Ce petit livre, illustré de bons clichés en couleur après la restauration qui vient d’avoir lieu du salon des Mystères, propose une interprétation de l’auteur, qui l’avait déjà publiée dans un ouvrage antérieur, écrit avec deux collègues[1], qu’il remercie d’ailleurs en tête de son nouvel ouvrage. Pas moins de 382 notes viennent à l’appui de la démonstration et l’A. donne la liste des interprétations qu’a suscitées cette mégalographie hors normes, depuis un siècle. Les quatorze scènes, dûment numérotées[2], sont analysées l’une après l’autre (fig. 1 : Pompéi, plan du salon 5 de la villa des Mystères avec les scènes numérotées , d’ap. P. Veyne, op.cit, fig. 2). ). S’agit-il comme ont cherché à le démontrer des générations de savants de scènes du gynécée, des Mystères de Bacchus ? Non. L’A. revient sur sa démonstration d’y voir un mariage profane illustré dans la pièce n° 5, la salle la plus grande de la villa, mais il ne s’agit pas de la seule mégalographie de la demeure. Dans la pièce n° 4, voisine, un cubiculum à deux alcôves, se trouvent des personnages presque grandeur nature[3], dont il note la présence et détaille une femme qui tient un objet rectangulaire en main, son contrat de mariage.
Notons tout de suite quelques détails à rectifier, ce ne sont pas des pilastres qui séparent les scènes, mais ce que les Italiens appellent des lésènes, des plaques fictives étroites d’orthostates placés de chant, en alternance avec des orthostates vus de face, devant lesquelles évoluent les personnages et dont la couleur doit être désignée comme du rouge cinabre, un pigment rare et cher, et non pas comme du « rouge pompéien », car il en existe un autre, beaucoup plus commun et répandu sur les parois, qui est le rouge d’ocre[4].
Le rapprochement avec les Noces Aldobrandines, conservées aux musées du Vatican est à nouveau proposé. Comme sur cette peinture, où, à part le marié, sous les traits de Bacchus en personne assis, il s’agit d’une épopée toute féminine, et où, dans la salle des Mystères, à part un jeune garçon en train de lire, il n’y a que des femmes. Tout d’abord dans l’angle d’entrée se trouvent les scènes de la parure de la fiancée. L’A. répète que la femme qui assiste la jeune femme se regardant dans le miroir tenu par un Amour, est une dame d’honneur et non une servante, étant donné ses vêtements et son maintien. Des scènes semblables de Pompéi sont citées, auxquelles on peut ajouter la jeune fille au miroir en train de se coiffer de Stabies, villa d’Ariane, mais seule dans le petit édicule qui lui sert d’abri[5].
La scène I, à droite de la petite porte qui mène dans la pièce voisine, illustre l’éducation du frère cadet de la fiancée, en présence de sa mère et de la préceptrice qui met la main sur son épaule tout en tenant un stylet, détail important qui nous est rappelé, pour considérer la scène comme scolaire et banale et non comme un rituel (fig. 2 : Pompéi, salon 5 de la villa des Mystères, mur de gauche, scène II, détail de la lecture, après restauration, cl. Fr. Pauvarel, 2016). La mère apparaît trois fois, toujours voilée, mais pas toujours habillée de la même façon. Des comparaisons avec des vases grecs sont proposées et nous renvoient à l’ouvrage antérieur de 1998 ; puis l’A. note la présence d’une tablette, qui est le contrat de mariage, à côté de la femme située dans l’angle, le coude posé sur des coussins[6], tout comme le même contrat posé par terre dans les Noces Aldobrandines, contre la vasque du bain postnuptial[7].
La scène II montre une servante portant un plateau ; elle est enceinte, tient en main un rameau et si l’on abandonne l’idée de Mystères, il s’agit d’une galette de sésame découpée en tranches offertes aux invités où elle avait sa place dans les cérémonies nuptiales, selon de nombreux témoignages textuels. La symbolique est claire entre la jeune femme enceinte et le sésame, également prolifique. De même le rameau est un brin de myrte, comme sa couronne, dont là encore un texte vient à l’appui de leur double présence pour les noces (fig. 3 : Pompéi, salon 5 de la villa des Mystères, mur de gauche, scène II, détail de la porteuse de sésame, après restauration, cl. Fr. Pauvarel, 2016). L’identification de la plante par rapport au laurier, qui se fonde sur l’attache différente des feuilles, est longuement détaillée[8].
Viennent ensuite les préparatifs de la toilette de la fiancée en scène III, où trois femmes s’affairent, puis Silène jouant de la lyre. Après la musique, sur le mur d’en face, la scène XII illustre la danse et le chant où l’A. réitère son interprétation d’une ménade tenant un thyrse comme une chanteuse, et devant, une jeune femme qui danse, vue de dos, au rythme des castagnettes. Ces cortèges de noceurs sont fréquents et l’A. en cite de nombreux exemples. Il revient sur les Noces Aldobrandines où l’on voit à l’extrême droite justement, une cantatrice qui porte sa main à la gorge à côté d’une musicienne tenant une cithare. De même, à l’extrême gauche, ce sont trois femmes : la maîtresse de maison voilée mêle des essences à l’eau qu’une jeune fille verse dans une vasque. C’est une scène analogue à celle de Pompéi (scène III) où la maîtresse de maison de dos, tend une branche de myrte, prise dans la corbeille à gauche tendue par une autre servante, à la jeune femme à droite qui l’arrose. Attentif au moindre détail, l’A. redit encore que le nom du myrte « plante conjugale » désigne aussi le clitoris en grec familier[9], et qu’il était d’usage à Rome que toute étreinte fût suivie d’une toilette intime, ce que cette scène suggère.
On fait ensuite un détour pour expliquer ce qu’étaient les Mystères afin d’en éliminer l’hypothèse. La scène du dévoilement du van mystique et du phallus (scène IX) est détaillée. Il est rappelé que le van a servi de berceau à Dionysos enfant, mais que son utilisation pour une initiation aux Mystères n’est pas la seule. Ainsi, dévoiler le phallus d’un van fait fuir la démone de la Malchance. Toutefois, le geste de la jeune femme reste en suspens et on ne sait si elle a procédé ou non au dévoilement (fig. 4 : Pompéi, salon 5 de la villa des Mystères, mur de droite, scène IX, dévoilement du phallus ?, après restauration, cl. Fr. Pauvarel, 2016). Si l’on reprend la suite des scènes IX, X et XI, à savoir la jeune femme au van mystique et phallus, la démone ailée armée d’un fouet, et la jeune femme agenouillée qui se détourne de ce spectacle dans le giron de sa nourrice, il s’agirait d’un pastiche d’initiation des Mystères avec l’ostentation du van. Pour l’A. le peintre a détourné cette présentation de son sens, la jeune fille terrifiée et dévêtue fait allusion à la nuit de noces. La démone fouetteuse ne défend plus le secret des Mystères contre le regard des profanes, mais les secrets de la chambre nuptiale et elle est prête à chasser un profanateur potentiel. Dionysos devient le dieu des réalités de l’amour. À propos de la démone, l’A. se pose à nouveau la question de savoir si ses ailes étaient noires ou bien rouge cinabre à l’origine, dont on sait qu’il peut se transformer en métacinabre noir[10]. Dans le cas présent, étant donné qu’elles se détachent sur le fond rouge cinabre de la paroi, cette hypothèse ne tient pas.
Puis, l’on change de paroi pour examiner la scène qui montre un Silène et un jeune satyre en train de boire du vin, et un autre au moyen d’un masque faisant peur à une femme, qui fuit (scènes VI-VII). L’A. en conclut que la peur du masque, celle du vin sont une fausse peur et que Bacchus initie au vin et à l’amour. Par sa présence ce dieu ambigu promet le bonheur au gynécée. Il y a donc une coexistence pacifique entre des êtres surnaturels et les habitantes d’un gynécée. Silène et satyres donnent à boire, fraternisent avec des animaux, (une jeune satyresse donne le sein à une chevrette), font de la musique (scènes V) et leur dieu, au centre même de la salle, donne l’exemple d’un amour fou pour son amante. Nous sommes loin d’un rituel mystérieux, de transes dionysiaques, mais dans un climat de paix en un jour de noces dont l’A. fait à nouveau l’hypothèse que l’orignal, grec, pourrait avoir orné une chambre nuptiale, ce qui est indémontrable.
Revenant sur la scène de la femme épouvantée par le masque brandi par le jeune satyre, dans le dos de Silène qui tient un bol de vin, l’A. assure que le jeune satyre est bien en train de boire et non d’avoir des visions, à en juger par l’inclinaison du bol (fig. 5 : Pompéi, salon 5 de la villa des Mystères, mur du fond, scène VII, satyre buvant dans un bol, après restauration, cl. Fr. Pauvarel, 2016). Il insiste sur le côté farce de la scène et cite des vases, des sarcophages où le même type de scène représente des satyres adultes faisant peur à des satyres enfants avec des masques, jusqu’à la peinture d’Herculanum, qu’il donne à nouveau en exemple, où ce sont des Amours qui jouent avec un masque, ce qui fait se renverser de peur l’un d’eux. Il rappelle encore, et justement, les masques de silènes en terre cuite en bord des toitures pour écarter le mauvais sort.
Enfin, le couple divin est réexaminé en détail (scène VIII), Ariane passe son bras autour du cou de son époux-amant qui pose sa tête sur sa poitrine, il a bien perdu une sandale, mais c’est parce qu’il est fou d’amour. Pourquoi Dionysos un jour de noces ? L’A. rappelle que le jeune époux dans les Noces Aldobrandines est le dieu lui-même qui attend la vierge au pied du lit nuptial. De même à Pompéi le dieu Bacchus est l’image du mari, qui est absent.
C’est un heureux avenir qui est promis à l’épouse et le poète Théocrite raconte comment le soir des noces de Ménélas et de la belle Hélène « les jeunes filles formèrent un chœur devant la chambre nuptiale fraîchement décorée de peintures »[11].
Suivent des considérations sur le gynécée hellénistique, la féminité et le regard féminin, sa religiosité, celui de l’homme également, inspirées par les deux co-auteurs de l’édition précédente[12]. Cette partie du livre, tournée vers l’histoire de l’art, traite le sujet de façon parfois diachronique, en puisant dans toutes sortes d’exemples : des vases à la mosaïque en passant par la peinture et les stucs, sans parler d’estampes japonaises, de miniatures indiennes, ou des tableaux de la Renaissance italienne. Elle n’est pas illustrée par des images convaincantes, mais seulement évoquée dans de très nombreuses notes, et constitue comme une ébauche d’un deuxième livre dans le livre.
L’A. dénonce une tendance à la surinterprétation et nous rappelle que les images sont … imaginaires et qu’elles laissent une part de jeu, y compris de jeu sexuel, et il se livre à de très nombreuses digressions et à des comparaisons entre textes et images antiques et, encore une fois, même modernes.
Enfin un dernier chapitre clôt le livre sur ce que pensaient les contemporains du bachisme, et les relations entre les hommes et les dieux. L’imagerie bachique n’était pas destinée à un public pieux ou croyant mais elle était preuve que le dieu était simplement aimé. Le scepticisme était une réalité et il y a de grandes différences entre les dieux des dévots, ceux des poètes et ceux des philosophes, que des textes précis nous rappellent.
En conclusion l’A. affirme que la peinture de la villa dite des Mystères n’est ni réaliste, ni religieuse, ni symbolique, mais c’est une fresque d’un Eden dionysiaque promis à la jeune mariée, démonstration qui reprend presque mot pour mot, avec les mêmes titres de chapitres, l’ouvrage antérieur de 1998. Il s’agit donc d’une sorte de réédition, revue et augmentée pour certains détails, enrichie pour la bibliographie, avec de nouvelles images de la peinture des Mystères restaurée et celles des Noces Aldobrandines plus en détail que dans l’essai antérieur.
Alix Barbet
[1]. P. Veyne, F. Lissarrague, F. Frontisi-Ducroux, Les mystères du gynécée, Paris 1998.
[2]. Cf. fig. 2.
[3]. Cf. n. 59. Dans la pièce des Mystères il s’agit bien de personnages quasiment grandeur nature pour l’époque, où d’après les analyses faites sur les squelettes exhumés dans les hangars à bateau à Herculanum, la taille moyenne des femmes ne dépassait pas 1,53 m ; or dans la villa des Mystères la taille est de 1,50 m. Cf. M. Henneberg, R. J. Henneberg, « Les squelettes humains de Pompéi : premiers résultats d’une étude en cours » dans A. Ciarallo, E. De Carolis, Pompéi nature sciences et techniques, catalogue d’exposition, Milan 2001, p. 52.
[4]. p. 9 et 10.
[5]. Cf. ; Musée Archéologique National de Naples inv. N°9088. Cf. I. Bragantini, V. Sampaolo, La Pittura pompeiana, Vérone 2009, p. 456, fig. 244.
[6]. Cf. fig. 3.
[7]. Cf. fig. 13.
[8]. Cf. p. 42.
[9]. Cf. note 121.
[10]. Cf. p. 99 et n. 220. Sur le noircissement du rouge cinabre, cf. A. Barbet, collab. C. Allag, La peinture romaine du peintre au restaurateur, Saint‑Savin s.d., p. 48-49, fig. 50-51.
[11]. Cf. p. 116, note 278.
[12]. Cf. op.cit. n. 1, F. Lissarrague, IIe partie, Intrusion au gynécée, p. 155-198. F. Frontisi Ducroux, IIIe partie, Le sexe du regard, p. 199-275.