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Le cinquième volume de la collection consacrée aux fouilles du site de Labraunda constitue la publication finale des andrones du sanctuaire. Ce travail de première importance a été mené à bien par Pontus Hellström, directeur « historique » de la mission archéologique suédoise (1979 à 2003) et Jesper Bild, spécialiste de Labraunda à l’Antiquité tardive. L’ouvrage se compose de deux grandes parties : la première est consacrée à la description des vestiges et leur restitution (15-235), la seconde à l’étude architecturale et stylistique et à la fonction des andrones (245‑275). À ces 275 pages s’ajoutent une imposante bibliographie regroupant plus de 350 références et un très utile index architectural. 470 figures, toutes d’excellente qualité, illustrent le livre.

Le premier chapitre traite de l’« andron de Mausole », ou « andron B », le plus ancien des deux édifices, daté par la dédicace, sur l’architrave, de Mausole, fils d’Hekatomnos, à Zeus Labraundos et dont la fouille a comporté deux phases : 1948-1960 et 1987-1991. La description des vestiges est conforme au plan canonique de toute monographie architecturale, des fondations jusqu’aux parties hautes. Les illustrations, dans le texte, permettent de suivre au plus près les descriptions millimétriques du plan et des éléments de l’élévation, qui incluent également les catalogues de blocs qui leur sont attribués.

Au terme de la description, les auteurs proposent une restitution de l’andron de Mausole sous la forme d’un édifice distyle in antis aux murs percés de grandes fenêtres et muni d’aménagements intérieurs spécifiques : une niche dans le mur de fond de la cella qui abritait une grande statue de Zeus Labraundos et, peut-être, les effigies de Mausole et Artémise ; une banquette courant le long des murs et qui permettait d’accueillir des klinai. La façade de marbre montre un ordre mixte (colonnes ioniques sur bases asiatiques sur plinthes et entablement dorique), chapiteaux au décor exubérant, de type samien pour les colonnes, acrotères en forme de sphinx de type achéménide, tympan de fronton percé d’une porte. Les figures qui suivent le texte et dont certaines sont en couleurs, sont remarquables et redonnent vie à ce monument exceptionnel.

Le deuxième chapitre est consacré à l’andron A que Le Bas, en 1844, identifiait comme « temple de Jupiter » et qui est le mieux conservé des deux andrones s’agissant des murs (de gneiss), les éléments de marbre étant cependant assez largement manquants. La fouille du monument, dédié par Idrieus à Zeus Labraundos, s’est, là encore, étirée dans le temps, entre 1948 et 2015. La description des vestiges suit le plan habituel, elle est comme pour l’andron de Mausole assortie d’excellentes illustrations, relevés de blocs et photographies. La restitution est en grande partie tributaire de celle de l’andron de Mausole et montre le même type d’édifice distyle in antis, à première vue semblable à un trésor mais qui s’en différencie par l’existence d’une niche dans le mur de fond de la cella et la plateforme établie le long des murs. Un ordre mixte – entablement dorique sur colonnes ioniques – est également restitué (bases, chapiteaux d’ante et acrotères perdus).

Matériaux et techniques font l’objet du troisième chapitre. Les auteurs font notamment l’hypothèse de scellements horizontaux en bois, en forme de queue d’aronde (contre-architraves, andron de Mausole), signalent la présence de stucs (à l’intérieur et, parfois, l’extérieur), l’utilisation de boutisses en doubles liaisons (andron de Mausole, andron A) et de chanfreins verticaux aux angles (andron A). Le chapitre 4 est consacré à la métrologie (utilisation du pied dorique de ca. 0,327 m) ; les constructions associées aux andrones sont traitées dans le chapitre 5 : terrasse, annexe et escaliers en avant de l’andron de Mausole. Dans le même chapitre J. Bild présente les transformations tardives de l’andron de Mausole et les trouvailles associées avant de décrire les vestiges de l’andron C, un édifice d’abord daté par Westholm de l’époque claudienne mais qu’il propose de façon convaincante de remonter au IIe s. a. C. La restitution proposée, assez hypothétique, montre un édifice distyle in antis d’ordre dorique équipé de klinai. Les aménagements et bâtiments associés à l’andron B (avant-cour, « terrace house », escaliers) sont décrits en fin de chapitre.

La seconde partie de l’ouvrage aborde les questions stylistiques et fonctionnelles. La technique de construction des antes, liées au mur pour l’andron de Mausole, adossées pour l’andron A, est un critère de datation, les antes adossées étant une nouveauté pour l’Asie Mineure. Par ailleurs, le fait qu’il n’y ait pas de liaisons verticales, hormis celles du sommet de l’ante, indique une antériorité de l’andron de Mausole sur l’andron A, ce que confirme également l’absence d’architraves de marbre sur les murs latéraux et arrière du monument et la différence de mouluration du bec de corbin du geison. Le procédé de double liaison aux angles constitue également un critère de datation. Le chapiteau du monument des Néréides et son baudrier décoré de feuilles imbriquées (que l’on retrouve au temple de Zeus et au Mausolée) sont évoqués à l’appui de la démonstration mais l’incertitude sur la date du monument de Xanthos rend cet argument fragile de l’avis même de l’auteur. Pour lui, les andrones auraient tous deux été planifiés par Mausole : l’andron de Mausole, en l’honneur de Zeus, qu’il aurait dédié sans doute dans les années 370 avant son départ pour Halicarnasse, l’andron A, le plus grand du sanctuaire et le plus récent, prévu pour honorer Mausole lui-même mais terminé par Idrieus (taq 351/0). Dans le chapitre 7, J. Bild présente une étude approfondie des dix chapiteaux d’ante découverts sur le site et attribués aux andrones, au temple de Zeus ainsi qu’aux propylons est et sud. Il s’attarde en particulier sur les remarquables chapiteaux de l’andron de Mausole qu’il propose de façon très convaincante de couronner de protomés de griffon, un embellissement d’inspiration achéménide. Le dernier chapitre est consacré à la fonction des andrones, salles de banquets mais aussi et, sans doute surtout, salles de réception et d’audience dans la tradition achéménide. La fonction cultuelle est aussi évidente, en particulier s’agissant de l’andron de Mausole construit sur la voie processionnelle menant au temple de Zeus et dont la porte ouverte dans le tympan du fronton était probablement destinée aux épiphanies.

Au terme de ce passionnant ouvrage le sanctuaire de Labraunda apparaît comme un véritable laboratoire pour l’architecture de l’Asie Mineure, les monuments hécatomnides constituant les éléments d’un programme de très grande envergure destiné à prouver de façon éclatante la puissance de la dynastie régnante. Avec Labraunda 5, P. Hellström et J. Bild apportent une contribution majeure à l’étude de l’architecture d’Asie Mineure.

Laurence Cavalier, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5607 – Institut Ausonius

Publié dans le fascicule 2 tome 123, 2021, p. 746-747.