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Avec son dernier ouvrage que nous allons ici présenter, Laurent Pernot confirme être comme l’un des connaisseurs les plus renommés de la rhétorique ancienne. Comme l’auteur l’annonce dans son introduction (p. XI), Epideictic Rhetoric: Questioning the Stakes of Ancient Praise est la réécriture d’une série de cours donnés en mai 2012 au sein de la « Rhetoric Society of America », à Philadelphie. Pour cette même raison, le volume est en langue anglaise et le ton adopté beaucoup plus « léger » (comme un cours universitaire l’impose) par rapport aux autres ouvrages de L. Pernot. Si, d’un côté, l’auteur reprend clairement et de manière synthétique, certains concepts présentés dans son œuvre en deux volumes publiée en France sous le titre La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, il y ajoute, cependant, certains développements postérieurs aux idées avancées en 1993. En outre, bien qu’il ne soit pas trop rentré dans les détails, L. Pernot ouvre maintenant des perspectives nouvelles.

Le livre se compose de quatre chapitres, dont on décrira brièvement le contenu. Ils sont précédés d’une préface (p. VII-X), de remerciements (p. XI-XII) et d’une note concernant les sources utilisées et leurs abréviations (p. XIII-XIV). Suivent, après les quatre chapitres, un épilogue d’une page (p. 121), les notes (p. 123-132), la bibliographie (p. 133-153) et un Index des noms et des mots rhétoriques (p. 155-166).

Comme annoncé dans la préface, le fil rouge de l’exposition du livre est l’analyse du discours d’éloge, autrement dit, épidictique, dans tous ses aspects. L’auteur, donc, retrace d’abord l’évolution historique du genre (du Ve siècle av. J.-C. jusqu’à l’époque de l’empereur Justinien) pour expliquer les motivations de son extraordinaire succès : selon lui, il est fondamentalement question de raisons culturelles, bien sûr, mais également sociales et politiques. Nous comprenons alors pourquoi L. Pernot met bien en valeur l’importance du nouvel ordre romain à partir d’Auguste : la pax romana a permis au discours épidictique de multiplier ses occasions d’expression. Les sujets qui y sont traités peuvent varier de l’éloge d’une ville, d’un empereur ou d’un magistrat, de l’épitaphe d’un citoyen renommé, jusqu’aux éloges de personnages mythologiques dans le milieu scolaire.

Le premier chapitre, intitulé « The Unstoppable Rise of Epideictic » (p. 1-28), décrit l’extraordinaire ascension de l’oratoire épidictique à travers huit siècles. L. Pernot réussit à synthétiser les raisons qui ont aidé au développement du genre : en particulier, il souligne les changements politiques et sociaux survenus à la fin de l’époque classique, la perte de la tradition hellénistique proprement dite, la création des canons d’orateurs et des manuels de rhétorique, pour arriver à l’époque impériale et finir avec l’Antiquité tardive.

« The Grammar of Praise » (p. 29-65), le deuxième chapitre, offre une synthèse des plus importants topoi employés dans les discours épidictiques de différents auteurs. L. Pernot, à l’aide des exemples tirés de Quintilien et surtout de Ménandre le Rhéteur, guide les lecteurs dans les éléments qui constituent la structure des éloges, en faisant bien la distinction entre ceux destinés à une personne, une ville, un animal, etc. Après avoir décrit les techniques du discours épidictique, l’auteur consacre une section plutôt brève à l’invective (p. 63-65), présentée comme « the otherside of encomium » (p. 63), car sa structure fonctionne comme le contraire de l’éloge. Logiquement, comme il l’explique, la création de psogos est en revanche restée appliquée à un milieu scolaire et, donc, à des textes fictifs, dont la structure, sans avoir des règles propres pour ce genre, se compose à partir du contre-modèle de l’éloge. La conclusion du deuxième chapitre permet d’aborder un autre problème : le fait que, par rapport à d’autres genres – comme notamment le psogos – l’éloge a pu avoir cet immense succès, qui l’a porté, sous l’Empire, à presque s’identifier à la définition même de discours épidictique.

Le troisième chapitre (« Why Epideictic Rhetoric », p. 66-100) s’attache à expliquer les fonctions sociales et le véritable rôle politique de la rhétorique de l’éloge, genre souvent écarté au profit des deux autre, le judiciaire et le délibératif. Le but poursuivi par L. Pernot est de démonter les accusations de flatterie et de mensonge qui ont souvent accompagné les textes épidictiques et leurs auteurs. L’éloge s’est donc développé parfois au détriment d’autres genres, non pas tant parce que les orateurs qui le pratiquaient avaient plus de possibilités de remporter le succès et de faire carrière, mais car il donnait plus d’occasions d’entente entre public et auteur. Le sujet du discours épidictique est souvent, en effet, la réalité, le vrai monde partagé par le rhéteur et par son public, qui adhèrent tous deux aux mêmes valeurs concernant la gestion des villes, la conception du pouvoir central et de la religion. En conséquence, si, dans l’Antiquité, ce sont surtout les philosophes qui ont adressé de violentes critiques aux rhéteurs qui pratiquaient l’épidictique, aujourd’hui la question mérite d’être reposée, en considérant que l’un des buts de ce genre est son caractère persuasif et de cohésion.

Le dernier chapitre (« New Approaches in Epideictic », p. 101-120) est très novateur. L. Pernot s’intéresse aux plus récentes pistes de recherche et aux considérations qui peuvent être utilisées pour l’analyse des éloges anciens. En particulier, afin de donner du matériel aux lecteurs pour une future discussion, l’auteur traite de la relation étroite du rhéteur avec son public lors de la performance et de certains aspects du discours d’éloge, comme l’eskhēmatismenos logos (« figured speech ») : il montre la nécessité de repérer dans un texte épidictique le message caché par le rhéteur, qui selon l’occasion et le public de la performance pouvait se permettre un niveau particulier de parrhēsia. Après avoir analysé les caractéristiques du discours épidictique à caractère religieux, L. Pernot termine le chapitre en expliquant le récente méthode de la « Comparative Epideictic Rhetoric », c’est-à-dire la comparaison entre des discours d’éloge prononcés dans des lieux et époques éloignés et par des civilisations différentes, car ce genre – illustré par des discours funèbres, de mariage ou de simples éloges – a souvent été exploité dans l’histoire humaine (cf. p. 119-120).

Le volume se termine par une conclusion (p. 121), très générale, sur la valeur et l’importance du genre épidictique, à laquelle font suite l’ensemble des notes des chapitres précédents (p. 123-132) et une riche bibliographie (p. 133-153), dans laquelle le volume le plus récent date de 2013. Les dernières pages (p. 155-166) sont consacrées à l’index général.

Pour conclure, le dernier volume de L. Pernot montre encore une fois la très grande maîtrise du sujet par l’auteur. Malgré un nombre restreint de pages, ce livre s’avère d’une grande utilité, non seulement pour le public d’étudiants anglophones pour lequel il a été pensé, mais aussi pour tout jeune chercheur qui veut approcher pour la première fois la rhétorique ancienne et, en particulier, épidictique. Il nous semble important d’ajouter que nous ne trouvons pas dans cet ouvrage de mots écrits en grec, car tout a été translittéré pour augmenter le nombre potentiel de lecteurs. Néanmoins, de nombreuses citations d’auteurs anciens (notamment Ménandre le Rhéteur, Isocrate et Quintilien) sont proposées en traduction ; elles auraient peut-être eu besoin, toutefois, d’un index locorum dédié.

Avec son écriture claire et son contenu riche et varié, L. Pernot permet à son volume de répondre pleinement aux prémices posées et au sous-titre évocateur qu’il lui a donné.

Matteo Deroma, Université de Nantes

Publié en ligne le 05 février 2018