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Capitale européenne de la culture en 2017, Paphos constitue l’un des principaux sites archéologiques de Chypre, classé en 1980 à la Liste du Patrimoine mondial de l’Unesco grâce en particulier à ses célèbres mosaïques. Le vaste site de Nea Paphos (Kato Paphos), à ne pas confondre avec celui de l’Ancienne Paphos (Palaepaphos) situé à proximité du village moderne de Kouklia (une dizaine de km environ au sud-est de Paphos), a fait et fait encore l’objet de fouilles archéologiques étendues, de la part de nombreuses missions, chypriotes et étrangères. Le colloque organisé par l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse avec la collaboration du Département des Antiquités de Chypre en 2012, dont les actes ont été publiés en volume quatre ans après, se présente comme la première rencontre internationale consacrée à cet important centre chypriote, florissant pendant l’antiquité hellénistique et romaine. Malgré la richesse et l’importance de ses vestiges, Paphos a en effet rarement fait l’objet de publications ciblées, monographies ou synthèses : cela reflet en partie le déséquilibre qui caractérise la recherche sur Chypre, largement plus sensible aux périodes hautes (âge du Bronze et premier âge du Fer), et surtout dans les dernières décennies à la période des royaumes (XIe-IVe s. av. J.-C.), qu’aux époques hellénistique et romaine, considérées comme de phases de standardisation et de repli. Ce volume donc, qui rassemble les contributions présentées au premier d’une série de colloques (le deuxième est annoncé pour l’automne 2017), a d’emblée le mérite de combler une lacune importante dans la bibliographie.

L’ouvrage est structuré davantage comme un recueil d’articles, que comme un ensemble unitaire, comme cela caractérise un grand nombre de publications issues de colloques. Cet aspect est accentué par deux facteurs. Les discours d’introduction et de conclusion, en particulier les mots de bienvenu des autorités, dont le caractère de circonstance peu s’accorde avec le contenu d’une publication scientifique, auraient pu facilement être omis ou réélaborés dans une véritable introduction à destination des lecteurs de l’ouvrage. Aussi, le niveau des articles est assez inégal : certains paraissent plus proches du format canevas destiné à une présentation orale, que de la version plus réfléchie que l’on destine normalement à la publication en volume. On lit donc ce livre comme l’on assiste à un colloque, en passant vite sur les contributions moins intéressantes, pour se concentrer sur les articles qui apportent des véritables éléments de nouveauté, qui sont nombreux.

Les trente contributions publiées sont divisées en trois parties : la première est consacrée aux résultats de la recherche archéologique récente (quatorze articles), la deuxième aux études de caractères historique (onze articles), la troisième aux enjeux de caractère patrimonial liés aux questions de conservation et de mise en valeur (cinq articles).

En guise d’introduction à la première partie, mais aussi à l’ensemble du volume, la contribution de J. Młynarczyk constitue une présentation utile du site et des activités qui y ont été menées non seulement par les missions polonaises, mais aussi par le Département des Antiquités et par les autres missions étrangères actives à Paphos. Le survol des découvertes est articulé par secteur, et accompagné de références bibliographiques. On regrette qu’à cette introduction archéologique ne fasse pas pendant une synthèse historique des étapes d’évolution du site, dont les grandes lignes, malgré les nombreuses incertitudes, sont connues.

Les articles suivants présentent les résultats des fouilles menées sur le site par les différentes missions qu’y sont actives. Si certains de ces articles s’éloignent peu d’un rapport de fouille, il ressort néanmoins de l’ensemble de cette partie la richesse et la variété des recherches en cours.

E. Raptou, en se concentrant sur les fouilles qu’il a dirigé pour le compte du Département des Antiquités non seulement sur le site de Paphos, mais aussi dans bien d’autres secteurs de la région (Kouklia, Peyia, Ktima et Polis-Chrysochous, sur la côte nord-ouest de l’île) dresse un tableau de la partie occidentale de l’île aux époques hellénistique et romaine qu’aurait bénéficié à être illustré avec davantage de plans de situation. Le présupposé, énoncé en ouverture de l’article, selon lequel « il est certain que les villes les plus importantes de l’île, chacune étant chef-lieu d’un royaume local, ont continué, aussi bien sous le régime lagide que sous les Romains, de posséder, à l’exception de cas isolés, le territoire sur lequel s’étendait l’hégémonie de leurs rois », aurait également mérité une discussion plus approfondie.

E. Papuci-Władyka et W. Machowski livrent les résultats préliminaires des fouilles de l’université de Cracovie dans l’agora hellénistique (Paphos Agora Project) : le programme ayant été établi seulement en 2011, l’équipe peut difficilement aller au-delà des premières hypothèses de travail. Au contraire, c’est d’une présence de vingt-cinq ans que fait acte F. Giudice dans sa contribution, consacrée au secteur de Toumballos ou Garrison’s Camp (non localisé sur la carte de p. 79, il se situe à l’ouest de Fabrika): on aurait espéré, dans ce cas, de bénéficier au moins d’un relevé de l’ensemble du sanctuaire, dont l’architecture complexe, analysée dans l’article, peut difficilement être appréciée dans tous ses détails en l’absence de supports iconographiques.

La mission australienne de Sydney, qui fouille le secteur du théâtre, est représentée par C. Barker, qui décrit les cinq phases architecturales du bâtiment (de sa construction vers la fin du IVe ou le début du IIIe s. av. J.-C. jusqu’à sa destruction à la fin du IVe s. apr. J.-C.), avant de décrire les structures environnantes (en particulier un nymphée du Ier s. apr. J.-C.) et les résultats des recherches plus récentes.

La mission française de Paphos, soutenue par l’université hôte et dirigée par l’organisatrice du colloque, Cl. Balandier, est à l’honneur avec trois articles. J.-Cl. Bessac illustre ses recherches sur les aménagements rupestres de Paphos, en se concentrant sur le secteur de Fabrika, où fouille la mission française : ce secteur est caractérisé par la présence d’une vaste zone de carrières exploitées à l’époque hellénistique (en premier lieu pour la construction du théâtre), aussi bien à ciel ouvert que souterraines, ces dernières ayant été réaménagées postérieurement en salles cultuelles. Les aménagements hydrauliques identifiés sur le site et le secteur du rempart sont également décrits. Cl. Balandier présente, avec M. Guintrand, les résultats du premier quadriennal de recherche de la mission sur la colline de Fabrika : les deux chantiers ouverts, au nord (A) et au sud-est (B) permettent de suivre l’évolution du secteur, d’espace d’extraction à l’époque hellénistique (carrières), en habitat de l’époque impériale (bâtiment résidentiel, citerne et aqueduc). Enfin, l’équipe avignonnaise de C. Vieillescazes, C. Joliot et M. Ménager livre les résultats des analyses chimiques réalisées sur les enduits peints de la résidence romaine du chantier A de Fabrika.

L’étude de W.A. Daszewski, ancien directeur de la mission polonaise de Varsovie, se concentre sur les structures au sud de la maison de Thésée (secteur de Maloutena), où la mission est active depuis les années soixante. Une maison romaine, succédant à une structure hellénistique détruite par le tremblement de terre de 15 av. J.-C., est occupée jusqu’en 127 apr. J.-C. (date d’un deuxième séisme), et son riche mobilier suggère un occupant d’exception, certainement un notable de la ville. Malheureusement l’article est illustré par des images de faible qualité.

R.C. Anderson décrit le principal monument post-antique du site de Paphos, la château médiéval de Saranda Kolones : ce monument complexe, dont la publication définitive est attendue, semble avoir été détruit par un séisme en 1222 avant la fin même de sa construction (par œuvre des Lusignans). L’interprétation architecturale proposée repose sur la coexistence de deux structures, un château interne et un externe, qui ne correspondent pas à deux phases architecturales distinctes, mais à une seule œuvre de fortification techniquement sophistiquée.

La vaste section consacrée à la recherche archéologique à Paphos se conclut par quatre études de matériel. L’article d’Anne Destrooper-Georgiades constitue la publication préliminaire d’une partie des trouvailles numismatiques de la mission australienne sur le site de Fabrika : parmi les monnaies identifiées, datant surtout de l’époque romaine tardive et de la période byzantine, on remarque quelques types nouveaux et des frappes d’ateliers rares. A. Dobosz étudie les relations commerciales de Nea Paphos à l’époque hellénistique par le biais des conteneurs de transport, en prenant en compte les matériel publié, mais aussi les anses estampillées inédites issues des fouilles polonaises de Maloutena et de l’Agora : bien que le matériel rhodien joue, comme on peut s’y attendre, une partie prépondérante, avec un pic au IIe s. av. J.-C., d’autres éléments permettent de dresser un tableau des relations de la ville avec le reste du bassin méditerranéen ; il est regrettable que les graphiques des fig. 3, 7 et 8 aient été publiés en noir et blanc, ce qui les rend en grande partie illisibles. B. McCall revient sur le site de Fabrika, plus précisément sur les trouvailles en verre des fouilles australiennes et françaises, en examinant celles qui datent de l’époque hellénistique et de la première période romaine (nombre de trouvailles de ce secteur appartenant à la période tardo-antique et aux époques postérieures), et elle met en lumière les spécificités de cet assemblage (majorité de bols en verre coulé, absence de verre sur noyau). Enfin, D. Mazanek dresse un tableau préliminaire issu de l’étude en cours du matériel en verre des fouilles polonaises de Maloutena : l’abondance de formes ouvertes, typique des contextes d’habitat, est mise en évidence.

La deuxième partie du livre rassemble onze articles de caractère historique. E. Markou revient sur le monnayage du royaume de Paphos, en résumant utilement les apports récemment parus à ce sujet, et en proposant une succession des émissions connues et des rois qu’elles attestent ; grâce à sa connaissance approfondie des sources (numismatiques, littéraires et épigraphiques), E. Markou dresse un tableau convaincant, complet et équilibré.

D. Vitas cherche la réponse à une question qui a été déjà affrontée auparavant, mais qui reste à ce jour ouverte : qui est le fondateur de la ville de Nea Paphos, à la fin du IVe s. av. J.-C. ? Si la majorité des spécialistes penche pour Nicoclès, le dernier roi de Paphos, en quête d’un meilleur emplacement pour son port, et d’autres, surtout récemment, lui préfèrent Ptolémée, D. Vitas propose une solution partagée et originale : Nicoclès, en tant qu’allié de Ptolémée dans la période-clé de l’avant-dernière décennie du IVe s. av. J.-C., aurait été le metteur en œuvre d’un choix stratégique qui visait à assurer au Lagide une base dans l’île ; Nea Paphos aurait donc été au départ une colonie militaire ptolémaïque (katoikia) fondée sur des terres allouées par le roi chypriote, et restant sous son contrôle. Bien que cette hypothèse reste à démontrer, elle constitue une contribution nouvelle au débat florissant ces derniers temps sur la transition de Chypre des royaumes au contrôle lagide.

A. Mehl se concentre sur cette phase souvent négligée de l’histoire de l’île, la période lagide, pour dresser un tableau des institutions et de l’organisation politique et administrative de la ville extrêmement clair et complet. Il se consacre ensuite à une analyse épigraphique et historique de deux inscriptions honorifiques pour le paphien Potamon (OGIS 164 et 165), dans un dialogue virtuel avec J.-B. Cayla et son ouvrage à paraître (aux publications de la Maison de l’Orient à Lyon) sur les inscriptions alphabétiques de Paphos. J. Olivier et P. Keen apportent leur propre regard sur cette même phase historique par le biais de l’étude des émissions de l’atelier de Paphos, et du rôle joué par celui-ci au sein de la cité en tant que centre administratif de l’île sous les Lagides. La prépondérance des ateliers de Salamine et de Kition par rapport à celui de Paphos, mais aussi l’importance de ce dernier dans les situations de crise, constituent autant d’indices de la politique monétaire des Lagides à Chypre, qui se différencie de celle suivie en Égypte.

Trois articles sont consacrés aux cultes de Nea Paphos, avant tout celui d’Aphrodite. J.‑B. Cayla aborde la question du temple de la déesse traditionnellement localisé à Fabrika, en partant du réexamen des sources épigraphiques pour insinuer l’idée que l’existence de ce temple ne soit ni assurée ni inévitable comme cela paraît dans la bibliographie ; il propose alors, d’un côté, d’identifier le lieu de culte de Fabrika avec un sanctuaire de Zeus Sôter ou un Ptolemaion, et de l’autre, une brillante reconstitution de la géographie du culte d’Aphrodite, entre l’Ancienne et la Nouvelle Paphos, qui aurait laissé ses traces plus concrètes dans la toponymie chrétienne des lieux de vénération de la Vierge. J. Karageorghis, en reprenant la documentation épigraphique mais aussi archéologique, approfondit la nature du rapport entre le dernier roi de Paphos, Nicoclès, et la Grande Déesse, mais aussi d’autres divinités féminines (Héra, Artémis), dont elle cherche à reconnaître la proximité avec l’Aphrodite de Paphos. Enfin, Y. Vernet rappelle les caractéristiques du culte d’Apollon Hylates, vénéré dans un sanctuaire hypogé à proximité de Paphos, et les cultes hellénistiques connus à Amargetti et à Marathounda, en mettant encore une fois en exergue la rôle joué par Nicoclès.

Deux articles analysent des questions très diverses qui se situent chronologiquement à la période impériale. La figure chrétienne de Saint Paul et plus précisément l’épisode néotestamentaire de l’aveuglement d’Élymas, qui eut lieu à Paphos, constituent l’objet de l’analyse de P. Garuti, qui retrace la genèse et l’histoire rédactionnelle du passage. L’étude de Th. Mavrojannis, consacrée à la Maison de Thésée, vise à défendre une interprétation historique et politique du bâtiment et de ses fonctions institutionnelles qui repose sur une datation du complexe autour de 335 apr. J.-C.

Les deux derniers articles de la deuxième partie de l’ouvrage affrontent des sujets d’histoire médiévale. J. Richard consacre son étude à l’un des évêques de Paphos, Eudes de Cauquelies, qui occupa le siège épiscopal de 1336 à 1357 et fut nonce apostolique dès la fin des années quarante. C. Otten-Froux analyse l’image de Baffo (comme est parfois appelée Paphos dans les textes italiens du Moyen-Âge), en étudiant les descriptions des géographes, navigateurs et voyageurs de l’époque franque, mais aussi les documents commerciaux et ecclésiastiques qui permettent de suivre les étapes de développement de la présence de marchands italiens, de l’époque des Croisades jusqu’à al fin de la période des Lusignans.

La troisième partie du livre, rassemblant cinq articles, est consacrée aux questions de conservation et mise en valeur du patrimoine. Trois études concernent spécifiquement le patrimoine archéologique, sa conservation (E. Hadjistephanou, sur les peintures murales des tombes hellénistiques de Paphos), sa mise en valeur (Cl. Balandier et J.-Cl. Bessac, sur la conservation et l’ouverture au public des aménagements rupestres de Fabrika) et sa relation avec la ville moderne de Paphos (P. Koutsolampros, sur la mise en relation urbaine du site avec la ville, via la redéfinition des espaces liminales). En conclusion, deux articles font le point sur le dispositif des capitales européennes de la culture, en relation en particulier à l’expérience française (Avignon 2000, Marseille 2013 : J. Montaignac) et à celle, à venir à l’époque du colloque, de Chypre (Paphos 2017 : Th. Filippidis).

La lecture du volume, bien imprimé et relié, est incontestablement dérangée par le grand nombre d’erreurs et incohérences qu’un travail éditorial plus soigné aurait permis d’éliminer facilement : renvois bibliographiques absents ou erronés, erreurs de syntaxe, manque d’uniformisation dans les légendes des illustrations, incohérences dans l’usage des translitérations… De la même manière, les illustrations ne paraissent pas avoir été traitées toujours avec une attention suffisante (V. les observations avancées ponctuellement ci-dessus). Certains textes en français (rédigés par des auteurs de langue maternelle autre que le français) ou en anglais auraient bénéficié à être relus davantage ; les deux articles en italien auraient pu être écrits en adaptant le niveau de la langue au fait qu’une grande partie de la communauté des chercheurs qui travaillent à Chypre ne le lit et ne le comprend pas facilement. Des résumés (au début de chaque article, ou en ouverture du volume) et des index auraient certainement facilité la consultation.

Ces quelques remarques critiques toutefois, qui concernent essentiellement la forme, rien n’enlèvent à la qualité de grand nombre des études que ce volume rassemble et met à disposition. Notre connaissance de Paphos, de ses vestiges et de son parcours historique est considérablement enrichie par les nouvelles données et analyses présentées, ce qui fait de cet ouvrage une référence certaine pour les spécialistes de Chypre et de la Méditerranée orientale.

Anna Cannavo, École française d’Athènes

Publié en ligne le 05 février 2018