Huitième volume de la série des publications dédiées au site antique d’Iasos en Carie, le livre écrit par Nicolò Masturzo est le second qu’il consacre à la zone située au sud de l’agora, près de la porte septentrionale de la ville. Dans son premier ouvrage, paru en 2016 sous le titre Il tempio distilo d’età ecatomnida e l’architettura ionica, l’auteur avait porté son attention sur le petit temple d’Aphrodite découvert au centre du sanctuaire dont les autres ruines occupent sa nouvelle recherche. Du beau travail que cette enquête a inspiré, Nicolò Masturzo a tiré une précieuse synthèse de près de 200 pages à laquelle répondent les contributions d’autres spécialistes intéressés par le même secteur archéologique. Toutes seront présentées ci-après dans l’ordre où elles ont été publiées.
Les vestiges encore en élévation au sud de l’agora d’Iasos étaient connus bien longtemps avant le début des fouilles menées sur place par la Missione archeologica italiana di Iasos en 1967-1975 puis en 2007. Les trouvailles qui en résultèrent, parmi lesquelles la fameuse lettre de la reine séleucide Laodice III aux Iasiens (IK, 28-Iasos, n° 4), permirent notamment de réviser l’interprétation de ces ruines. La découverte de nombreuses pièces très anciennes sous les portiques du péribole d’Aphrodite indique que, dès l’époque archaïque, l’endroit fut un quartier résidentiel et qu’il le resta jusqu’à la fin de l’époque hellénistique. C’est alors que celui-ci fut démoli pour laisser place, au IIe siècle a.C., à deux longs portiques doriques orientés nord-sud et dont la construction pourrait être liée aux activités gymniques de la cité. Par la suite, ces derniers furent barrés, d’abord au nord au
Ier/IIe siècle p.C., puis au sud sous le principat de Commode, par deux portiques supplémentaires (l’un dorique, l’autre ionique) et par les deux exèdres dites de Dioclès identifiées d’après l’inscription dédicatoire, encore in situ, IK, 28-Iasos, n° 251. Cet aménagement imposant, auquel il convient d’ajouter une troisième exèdre, plus ancienne que celles de Dioclès et dans laquelle Nicolò Masturzo verrait « un magazzino di cose pubbliche », voire « una oploteca » (p. 176), marque l’apogée du complexe (sur l’utilisation religieuse des exèdres d’après une monnaie perdue du temps de Caracalla, cf. notre étude[1]). Abandonné au IVe siècle p.C. et bouleversé sans doute par des tremblements de terre, celui-ci retrouve progressivement sa fonction première de quartier résidentiel mais aussi de zone artisanale, comme en témoignent les traces d’habitats et d’ateliers datées des époques byzantine, arabe et ottomane.
Plus au nord, près du bouleutérion, une occupation humaine très ancienne, remontant cette fois à la fin de l’Âge du Bronze, est également attestée. À cet emplacement, le quartier d’habitation, dont on peut suivre les évolutions depuis les temps archaïques, est rasé à la fin de l’époque classique au profit d’un premier bouleutérion avoisinant un archeion (cité dans l’épigraphie locale) d’une taille à peu près comparable. En service jusque dans la première moitié du IIe siècle p.C., cette construction fut remplacée par un édifice du même genre plus imposant : le bouleutérion encore visible aujourd’hui.
Fort de ces observations, Nicolò Masturzo a constaté que l’urbanisme iasien et son évolution ressemblaient beaucoup à ce que l’on pouvait déjà observer dans les îles de la mer Égée et dans des cités côtières de l’Asie Mineure comme Smyrne, Éphèse et Milet, à savoir un aménagement spontané consistant d’abord en petites pièces évoluant vers des ensembles plus complexes et des bâtiments aux dimensions conséquentes. Sans doute les Hécatomnides jouèrent-ils un rôle appréciable dans la promotion urbaine d’Iasos, ce dont l’entrée monumentale aménagée dans l’angle sud-ouest de l’agora pourrait être un souvenir. En revanche, les importants travaux de restauration du mur d’enceinte relevés dans le secteur étudié par Nicolò Masturzo sont beaucoup plus tardifs et datent très probablement des IVe‑Ve siècles p.C. après les dégâts causés dans la région par l’invasion gothique du IIIe siècle.
Parmi les contributeurs complétant le travail de Nicolò Masturzo, Fulvia Bianchi consacre deux études, l’une aux vestiges (p. 209-219), l’autre aux éléments d’architecture (p. 221-255) des portiques du péribole d’Aphrodite. Après un examen très précis de chaque pièce sous la forme de catalogues, l’étude des blocs conservés de la crépis et du stylobate montre que les parties les plus tardives de ces constructions ont été réalisées, sous le principat de Commode, à partir d’éléments récupérés.
En ce qui le concerne, Nicola Cucuzza (p. 258-264) s’intéresse à des fragments de pithoi à reliefs mis au jour dans la partie sud de l’agora d’Iasos. Ayant servi probablement de sépultures dans la nécropole archaïque découverte au même endroit, ces derniers, de manufacture rhodienne ou cycladique semble‑t‑il, sont datés entre la seconde moitié du VIIIe et le VIIe siècle a.C.
Carlo Franco (p. 265-271) revient quant à lui sur l’inscription IK, 28-Iasos, n° 90, en faveur de Dionysios fils de Mélantos, prêtre d’Agrippa Postumus. Gravé, sous une statue en partie conservée, sur une base en marbre à l’angle des portiques ouest et sud du péribole d’Aphrodite, le document est dans un très bon état de conservation. S’il atteste l’existence d’un culte civique en l’honneur du fils de Marcus Vipsanius Agrippa à Iasos, il ne permet pas toutefois de dire pourquoi la cité l’a mis en place entre 4 et 6 p.C., quand le jeune prince occupait une place de choix dans l’entourage de l’empereur Auguste. Selon Carlo Franco, peut-être le rôle joué par Marcus Agrippa en Asie Mineure a-t-il permis la constitution d’un réseau de soutien durable dans lequel figuraient les Iasiens qui, des années plus tard, rendirent hommage à son fils de la façon que l’on sait.
Frédéric Imbert (p. 273-278) se penche pour sa part sur une inscription plus tardive, gravée à la fin du VIIIe-début du IXe siècle p.C. sur la façade de l’exèdre du péribole d’Aphrodite. Les deux courtes lignes du texte indiquent, en arabe, que l’endroit (maskan) est la résidence d’un client (mawlā) dépendant d’un certain ‘Īsā b. Ammār (lecture non assurée) et que, par conséquent, il ne saurait tomber en d’autres mains. Frédéric Imbert ajoute à sa réflexion un tesson de poterie trouvé à l’est du bouleutérion et sur lequel est inscrit, également en arabe, Abū ‘Alī, « le père d’Ali », sans doute au VIIIe siècle p.C. Comme le souligne Frédéric Imbert (p. 277), « il était très courant, dès les premières générations de l’Islam, de marquer sa vaisselle ou ses ustensiles destinés à la cuisson en y apposant son nom. Dans un contexte où la cuisine se préparait souvent en commun, il était alors aisé de retrouver son plat ou sa casserole ».
Enfin, Enrico Cirelli (p. 279-283) fait connaître une amphore ovoïde à deux anses presqu’intacte du Xe ou du XIe siècle. Mis au jour près des exèdres de Dioclès, ce nouvel objet, servant probablement à transporter du poisson en saumure, est un témoignage supplémentaire de la fréquentation des lieux après l’Antiquité, période encore mal connue de l’histoire d’Iasos.
À cette dernière contribution succèdent deux courts appendices. Le premier (p. 287‑289) donne la liste des structures bâties mises au jour à l’est du bouleutérion et étudiées par Nicolò Masturzo. Le second (p. 291-296) dresse le tableau des trouvailles mentionnées par celui-ci dans sa synthèse et auxquelles sont ajoutées les références bibliographiques grâce auxquelles certaines découvertes ont déjà été portées à la connaissance du public. La lecture du volume s’achève par un beau cahier de 109 planches photographiques, pour la plupart en noir et blanc, illustrant avantageusement les contributions auxquelles elles correspondent, et par un jeu très utile, car détachable, de cinq plans très détaillés et de deux photographies en couleur des trois exèdres au sud du péribole d’Aphrodite.
Fabrice Delrieux, Université de Savoie
Publié dans le fascicule 2 tome 124, 2022, p. 617-619.
[1]. « Les témoignages isiaques sur les monnaies grecques de Carie et d’Ionie aux époques hellénistique et romaine » dans L. Bricault dir., Isis en Occident, Leyde-Boston 2004, p. 347-350.