Le volume est le sixième d’une collection dédiée à la géographie ancienne (Monografías de GAHIA), au sein de laquelle ont paru à un rythme régulier et soutenu, depuis 2016, quatre recueils de contributions, ainsi qu’une monographie sur la représentation de l’Ibérie et de la Gaule chez les géographes anciens. Ce nouveau livre réunit, en l’honneur d’un spécialiste italien de géographie ancienne dont chacun connaît la réputation, dix-huit contributions dont le thème commun est principalement le dialogue entre le texte et la carte chez les auteurs anciens et, pour les trois dernières, chez des savants de la Renaissance et de l’époque moderne, en passant, avec l’étude d’Inmaculada Pérez Martín, par le Moyen-âge byzantin.
Les éditeurs (p. IX-XIII), après une courte présentation de la collection et des volumes déjà parus, rappellent que le présent ouvrage tire son origine d’un colloque tenu à Malaga les 8 et 9 décembre 2018, et proposent un rapide compte rendu des contributions qu’il renferme, après avoir souligné l’importance du rôle de Francesco Prontera. Didier Marcotte, sous le titre « Geographorum artifex sodalitatis » (p. XIX-XXV), retrace en quelques pages le parcours de F. Prontera et la place de premier plan qu’il occupe dans le domaine des études consacrées aux géographes anciens. On trouve aux p. XXVII-XXXVIII une liste complète des nombreuses publications (de 1972 à 2020) du savant italien.
C’est F. Prontera lui-même (« Tolemeo e la geografia degli antichi », p. 39-49), qui signe la première contribution de l’ouvrage, mettant en lumière le fait que les progrès de la cartographie ptoléméenne constituent aussi, paradoxalement, des reculs du point de vue d’une géographie plus concrète et moins empreinte d’abstraction mathématique, et que l’œuvre de Ptolémée se trouve, du point de vue de la géographie humaine, privée du rapport à la réalité. F. J. Gómez Espelosín (« Tan cerca, tan lejos. Asia Menor en la percepción geográfica griega (de Homero al siglo IV A. C.) », p. 51-71) étudie ensuite la perception et la description de l’Asie Mineure d’Homère à l’expédition des Dix-Mille, en passant par Hérodote. P. Arnaud (« Les sources du Stadiasme et la typologie des périples anciens », p. 73-102) se livre à une minutieuse étude de la structure et des sources du Stadiasme, qui s’avère, dans ses différentes parties, relever de traditions géographiques diverses, et se résumer à une compilation de compilations. S. Bianchetti (« La geografia delle aree estreme (nord-est) nella “carta” alessandrina », p. 103-119) étudie les sources utilisées par Ératosthène dans sa construction du nord-est de la terre habitée, et conclut au recours à une documentation d’origine séleucide plus ample que ce que les fragments laissent entrevoir (au-delà du seul Patrocle), elle-même empruntant des éléments d’origine perse. S. Panichi (« Artemidoro, il Νότου Κέρας e il sud dell’ecumene », p. 121-142) voit en Artémidore l’adepte d’une géographie moins théorique et plus pragmatique que celle de son prédécesseur Ératosthène, notamment dans ses calculs de largeur et de longueur de l’écumène. C’est à César géographe que P. Moret (« César et la géographie de la Gaule », p. 143-182) consacre ensuite ses réflexions, proposant une reconstruction de la Gaule telle que la décrit le général romain, et revenant vigoureusement sur les interpolations souvent invoquées par le passé pour expliquer certaines contradictions dans le texte du De Bello Gallico. Trois contributions sont enfin consacrées à Strabon. E. Sideri (« Alpi ed Appennini : note sull’orografia nell’Italia di Strabone », p. 183-195) montre que l’orographie, dans les livres dédiés à l’Italie par le Géographe, joue comme un élément véritablement structurant, et R. Nicolai (« Il libro e la carta. Note sulla terminologia cartografica nella Geografia di Strabone », p. 197-216) revient sur la question souvent abordée de savoir si la Géographie était accompagnée d’une carte. Après une étude minutieuse des occurrences des termes de πίναξ et de γραμμή, l’auteur conclut que, pour lire les prolégomènes de Strabon, le recours à la carte est nécessaire, mais que, dans la mesure où le Géographe fait allusion à des cartes de grande dimension, elles n’accompagnaient sans doute pas le texte – rédigé à l’usage de savants qui consultaient la Géographie dans des bibliothèques (Rome ou Alexandrie) où des cartes murales se laissaient observer en appui de la lecture. H.-J. Gehrke (« Strabo und Germanien », p. 217-247) étudie quant à lui la représentation de la Germanie et des Germains chez le Géographe.
Deux contributions sont ensuite dédiées aux livres géographiques de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. A. Haushalter (« Un chevalier romain historien de la géographie grecque : l’hommage empoisonné de Pline l’Ancien à Ératosthène de Cyrène », p. 249-262) revient sur l’opposition traditionnelle entre la géographie grecque et une géographie romaine prétendument plus concrète, pour montrer qu’on enregistre in fine aucun progrès significatif en géographie mathématique entre Hipparque et Ptolémée, géographes grecs et romains disposant plutôt d’une culture commune dans laquelle le climat est devenu une « pratique empaillée, révérée sans doute, mais inusitée ». Pilar Ciprés (« Los datos geográficos como fuente histórica. Plinio e Hispania : algunas cuestiones sobre el ordinamiento de su descripción geográfica », p. 263-284) revient quant à elle sur l’Espagne de Pline, dont les données sont minutieusement comparées aux sources épigraphiques concernant l’organisation administrative des provinces romaines de la péninsule. M. Albaladejo Vivero (« Del Mediterráneo al Índico : los estrechos del Mar Rojo », p. 285-304) étudie la description géographique et l’importance historique de cette région, revenant en particulier sur la question d’un canal reliant Méditerranée et Mer Rouge dans l’Antiquité.
F. J. González Ponce (« La Periplografía griega en los escolios a Apolonio de Rodas », p. 305-329) revient quant à lui sur le corpus des scholies aux Argonautiques, où sont cités divers périplographes, et que l’auteur propose de mettre en lien avec les « projets éditoriaux » de l’Antiquité tardive et du Moyen-âge byzantin, représentés pour nous par les célèbres Palatinus Heidelbergensis 398 et Parisinus suppl. gr. 443. P. Counillon (« Pynax Dionysii», p. 231-247) consacre son étude à Denys le Périégète, abordant le problème de la carte utilisée par le poète, et de la carte qu’il construit lui-même dans son poème.
I. Pérez Martín (« La Aportación bizantina a las ilustraciones de Meteorologica : a propósito del mapamundi del ms. Salamanca 2747 », p. 349-382) étudie les illustrations à caractère géographique du Salmanticensis d’Aristote, copié à Byzance dans la seconde moitié du XIIe s., et dont le modèle doit être mis en lien avec l’activité de Michel Psellos. La Renaissance italienne est au cœur des trois dernières contributions du volume. K. Geus (« … in ordine superiore post Spoletum. Überlegungen zum Umbrien-Kapitel in Flavio Biondos Italia Illustrata», p. 383-397) met en lumière l’utilisation par l’humaniste de documents à caractère non littéraire, et remet en cause une exploitation directe de Strabon dans l’Italia Illustrata. P. Gautier Dalché (« Francesco Patrizi et la géographie antique », p. 399-419) étudie le développement consacré par Patrizi à l’histoire de la géographie antique dans son traité politique De Regno regisque intitutione. P. Janni (« Carte nautiche nell’ Antichità ? Una discussione fra Cinque e Seicento », p. 421-432) retrace les lointaines origines du débat relatif à la question de l’existence de cartes marines dans l’Antiquité, en présentant les arguments contradictoires à ce sujet de Girolamo Ruscelli (1516-1566) et de Bartolomeo Crescenzi (né en 1565), ce dernier attribuant aux Anciens la connaissance de la boussole.
Le recueil consiste ainsi en une collection de contributions solides et aux objets les plus variés, qui illustrent habilement les divers aspects de l’articulation entre écriture géographique et cartographie.
Pierre-Olivier Leroy, Docteur de l’Université de Reims
Publié en ligne le 17 janvier 2023.