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Paul Goukowsky continue inlassablement la publication d’Appien dans la CUF. Après le premier volume des Guerres civiles (2008), il revient aux guerres étrangères et fournit dans cet ouvrage ce que Photius classe dans le volume IX, les guerres de Macédoine, auquel l’auteur ajoute à juste titre, semble-t-il, ce qui devait lui être un appendice (cf. p. 125), le Livre Illyrien, mais qui ne nous est parvenu dans son intégralité que parce qu’il a été ajouté aux manuscrits des Guerres civiles. L’association primitive des deux récits s’explique certainement par la proximité géographique qui a conduit Appien à les traiter ensemble, mais la transmission des textes les a séparés et ne nous a restitué du Livre Macédonien qu’une vingtaine de fragments disparates.

Dans cet ouvrage, P. Goukowsky utilise donc, pour la première partie, la méthode traditionnelle de la CUF et se charge, en philologue chevronné qu’il est, de l’établissement du texte et de la traduction, tout en sollicitant le concours de P. Cabanes, éminent spécialiste de l’Illyrie, pour le commentaire géographique et historique, tandis que, pour la deuxième, il se livre à une prudente collation de la vingtaine de fragments épars dans les traités byzantins autour des trois « guerres de Macédoine » menées par les Romains, entre 215 et 169 avant J.-C., contre Philippe V et Persée, fragments que l’auteur traduit et commente en les comparant avec les autres sources, malheureusement souvent tout aussi fragmentaires, que nous possédons (Tite-Live, Polybe, Diodore, Dion Cassius).

Le livre Illyrien débute par une présentation géo-ethnographique de l’Illyricum. Appien, après avoir rappelé les fondateurs légendaires de ces peuples, s’efforce de tracer les contours d’une région mal connue des Grecs à laquelle les Romains ajoutent en outre des populations alpestres et danubiennes. Suit le récit de la première guerre d’Illyrie pour laquelle, à défaut de Tite-Live, nous disposons aussi des témoignages de Polybe et de Dion Cassius. En revanche, pour la guerre d’Istrie (221 avant J.-C.), seuls Appien et Zonaras (= Dion Cassius) mentionnent le rôle joué par l’aventurier Démétrios de Pharos qui, semble-t-il, permet la victoire des Romains. La deuxième guerre d’Illyrie (vraisemblablement entre 220 et 219) met fin aux activités de ce personnage qui se réfugie auprès de Philippe V de Macédoine. L’historien reprend ensuite un certain nombre d’interventions romaines dans ces régions au cours des IIe et Ier siècles avant notre ère jusqu’aux expéditions d’Octavien et de ses légats, correspondant aux années 35 et 34 qui sont rapportées également par Dion Cassius (livre 49) et sur lesquelles Appien s’attarde avec complaisance. Le traitement plus ethnographique que chronologique entraîne l’historien dans de rapides sauts dans le temps comme pour les Mysiens (dernière phrase du chapitre XXX) où il passe de Lucullus à Tibère !

Ce livre Illyrien, avec ses imperfections soulignées par P. Goukowsky dans l’introduction, ne doit sa survie que parce qu’il fut séparé du Macédonien et rattaché par les Byzantins à la fin du livre V des Guerres Civiles, comme en témoignent plusieurs manuscrits du XVe siècle. P. Cabanes fournit une bibliographie complète sur la question et les notes éclairent les questions textuelles aussi bien que géo-ethnographiques et établissent des comparaisons intéressantes avec les autres sources en notre possession.

Tout autre est la reconstitution philologique du Livre Macédonien, puisque ce sont les Extraits Constantiniens qui fournissent de façon éparse (huit dans le de legationibus gentium, trois dans le de virtutibus et vitiis etc.) et discontinue des fragments de longueur très variable (d’une ligne à cinq pages) rassemblés ici par P. Goukowsky, sinon pour la première fois, du moins pour la première fois avec une traduction française. L’intérêt de ces fragments n’est pas des moindres : aucun récit continu n’est fourni par d’autres sources pour les mêmes événements et le point de vue d’Appien apparaît comme, sinon résolument favorable à Philippe V, puis à Persée, du moins sensiblement différent des versions romaines traditionnelles et dénonçant cette propagande négative acharnée, illustrée par une inscription delphique citée et analysée par P. Goukowsky dans sa notice (p. 137-150). Cette inscription est supposée être une lettre adressée aux Delphiens (ou aux Amphictyons) par P. Licinius Crassus pour discréditer le jeune Persée. Outre l’intérêt historique évident présenté par ces fragments, nous bénéficions aussi du témoignage d’un historien de langue grecque qui prend ses distances avec la tradition romaine sans que l’on puisse le créditer de sources pro-macédoniennes et semble finement décrypter par exemple la conduite du roi de Pergame, Eumène, auquel il oppose un discours reconstitué des ambassadeurs macédoniens dans le long fragment 11 (de legationibus gentium 35), qui peut être retenu comme un passage littérairement fort réussi.

Il s’agit donc là d’un volume un peu disparate quant à la méthode et quant aux résultats, mais il concerne des livres d’Appien qui auraient pu disparaître complètement et permet de les donner à lire, même de façon fragmentaire, aux érudits curieux du passé lointain de ces régions balkaniques dont les conflits récents n’auraient sans doute pas étonné outre mesure l’historien du II e siècle de notre ère.

Marie-Laure Freyburger-Galland