de B. Puech sur la puissance médiatrice prêtée par Thémistios à la paideia, seule capable de promouvoir un universalisme fondé sur le respect des diversités religieuses et culturelles, dans le contexte des conflits militaires ou doctrinaux de l’Empire chrétien.
Dans la troisième partie, « Les limites de la médiation », sont envisagés des cas où la médiation culturelle ou politique, bien que possible voire attendue, n’a pas eu lieu, ou a eu lieu de manière incomplète et/ou tardive. E. Perrin-Saminadayar développe d’abord l’idée d’un « malentendu culturel » entre Grecs et Romains lors des séjours de ces derniers à Athènes au cours des II e et I er s. av. J.-C. Distinguant différents types de séjours (simple étape sur la route d’un promagistrat en route vers sa province, séjour d’études, exil), il souligne dans tous les cas le faible degré d’intégration de ces Romains à la société athénienne et les contresens qu’ils commettent dans leur analyse des pratiques locales (telles que l’apantèsis ou les mystères d’Éleusis). É. Guerber, se fondant sur le livre X de la Correspondance de Pline le Jeune, cherche à établir le statut exact de Pline en tant que légat impérial, puis celui des lettres de Trajan (qu’il convient de considérer comme des rescrits, peut-être assimilables à des mandata) et enfin celui de la colonie d’Apamée-Myrléa, dont Pline souhaite contrôler les comptes (ce qui pose la question du degré d’autonomie des colonies dotées du ius Italicum, ici jugé inférieur à celui des cités libres). Dans cette contribution, la notion de médiation n’apparaît même pas, l’empereur étant d’emblée décrit comme un décideur et un arbitre. Les deux derniers articles apportent, sur des sujets moins connus, des réponses plus nuancées à la problématique de l’échec de la médiation. M. Pardon-Labonnelie se demande dans quelle mesure les cachets à collyres – ces pierres servant à imprimer sur les « pilules romaines » que sont les collyres de courts textes s’apparentant à des notices médicales – ont pu contribuer à la circulation des savoirs pharmacologiques à travers l’empire et jouer ainsi un rôle de médiation culturelle. Elle conclut au caractère restreint de cette médiation, qui ne sort pas des cercles professionnels et est encore limitée par la volonté de garder le secret des préparations, dans un contexte de concurrence commerciale. Le dernier article, de M. Popescu, est consacré au culte de Jupiter Dolichenus et à sa diffusion dans l’armée romaine. Ce culte originaire de Commagène est d’abord adopté par des légionnaires de Trajan déplacés en Orient pour combattre les Parthes, avant de se répandre, à partir des Sévères, à tous les niveaux de l’institution militaire partout dans l’empire, sans pour autant acquérir le statut d’un culte officiel de l’armée. L’auteur concentre son étude sur une série de huit inscriptions provenant des provinces danubiennes (dont le texte est donné en annexe avec des photos ou des facs-similés), qui mentionnent des prêtres de Jupiter Dolichenus.
Malgré les conclusions d’A. Gangloff, qui tente de nouer des fils entre les différentes contributions et d’en dégager les particularités des actions de médiation et des figures de médiateurs dans l’Empire romain, l’impression dominante à la lecture de ce volume est celle d’une trop grande dispersion des thèmes et des sujets traités. La notion de médiation s’avère si plastique qu’elle peut être appliquée aux objets les plus divers – et l’est parfois ici de manière assez artificielle. Une réflexion commune plus poussée aurait été nécessaire pour unifier les approches et les questionnements. On constate également que la plupart des contributions, sans doute parce qu’elles mettent en forme des communications orales limitées dans le temps, sont brèves (une dizaine de pages, parfois moins), ce qui cantonne les auteurs à des études de cas très circonscrites ou à des synthèses très générales. Malgré ces réserves, l’ouvrage offre d’utiles éclairages sur de nombreux sujets, et chacun pourra en tirer profit en fonction de ses centres d’intérêt.
Anna Heller