Cet ouvrage collectif trouve son origine dans une rencontre internationale organisée en 2012 par le laboratoire AnHIMA. Il comporte onze chapitres traitant, dans une perspective à la fois anthropologique et historique, des relations complexes entre le mythe, sa performance ancrée dans un lieu et un contexte cultuel donné, et le rituel. La question du passage du cultuel au culturel, dans l’antiquité tardive, est également abordée.
Les six premiers articles s’appliquent à éclairer les œuvres littéraires selon cette grille de lecture, en réservant évidemment une grande place à la lyrique chorale. Claude Calame revient sur l’épineux problème de la Néméenne 7 et du Péan 6 de Pindare, dont l’unicité pose problème, car la troisième triade semble, à première vue, sans rapport avec les deux premières, et il démontre que le mythe utilisé (Néoptolème) suppose deux lieux distincts, un « vous » éginète avec le « nous » delphique, et que la troisième triade s’intègre donc parfaitement dans le poème. Ewen Bowie s’intéresse à l’insertion des élégies dans le contexte rituel et cultuel, à travers l’exemple du Télèphe d’Archiloque, mais le peu de corpus dont nous disposons fait que cette recherche ne peut être, comme l’auteur lui-même le reconnaît, que très spéculative. Lucia Athanassaki reconstruit le contexte cultuel et rituel des Olympiques 4 et 5 de Pindare, en insistant sur l’importance de l’émotion pour la première, du contexte socio-politique pour la seconde. David Bouvier revient lui aussi sur la Néméenne 7 – peut-être aurait-il d’ailleurs été plus judicieux de placer sa contribution à côté de celle de Claude Calame – autour de la question de la « correction » que ferait Pindare pour avoir précédemment donné une « mauvaise » version du mythe, et il démontre que la variation tient plutôt à l’ambiguïté de la figure de Néoptolème, qui permet des éclairages différents selon le contexte performatif. Pierre Ellinger revient sur les épithètes d’Artémis dans l’Épinicie 11 de Bacchylide pour montrer que leur accumulation n’est nullement une maladresse du poète comme L. Farnell a pu l’écrire mais qu’elles éclairent au contraire tout le sens du poème, et posent le lien entre le mythe et la performance. Louise Bruit Zaidman essaie d’apporter, par le lien entre mythe et rite, un nouvel éclairage sur la question du sacrifice humain dans les deux Iphigénie d’Euripide.
Les contributions suivantes ne sont pas consacrées à des œuvres précises, mais plus à des concepts littéraires, dans une approche plus anthropologique : Carlo Brillante explore le mythe des Muses à travers diverses traditions littéraires et le confronte au seul culte attesté, celui d’Ascra, d’où l’importance de la version hésiodique. François Lissarague met en regard un élément du mythe de Thésée (les armes cachées) et son illustration, en montrant d’une façon remarquable le fonctionnement visuel du récit mythique, et comment il convoque une culture mythique partagée. La question de l’illustration est également abordée dans la contribution de Vinciane Pirenne-Delforge et Gabriella Pironti, à travers l’ecphrasis d’une peinture (fictive) d’un rite pour Aphrodite par Philostrate : l’auteur y convoque en fait tous les arts (allusions à Praxitèle et à Sappho), et mobilise ainsi un patrimoine artistique, poétique et narratif, typique de l’époque. Dans la même tradition culturelle, Jan Bremmer explore plus précisément les notions de mythe et rite autour de la jeunesse d’Héraclès, dans la version d’Apollodore, qui associe plusieurs parties de la Grèce, dans un objectif panhellénique. Roger Woodward cherche à distinguer dans le mythe de Bellérophon les éléments orientaux qui se seraient ajoutés, ou auraient modifié, le mythe indo-européen de base.
Toutes les contributions du livre sont de grande qualité, même si certaines (Bowie, Woodward) sont moins convaincantes que les autres, du fait d’un caractère très hypothétique. On peut regretter l’absence d’index, et l’absence d’une bibliographie générale au profit de bibliographie par article (d’autant que les mêmes ouvrages fondamentaux reviennent régulièrement). Le tout peut donner l’impression d’un « collage » de contributions plutôt que d’un véritable livre, même si l’introduction de Claude Calame pose les enjeux et théorise la problématique d’une façon très claire et très sûre.
Sandrine Coin Longeray, Université Jean Monnet, Saint-Étienne
Publié en ligne le 05 février 2018