Cet ouvrage issu d’une thèse de doctorat soutenue à Padoue en 2004 se propose d’étudier l’émigration de l’Italie du Sud vers la Méditerranée orientale du VI e au I er s. a. C. Il se fonde sur un recensement des sources littéraires et épigraphiques (y compris les inscriptions amphoriques et ostraka), en ne retenant que les noms de personnages dont l’ethnique est clairement indiqué. Michela Nocita se démarque ainsi de ses prédécesseurs en refusant de parier sur l’origine géographique de tel ou tel gentilice, et donc en limitant son étude aux noms grecs. Elle s’intéresse également aux raisons de l’émigration, qui ne se réduisent pas au commerce, ainsi qu’au statut social des personnages concernés et aux relations qu’ils entretenaient avec leur cité d’origine. Elle n’envisage pas l’émigration en tant que phénomène collectif mais au niveau individuel, son objectif premier étant de créer un catalogue prosopographique.
Après une introduction (p. 11-17) qui rappelle brièvement l’état de la question et explique les critères de sélection des testimonia, M.N. propose (p. 23-164) une étude de l’implantation des Italiotai et Italikoi dans différentes zones géographiques (Attique, Péloponnèse, Béotie, Phocide, régions nord-occidentales, régions nord-orientales, Délos, Rhodes et Cos, autres Cyclades et Sporades méridionales, Eubée, Asie et Samos, Égypte et appendice sur la Crète). Pour chaque région, elle dresse un tableau récapitulatif des testimonia (date, référence à la source littéraire ou épigraphique, nom, ethnique, activité et lieu d’implantation de chaque individu), ainsi qu’une synthèse plus ou moins longue des données dans l’ordre chronologique. Les conclusions (p. 165-181) soulignent les principaux acquis de la recherche et s’intéressent aux groupes ethniques les plus diffusés en Orient (Tarentins, Éléates et Crotoniates), puis aux catégories professionnelles des Italiotai et Italikoi (avec un court appendice sur les femmes et les éphèbes p. 183-184). Suivent une carte des principaux lieux d’arrivée, de départ et de fréquentation (p. 186-187), le catalogue prosopographique (p. 189-272) qui recense un peu plus de 300 individus (nom, datation, commentaire, source et bibliographie), une bibliographie (p. 273-294) et des indices des ethniques et patronymes (p. 294-303).
L’intérêt du sujet est indéniable et c’est la première fois qu’une synthèse relative à l’émigration du Sud de l’Italie, avec une fourchette chronologique et une zone géographique aussi larges, nous est proposée. Paradoxalement, c’est cette ampleur de vues qui nuit au résultat final. Au fil de la lecture, on trouve de nombreuses informations ponctuelles intéressantes mais on reste souvent sur sa faim. Ainsi, certaines régions apparaissent très pauvres en testimonia et on s’étonne, pour ne citer que deux exemples, de ne trouver que cinq individus dans le chapitre « Asie Mineure et Samos » et douze (dont neuf proxènes) dans les « Autres Cyclades et Sporades méridionales ». Il en est de même pour les activités professionnelles, sur lesquelles les sources – M. N. le souligne elle-même – sont souvent peu prolixes : le fait que des individus issus de telle ou telle cité d’Italie du Sud aient été, qui astronome, qui athlète, qui banquier ou marchand d’huile ne permet de reconnaître aucune spécificité à l’émigration de cette région. On est encore plus gêné par l’utilisation des termes Italiotai et Italikoi dans le titre et dans l’ouvrage. En premier lieu, leur sens n’est nulle part précisé : il est aisé de comprendre que les Italiotai (également appelés Magnogreci dans les tableaux) sont issus des cités grecques d’Italie du Sud mais ce n’est que grâce à la carte géographique que l’on comprend la diffusion exacte des Italikoi étudiés, qui exclut le centre et le Nord de la botte italienne (notons que certains ethniques comme Brentesinos sont rangés tantôt parmi les Magnogreci, tantôt parmi les Italikoi et ce sans lien avec l’histoire de la cité). Or cet emploi restrictif n’empêche pas l’auteur d’ajouter à son catalogue des personnages qui portent pour ethnique Italos, Italiotis ou Italiotas, sans qu’on connaisse leur origine exacte. Bien plus, à Délos où oi Italikoi est le nom d’une association regroupant des Romains, des Grecs de Grande-Grèce et de Sicile, des Italiques et des Orientaux citoyens de Grande-Grèce (notamment le fameux Philostrate d’Ascalon devenu Napolitain), M. N. tend à utiliser les sources comme si elles ne concernaient que les Italiotai et Italikoi de l’Italie du Sud (p. 115 sq). Signalons aussi que dans l’ensemble de l’ouvrage, elle glisse souvent d’une étude des individus à celle des « groupes ethniques », dont la définition reste floue : ainsi à Rhodes (p. 139) conclut-elle à l’ « équilibre numérique » entre la (supposée) communauté des Italiotes et celle des Italiques à partir de treize noms répartis sur plusieurs siècles. On remarquera pour terminer que la bibliographie ne semble pas avoir été mise à jour après la soutenance, l’immense majorité des références étant antérieure à 2003 (ce qui nuit notamment aux développements sur les Italici de Délos). Un index thématique et un index des sources auraient également été bienvenus. Il n’en reste pas moins que cet ouvrage sérieux et documenté, qui propose un riche catalogue prosopographique, sera très utile à tous ceux qui s’intéressent à l’Italie du Sud et à l’émigration italienne vers la Méditerranée orientale.
Claire Hasenohr