Cet ouvrage fait suite à un précédent volume[1]. Les deux livres sont issus de deux colloques tenus dans les universités respectives des deux organisateurs. On saluera au passage la rapidité de la parution, qui n’a rien cédé à la qualité de l’édition. Sur les 300 pages que compte l’ouvrage, le lecteur attentif ne repérera que quelques coquilles (p. 48 : “inquiété” pour “inquiétés”, p. 115 : “à” de l’expression “à l’avenir” manquant, p. 144 : “inclu” pour “inclus”, p. 219 : “Quinctus” au lieu de “Quinctius Flamininus”, p. 251 : un article manquant devant “victoire”, A. Béranger pour Bérenger, p. 291 et 293). Certains choix orthographiques ou lexicaux assumés tout du long – comme Sénat, Empire, Italiens ou naturalisation – relèvent du parti-pris éditorial, même s’ils peuvent faire l’objet de discussions. Enfin, le recours systématique, quand cela est nécessaire, à des renvois internes donne à la réalisation une impression de cohérence générale qui fait que plus qu’à la simple publication d’actes, on a affaire à l’édition d’un vrai livre. L’objectif de cette suite est affiché dès le début de l’introduction (p. 7-12) : mieux connaître la praxis gouvernementale d’époque républicaine, dans le sillage des travaux d’E. Hermon, déjà vieux de 20 ans à l’époque, qui ont servi de boussole aux concepteurs de la rencontre. La part croissante prise par l’épigraphie dans le renouvellement de la connaissance de la période est soulignée par le nombre de contributions qui y font référence ou s’appuient presque exclusivement sur cette documentation en dépit d’un déséquilibre prononcé en faveur des provinces orientales. Cette dissymétrie est justement contrebalancée par la volonté de « casser certaines coupures académiques traditionnelles (p. 12) » en rapprochant autour d’une même thématique des aires géographiques variées et peu fréquemment juxtaposées.
L’ouvrage s’organise en quatre parties. La première intitulée « L’exercice de l’imperium et du droit d’auspices des gouverneurs au cœur des sociétés provinciales » est riche de trois études dont la seule en langue anglaise qui ouvre le volume. Des trois principales fonctions dévolues aux gouverneurs d’époque républicaine – militaire, judiciaire et fiscale – J. R. W. Prag (p. 15-28) a décidé de s’arrêter sur deux aspects moins bien connus de la première qui est encore, à l’époque, leur activité principale comme le rappelle l’auteur p. 22 : « …in this regard the provincial governor occupies a role equivalent to that of the consul at Rome, both overseeing recruitment and leading the subsequent campaign ». Il choisit d’évoquer la levée de troupes auxiliaires sous le contrôle du gouverneur – opération moins souvent attestée par les sources, mais bien visible en filigrane – ainsi que les honneurs qui leur sont rendus comme à leurs officiers. L’auteur constate l’organisation sur place de rares triomphes ou l’érection de trophées sur le champ de bataille qui permettaient de satisfaire les populations ainsi mobilisées.
En tant qu’ex ou futurs magistrats, les gouverneurs provinciaux jouaient également un rôle religieux, méconnu ou négligé des historiens que rappelle L. Guichard (p. 29-52) qui en recense, grâce à une étude documentée, les diverses implications essentiellement militaires et civiles. Ces fonctions se manifestent en temps de guerre par la formulation de vœux ratifiés a priori et le cas échéant a posteriori par le sénat ou le recours, dans une moindre mesure, aux rites de la deuotio associée ou non à l’euocatio qui évolue vers l’adoption locale des divinités indigènes. La prise en compte des présages, y compris quand leur interprétation est à l’avantage du commanditaire, reste une figure imposée de la routine gouvernementale. La remarque est d’importance car la pratique est annonciatrice de comportements de l’administration dont les représentants n’hésitent pas à intégrer dans leur « panthéon » personnel des dieux rencontrés au cours de leur carrière. L’action des gouverneurs se devait donc normalement de respecter le ius gentium et la pietas erga deos. En matière civile, l’activité religieuse des gouverneurs pouvait ne pas être négligeable même si le sénat exerçait également un contrôle. On observe néanmoins que le poids de ce dernier est inversement proportionnel à celui des Imperatores des guerres civiles qui maintiennent ou transgressent les privilèges des communautés à leur guise.
Avec un sens aigu de la formule, qu’elle lui soit propre (« la place laissée vacante par la royauté est un habit mal taillé pour l’émissaire de Rome » p. 54, « une grammaire des honneurs inadaptée ») ou qu’elle soit empruntée (« Grecs et gouverneurs : “une indifférence polie” p. 56), R. Bouchon s’interroge, p. 53-74, sur la transition entre époque royale et romaine en adoptant le point de vue des communautés de Grèce balkanique. La documentation suggère plutôt une relation en pointillé avec les autorités romaines, soit à cause de témoignages réellement ponctuels, soit en raison de la présence par éclipses des représentants de Rome. Les guerres civiles sont déjà identifiées comme une période d’accélération : à cette époque, la compétition entre Imperatores transforme les émissaires romains en véritables évergètes, dignes successeurs des monarques. Dans l’ensemble donc, du tableau impressionniste brossé par les sources, se dégage la reconnaissance d’un nouvel équilibre, en faveur de Rome. L’étude qui suit fournit une habile transition à la deuxième partie (« le sénat, le gouverneur et les cités provinciales »).
H.-L. Fernoux, p. 77-99, s’y pose aussi, pour l’Asie, la question de la rupture ou de la continuité par rapport à la période monarchique. La domination romaine privait, on le sait, les cités de toute intervention en matière de politique extérieure. Ne leur restait plus que la possibilité d’envoyer des ambassades à Rome même si leur marge d’action était ténue et soumise au bon vouloir de Rome. C’est à cette activité diplomatique de plus en plus encadrée et pourtant intense des cités d’Asie, que s’intéresse l’auteur, à l’aune de l’arsenal législatif mis en place au Ier s. a. C. et dont certains aspects ont été récemment mis en lumière (comme la lex Cornelia de 85 a. C.). Ce nouvel environnement ne bouleversa cependant pas le comportement de ces cités. Dans la pratique, les nouvelles contraintes censées tarir les sources de corruption et limiter, pour des raisons fiscales, le recours aux délégations, étaient assouplies par des procédures dérogatoires accordées aux cités par rapport au calendrier de réception des ambassades et surtout par les événements du Ier s. a. C qui consacraient le libre arbitre des Imperatores avec lesquels des communautés avaient pu nouer des liens privilégiés. Malgré les restrictions mises à l’envoi d’ambassades, les cités n’ont pas voulu abandonner ce dernier symbole de leur « liberté ».
Deux éclairages occidentaux complètent cette enquête. P. 101-129, l’analyse de l’activité des gouverneurs dans la politique d’urbanisation permet à Nathalie Barrandon de poursuivre la recherche de l’origine d’un certain nombre de modifications apparues dans la péninsule Ibérique de la chute de Numance en 133 a. C. à la veille des guerres civiles de la seconde moitié du Ier s. a. C. En matière de développement urbain, l’archéologie livre régulièrement son lot de découvertes nouvelles. Les sources littéraires et épigraphiques permettent aussi d’identifier une dizaine d’interventions des gouverneurs en contexte exclusivement militaire ou de pacification. Le caractère ponctuel des actions sur un temps relativement long ne plaide cependant pas en faveur d’un programme établi en haut lieu, mais plutôt pour une éclosion urbaine spontanée, laissée à l’initiative des élites locales libres de consulter les autorités romaines. Dans ces conditions, l’image d’un empire Romain n’agissant que sur sollicitation de ses administrés révélée, il y a près de quarante ans par F. Millar[2], se dessinerait aussi pour la période républicaine.
En rouvrant aux pages 131-144, le dossier de la création des colonies latines à partir de la fondation de Carteia en 171 a. C., F. Beltrán Lloris, de son côté, insiste tout à la fois sur la proximité voire le mimétisme du passé républicain de la péninsule Ibérique avec l’Italie (p. 131 : « La politique de colonisation, que la République romaine avait appliquée avec de très bons résultats dans la Péninsule italique depuis la fin du IVe siècle, a connu de profondes transformations au début du IIe siècle : après un temps d’arrêt presque total jusqu’à la période des Gracques, elle a alors été reprise avec un caractère plus social que stratégique ») et sur son originalité (p. 132 : « l’exemple hispanique constitue donc une exception notable qui mérite d’être étudiée attentivement ») qui vit le transfert, aux Espagnes, de solutions politiques inventées pour elle avec une ampleur inégalée dans d’autres secteurs. Encore à propos de Carteia, l’auteur conclut d’ailleurs p. 137 que « la colonie établie pour résoudre un problème social concret devenait anormale par rapport à la tradition : installée dans un territoire provincial outre-mer, sans habitants romains d’origine et sans fondation au sens strict ».
Dans la discussion sur l’importance du phénomène colonial qui oppose “école espagnole” et “école allemande”, plus minimaliste, F. Beltrán Lloris évalue à une demi-douzaine le nombre des colonies latines hispaniques : outre Carteia, Corduba fondée entre 169 et 152 a. C., Valentia en 138, Palma et Pollentia vers 123, puis Saguntum et Carthago Noua dans les années 50[3]. L’auteur relève une autre innovation appelée à un grand avenir, l’absence de deductio qui a rendu possible l’intervention du gouverneur comme conditor à la place d’un collège triumviral.
Cl. Barat, p. 145-167, clôt le chapitre colonial par un contrepoint oriental, l’étude de la cité de Sinope à laquelle elle a déjà consacré de nombreux travaux. Elle insiste, elle aussi, sur le rôle des Imperatores et de leurs représentants dans la promotion du site, dans le nord de l’Anatolie. Son rang de capitale du Pont lui valut d’être une première fois attaquée par le gouverneur d’Asie avant que Lucullus, au début de la troisième guerre mithridatique, n’y mette le siège, en épargnant toutefois sa population. L’organisation pompéienne du Pont et Bithynie rattacha Sinope à la nouvelle province avec dix autres cités littorales. À cette occasion, il ne semble pas que Pompée lui ait retiré son statut de cité libre accordé par Lucullus, ni César plus tard, malgré la reprise temporaire de la cité par Pharnace jusqu’à ce que le dictateur décide de fonder sur place une colonie romaine en 45 a. C. C. Barat souligne avec pertinence l’absence de vocation militaire de ces établissements, bien que l’argument, en raison de sa facilité, ait souvent été convoqué à tort : « aucune organisation militaire ne survivait à l’intérieur d’une colonie » (p. 159). Au mieux pouvaient-ils servir de tête de pont à une expédition, comme celle (avortée) d’Agrippa, durant sa seconde mission en Orient, pour contrôler depuis Sinope la mer Noire et la menace parthe. L’ambiance grecque de la colonie se révèle dans la dédicace contemporaine, en grec, au gouverneur C. Marcius Censorinus, qualifié de protecteur ou de défenseur en raison des événements récents. Suivent alors des considérations sur la composition sociale de la colonie : Italiques ou Grecs d’origine, affranchis. L’auteur appelle enfin de ses vœux la poursuite des recherches à partir des témoignages archéologiques et épigraphiques de plus en plus abondants ou qui restent à découvrir.
L’avant-dernière partie consacrée aux relations entre « le gouverneur et les élites provinciales » confronte deux études et deux méthodes, la première couvrant un large spectre géographique à l’aide de nombreuses sources, la seconde s’attachant à un point précis de la praxis gouvernementale. Dans la première, p. 171-187, A. Bérenger offre un éclairage concret des relations entretenues sur le terrain entre le gouverneur et les élites politiques des cités. Elle montre que, contrairement aux apparences, le séjour du gouverneur n’était pas de tout repos car il devait veiller à se tenir à l’écart des accusations de favoritisme ou de collusion portées contre lui sauf quand l’individu était peu recommandable comme Verrès. On savait déjà qu’il ne pouvait intervenir dans une cité libre ni prendre femme sur place, mais les contraintes étaient beaucoup plus nombreuses et étendues. Comme souvent la théorie (celle d’un gouverneur accessible à tous) n’avait pas grand-chose à voir avec la pratique non seulement parce que les provinciaux eux-mêmes réclamaient une certaine solennité dans les rapports, mais aussi parce qu’elle limitait naturellement les occasions de rencontre à quelques événements comme la prise de fonction, les adventus, les tournées judiciaires ou d’inspection durant lesquelles les citoyens les plus en vue devaient le gîte et le couvert au gouverneur et à sa suite, les représentations théâtrales et les réceptions dans sa résidence qui reproduisait peut-être l’étiquette sénatoriale adoptée pour les salutationes à Rome.
Dans l’étude suivante (p. 189-203) qui fait accéder le public francophone à des conclusions déclinées sous d’autres formes ailleurs[4], F. Pina Polo propose un bilan sur la réalité des clientèles à l’époque républicaine. Son article intitulé « Les Cornelii Balbi de Gadès : un exemple provincial ? » (p. 189-203) va bien au-delà du cadre purement régional que suggère son titre. Plus de cinquante ans après les Foreign Clientelae de Badian qui semblait avoir définitivement réglé la question des clientèles, l’auteur relativise, à partir d’un exemple emblématique de la fin de la République, leur rôle rendu de toute façon incontrôlable par l’introduction du vote secret. Partant d’un constat déjà établi – le port par le gaditain L. Cornelius Balbus d’un gentilice qui n’est pas celui de Pompée, son bienfaiteur – F. Pina Polo réfute les diverses solutions avancées pour expliquer le phénomène et en tire la conclusion selon laquelle un client ne portait pas nécessairement le nom de son patron. Le parcours de Cornelius Balbus qui rejoignit ensuite le parti césarien confirme si besoin est que les liens n’étaient pas indéfectibles. La quatrième partie présente des études de cas. La galerie de portraits des gouverneurs commence, p. 207-230, avec celui que les auteurs – M.-Cl. Ferriès et F. Delrieux – qualifient d’antithèse de Verrès (« l’anti-Verrrès » p. 208), Q. Mucius Scaevola, le mentor de Cicéron. Les deux auteurs commencent par faire le point sur la date – longtemps discutée – de son séjour en Asie écourté à neuf mois. Outre les notations littéraires, ils retiennent six témoignages épigraphiques de nature et de provenance variées, relatifs à Scaevola ou à sa famille, qui illustrent le large rayon d’action du gouverneur qui dépassait le cadre de sa province. Un ensemble documentaire de trois fragments découverts à Pergame, parmi lesquels une lettre émanant de Scaevola en personne (dont la traduction en français est donnée par les auteurs p. 217) fait connaître l’arbitrage d’un conflit entre deux cités par le choix d’un médiateur indépendant originaire d’une autre communauté à l’occasion des Moukieia institués de manière inédite pour un gouverneur. Le recours à la justice locale s’impose comme la « marque de fabrique » de Scaevola, de même que la chasse aux publicains corrompus. Il est vraisemblable que le procès retentissant intenté à son légat, P. Rutilius Rufus, fut la conséquence à la fois de cette intransigeance et du climat délétère qui régnait à l’intérieur des tribunaux romains. Les chambres de repetundis rétrocédées aux chevaliers depuis la réforme de 104 a. C. ne faisaient pas de quartier aux sénateurs dont certains, en réaction, avaient à cœur de prouver leur probité. D’où l’émergence dans les années quatre-vingt-dix de figures incorruptibles, tel Scaevola. Mais les auteurs insistent aussi sur le fait que le gouverneur comme son légat ont dû faire les frais des oppositions entre partisans de Marius et membres de l’oligarchie. L’arme de la vertu (p. 226-230) s’avérait alors à double tranchant.
De son côté, aux pages 231-248, J. France revient sur « un cas à part » (p. 247), Verrès, le gouverneur de Sicile. Nombreux sont les historiens séduits par sa réhabilitation. L’auteur lui-même cède à la tentation avant d’y renoncer devant le caractère accablant des charges : « De fait, bien des éléments militent pour sa culpabilité et font qu’il est sans doute vain de vouloir réhabiliter Verrès, soit parce qu’il était forcément coupable, soit parce que, de toute façon, le caractère exclusivement à charge du dossier réuni contre lui rend impossible de démontrer les contraire » (p. 246). L’auteur reprend les pièces à conviction réunies par Cicéron pour en extraire particulièrement deux chefs d’inculpation liés à la fiscalité (de la Sicile), son thème de prédilection. Première accusation : le détournement de biens publics, le moins fondé semble-t-il après la rétractation de la société des publicains chargée de rétribuer une partie du « blé réquisitionné » (frumentum imperatum) par versement d’une somme allouée annuellement par le sénat sur laquelle Verrès aurait prélevé un intérêt. L’accusation la plus grave et la plus solide, sur laquelle Cicéron s’étend d’ailleurs complaisamment, consistait dans le refus du blé versé par un certain nombre de cités sollicitées dans le cadre de la loi Terentia Cassia de 73 a. C. et l’exigence en contrepartie d’argent pour l’achat de grains de substitution à un prix supérieur à celui fixé par le sénat. C’était une double peine qui s’appliquait alors aux cités siciliennes incapables d’écouler leur production à un tarif subventionné et obligées de verser une somme plus élevée que le produit de la vente. La fuite de Verrès qui n’entendit pas la plaidoirie (pas plus que les juges eux-mêmes semble-t-il) est au pire l’aveu de sa culpabilité, au mieux celui de l’efficacité grandissante de la justice romaine. Dans la lignée de ses travaux et au-delà du « cas » Verrès, ce que cherche sans doute à percevoir J. France, c’est déjà le lent mouvement de réforme et d’assainissement de la fiscalité romaine d’époque républicaine qui assura le passage d’un impôt contraint (le lexique cicéronien du recouvrement appartient au registre de la coercition : « imperare, exigere, sumere » p. 233) à une contribution acceptée et acceptable sous l’Empire.
La personne de P. Servilius Isauricus, gouverneur d’Asie entre 46 et 44 a. C., dessine une figure intermédiaire du gouverneur, p. 249-272. Reprenant le corpus documentaire qui atteste sa popularité (témoignages épigraphiques notamment sur le droit d’asylie des sanctuaires, des lettres de recommandation de Cicéron, enfin des notations de Flavius Josèphe), le second éditeur, F. Kirbihler, tente de faire la part entre les initiatives personnelles et la politique d’inspiration césarienne dont le gouverneur était un fervent partisan et un serviteur dévoué (« en effet, il passait pour être une de ses créatures » p. 250). Sa fidélité au dictateur transparaît dans le choix de le placer à la tête de la province, peut-être à la suite d’une procédure extra sortem, puis dans son application zélée de la loi Iulia de prouinciis en Asie. « Le dossier des asylies des sanctuaires constitue une des principales attestations du travail de réorganisation d’Isauricus (p. 264) ». Le gouverneur ne fit pas non plus preuve d’une imagination débordante dans son traitement puisqu’il suivait les mesures de César qui avait confirmé les privilèges religieux de Sardes, Aphrodisias ou Milet. L’inventaire des charges et des statuts civiques ou individuels relevait d’une politique plus large visant à mieux faire accepter la domination romaine.
Enfin, c’est tout naturellement que P. Goukowsky, traducteur d’Appien, se penche, dans les dernières pages du volume, sur un recueil mal connu et souvent rangé au rayon des ouvrages apocryphes, peut-être à tort, les Lettres grecques de M. Brutus attribuées sans preuve au césaricide et rédigées à l’intention des cités prises en étau entre partisans et opposants du défunt César. Ces lettres jouissaient d’une grande célébrité dans l’Antiquité car Brutus passait pour exceller dans le genre épistolaire. Le roi de Commagène, Mithridate II, pourrait être à l’origine du recueil constitué pour son cousin, le futur Mithridate III, dans un but d’édification. D’ailleurs sur les 45 lettres réunies et accompagnées de réponses fictives, Plutarque, dans la vie de Brutus, en retenait trois, les plus emblématiques du point de vue de la philosophie morale qui consacrait le primat de la raison dans la conduite des affaires civiques.
L’ouvrage se referme sur une conclusion de J.-M. Roddaz, p. 291-295, qui est déjà à elle seule une recension du présent volume. Avec une nette prédilection pour les témoignages hispaniques (l’auteur insiste sur l’éclairage de documents canoniques pour l’époque républicaine comme le décret d’Asculum, p. 292-293 ou l’arbitrage de Contrebia Belaisca, p. 294), il privilégie quatre axes majeurs autour desquels la réflexion des contributeurs s’est organisée : « l’adhésion et la participation des populations autochtones, notamment de leurs élites » (p. 292), « la position du gouverneur comme intermédiaire entre les provinciaux et Rome » (p. 293), les fonctions fiscales et religieuses du gouverneur (p. 294) et pour finir, la richesse du corpus cicéronien (p. 295).
Conçu dans l’ambiance stimulante d’une précédente question de concours[5], l’ouvrage, qui propose à maints égards des approches renouvelées ou des approfondissements, a l’avantage, grâce à son érudition vivante, de se lire agréablement. Si le livre s’adresse à un large public universitaire, d’enseignants et d’étudiants, son contenu, dont l’actualité est réactivée par la question d’histoire romaine en cours au Capes et à l’Agrégation[6], bénéficiera encore une fois aux préparateurs et aux candidats.
Sabine Armani, Université Paris-13 Sorbonne Paris Cité
mis en ligne le 10 septembre 2015.
[1] N. Barrandon, F. Kirbihler dir., Administrer les provinces de la République romaine. Actes du colloque de l’Université de Nancy II (4-5 juin 2009), Rennes 2010.
[2] The Emperor in the Roman World, 31 BC-AD 337, 1977.
[3] En ce qui concerne Carthagène, une fondation (post)césarienne est également avancée : L. Amela Valverde, « Precisiones al recientemente descubierto epígrafe de Cn. Pompeyo Magno en Carthago Noua », ETF 25, 2012, p. 191-206.
[4] Par exemple : F. Pina Polo, Generales y clientelas provinciales : ¿ qué clientelas ? dans J. Santos Yanguas, G. Cruz Andreotti éds, Romanización, fronteras y etnias en la Roma antigua : el caso hispano, Revisiones de Historia Antigua, VII, 2012, p. 55-79.
[5] Rome et l’Occident, IIe siècle av. J.-C. – IIe siècle apr. J.-C.
[6] Le monde romain de 70 av. J.-C. à 73 apr. J.-C.