Foisonnante, complexe, multi-forme, l’œuvre d’Ausone a bénéficié ces dernières années de nombreux travaux nouveaux, qu’il s’agisse d’éditions ou d’ouvrages critiques. Éditions critiques et traductions en diverses langues, assorties de commentaires, (Schonberger 2000[1], Kay 2001, Cavarzere 2003, Dräger 2004, Amherdt 2004, Combeaud 2010, Gruber 2013, Cazzuffi 2014), articles sur des points de détails, ou inscrivant Ausone dans l’esthétique générale de l’Antiquité tardive (Consolino 2009, Garambois Vasquez 2012, Dolveck 2015, Mattiaccci 2013, Mondin 2008, Scaffloglio 2013, etc.), colloques à vocation totalisante (Mondin 2006, Wolff 2015), ou encore travaux sur la réception d’Ausone (Wolff colloque 2017 publication 2019) ont fleuri ces vingt dernières années. Cependant, les études ausoniennes présentent deux écueils : trop myopes elles se concentrent sur des points de détails de l’œuvre, ou au contraire, elles incluent trop largement l’auteur dans le panorama de la poétique de l’Antiquité tardive. De fait, assez rares sont les projets de monographies thématiques sur Ausone, tant son œuvre est complexe, diverse et fragmentaire. Toute volonté de synthèse est donc bienvenue dans le monde des études ausoniennes.
Il relève donc de la gageure de trouver un angle d’étude original, ou de tenter sur Ausone l’exercice de la monographie. Cet ouvrage de Florence Garambois-Vasquez entend centrer l’étude de cet auteur sur sa représentation de la Nature, et sur les liens qu’il établit avec l’Art, point que Florence Garambois-Vasquez présente avec raison d’emblée comme central dans l’œuvre du poète bordelais. Florence Garambois-Vasquez est l’auteure de plusieurs travaux à la fois sur Claudien, sur Ausone, sur la représentation de la Nature dans l’Antiquité et sur la poétique de l’Antiquité tardive. L’excellente connaissance qu’a Florence Garambois-Vasquez de la littérature de cette période lui permet donc de procéder dans son ouvrage à de nombreux rapprochements intertextuels et à des mises au point contextuelles et méthodologiques tout à fait éclairants. Elle entend de surcroît s’appuyer à la fois sur des textes très commentés et connus – la Moselle, par exemple, pour ne citer que le plus fameux – mais également plus confidentiels – le Gryphus, le Cento Nuptialis, certaines épigrammes, etc.–
L’introduction, d’une dizaine de pages, procède à un état des lieux très complet des études ausoniennes (nous noterons plus bas quelques ajouts possibles), ainsi qu’à une intéressante mise au point méthodologique. Florence Garambois‑Vasquez aborde en effet à cet effet plusieurs points de mise en contexte. Mais préalablement à ces précisions méthodologiques, elle a soin de procéder à une mise au point bibliographique sur la biographie d’Ausone, mais également sur sa tradition manuscrite, au moyen de plusieurs notes très fournies sur ces questions à la fois très vastes et très rebattues, auxquelles elle intègre de façon tout à fait pertinente tant des travaux anciens (Étienne 1964 pour la biographie ausonienne, Pasquali 1952 pour la tradition manuscrite, etc.) que très récents (Turcan‑Verkerk 2002, Dolveck 2015). D’autre part, Florence Garambois‑Vasquez dresse un état des lieux très complet des tendances en matière d’études portant sur l’esthétique d’Ausone, soulignant par ailleurs l’absence d’une véritable monographie sur l’œuvre complète du poète. L’approche méthodologique proposée par Florence Garambois-Vasquez pour entrer dans cette œuvre foisonnante et complexe est double. Il s’agit tout d’abord d’utiliser les outils proposés par les théoriciens modernes de la description, approche quelque peu originale, mais néanmoins tout à fait féconde, et dans la droite ligne de certains critiques modernes, comme Denis Reynaud, Johan Heilbron et Gisèle Sapiro, ou plus anciens comme Tzetan Todorov ou Steen Jansen – qu’on aurait aimé voir plus largement cités en notes et en bibliographie –. Il s’agit également pour Florence Garambois‑Vasquez, de façon plus attendue, mais également indispensable, de considérer l’œuvre d’Ausone à la lumière des deux notions, fondamentales en poétique de l’Antiquité tardive, d’intertextualité et d’intentionnalité (l’intentionnalité étant entendue comme « une manifestation de la détermination de la conscience » (p. 14). Un autre point fondamental à prendre en compte dans l’étude du thème de la Nature dans l’Antiquité tardive est bien sûr celui du christianisme, qui donne un tout autre sens à ce terme de « Nature », et porte le locus amoenus au rang de preuve de la Providence divine.
Le plan adopté pour l’ouvrage est progressif et développe de façon complète les différents aspects de la question. Une première partie (p. 19 à 62) revient sur la représentation de la nature chez Ausone, notamment à travers le paradigme de la Moselle. Une seconde partie (p.63 à 96) traite des rapports entre Art et Nature, enfin, une troisième partie (p. 97 à 159) aborde cette question sous des rapports plus évidemment métapoétiques. Cette progression est à la fois claire et pédagogique, et permet de balayer un certain nombre de thématiques liées à la question centrale. Florence Garambois‑Vasquez ne manque d’ailleurs jamais de procéder à une mise au point méthodologique en début de chaque chapitre, afin de remettre la question de la Nature et de l’Art en contexte, à partir des considérations des auteurs et théoriciens classiques qui sont bien sûr familiers à Ausone. Florence Garambois-Vasquez navigue par ailleurs aisément, tout au long de son ouvrage, entre études de textes très précises et analyses plus générales.
La première partie s’intitule « la Nature selon Ausone » (p. 19 à 62). Après une rapide introduction récapitulant à grands traits la représentation de la nature chez les Anciens (nature comme espace des Dieux, nature comme représentation de la simplicitas ancienne), Florence Garambois-Vasquez revient sur le sens de natura à Rome, conçue tout d’abord comme une origine, puis une puissance créatrice et universelle. Ausone, quant à lui, utilise le mot nature pour désigner le monde qui l’entoure (le paysage). C’est sur cette notion que se focalise donc Florence Garambois-Vasquez, qui offre des notes très touffues sur l’état des lieux bibliographique sur la Moselle, et offre plusieurs études précises de textes débouchant sur la caractérisation de la Moselle comme locus amoenus par excellence, lieu où l’Homme peut se ressourcer, dans un sens presque religieux. La Moselle renferme, selon l’auteure, le paradigme complet de la Nature chez Ausone, même si elle prend soin d’inclure dans son analyse des textes moins connus comme la lettre 24 à Paulin, ou encore le De Herediolo. Mais la nature, domestiquée, est également le lieu de l’émerveillement poétique, lieu de la création, lieu en quelque sorte encadré par la création. Florence Garambois-Vasquez ne néglige pas non plus d’inclure un élément important de la Nature, quoique souvent sous-étudié : la faune. À cette occasion elle ne se focalise par uniquement sur les poissons de la Moselle, mais balaie tout le corpus poétique ausonien, pour trouver des occurrences idoines et les commenter.
La deuxième partie s’articule autour des « Rapports entre l’Art et la Nature » (p.63 à 96). Florence Garambois-Vasquez fait un retour tout à fait bienvenu au concept d’ars dans l’Antiquité, et plus spécifiquement à celui de mimesis. Ce chapitre s’articule donc ensuite autour de plusieurs idées principales. Tout d’abord, le fait qu’Ausone s’inscrive clairement dans l’idée, par ailleurs classique dans l’Antiquité tardive, que l’art peut embellir la Nature. D’autre part, Florence Garambois‑Vasquez développe l’idée également très présente dans l’Antiquité tardive que l’Art tend même souvent à dépasser la Nature. On note que Florence Garambois‑Vasquez livre dans ce chapitre l’étude très précise de plusieurs textes classiques, comme le cycle d’épigrammes sur la Vache de Myron, ou moins classiques – certaines épigrammes comme l’épigramme 12 Occasio et paenitentia, ou le cycle d’épigrammes sur Rufus (51 et sq.) –. Tout au long de ce chapitre, Florence Garambois‑Vasquez multiplie par ailleurs les références heureuses au corpus épigrammatique grec : sont convoqués Callistrate, Himérios, Callimaque, Posidippe, les deux derniers par ailleurs n’apparaissent cependant pas dans l’index final.
Une troisième partie aborde le versant métapoétique de la question (« Une poétique de la réflexivité et de la représentation » p. 97 à 161 159). Ce chapitre final, plus long que les précédents, s’appuie sur le postulat, particulièrement développé par Perrine Galland‑Hallyn (1994) et Alain Deremetz (1995), que la littérature latine est essentiellement auto-réflexive. C’est dans ce cadre que Florence Garambois-Vasquez revient sur les métaphores utilisées pour représenter le texte d’Ausone : celle du poète-artisan, le songe, le jeu, etc. Dans ce troisième chapitre, Florence Garambois‑Vasquez, a clairement le souci de constituer une somme très complète sur l’aspect métapoétique de l’œuvre d’Ausone, et un catalogue très fourni des différentes métaphores de la création poétique utilisées par le poète (le fleuve, le jeu, le tissage, etc.). Le lecteur amateur de poétique de l’Antiquité tardive sera également très sensible au soin qu’apporte Florence Garambois-Vasquez à toujours inscrire ces métaphores métatextuelles dans le contexte général de la poétique de l’Antiquité tardive avec de constants renvois à des auteurs contemporains (Claudien, Prudence, etc.) ou plus tardifs (Sidoine Apollinaire – qui n’apparaît d’ailleurs pas dans l’index nominum final – Ennode, etc.). On regrette que n’aient pas davantage été mises en valeur les métaphores naturelles (le fleuve, le jardin), au cœur de ce rapport que fait Ausone entre l’Art et la Nature, surtout lorsqu’on considère les excellents travaux réalisés par Florence Garambois-Vasquez sur la dimension métapoétique de la représentation de la source d’Apone chez Claudien.
La conclusion de l’ouvrage note l’importance de l’otium littéraire chez Ausone, et de la description de la nature dans l’art comme une façon à la fois de dépasser les vicissitudes du temps et d’admirer les miracles du monde.
Une bibliographie sur Ausone ne saurait être exhaustive, mais celle de Florence Garambois‑Vasquez balaie bien les travaux récents et les travaux anciens sur Ausone. On peut déplorer l’absence de l’ouvrage collectif – ou du moins l’évocation du colloque en question, car au moment de la rédaction du présent ouvrage, les actes n’étaient probablement qu’en cours de publication – issu du colloque de Nanterre de 2015 « Ausone en 2015 » qui entendait pourtant faire une somme des études ausoniennes (Wolff 2018). Par ailleurs on déplore l’absence dans la bibliographie générale de quelques ouvrages pourtant cités dans le corps de ce livre : la thèse de Franz Dolveck et sa version publiée, le tableau de la généalogie d’Ausone de Robert Étienne (1964) par exemple, ou encore l’anthologie de Philippe Hamon sur la description littéraire, dont l’évocation est méthodologiquement tout à fait cruciale. L’auteur a par ailleurs eu l’excellente idée de réaliser un index locorum et nominum des plus idoines puisqu’il permet de se reporter aux commentaires de certains textes relativement confidentiels et de saisir la dimension clairement métapoétique de l’œuvre d’Ausone. Cet outil est tout à fait intéressant pour l’érudit à la recherche de commentaires très précis de l’œuvre d’Ausone.
L’intérêt de cet ouvrage est donc multiple. Il faut tout d’abord saluer la volonté de Florence Garambois-Vasquez de se livrer à l’exercice de la monographie, sur le corpus poétique particulièrement difficile d’Ausone, en naviguant sans cesse entre généralisation et étude précise des textes. Et de fait, la monographie offre une somme très complète sur la question de l’Art et de la Nature chez Ausone, question que l’auteure de cet ouvrage décrit très bien comme centrale et au cœur de la poétique ausonienne. Cette question est par ailleurs parfaitement inscrite par l’auteure dans les études ausoniennes, à travers la question de la tradition manuscrite, de la dimension métapoétique, et de celle du ludus otiosus. De plus, Florence Garambois-Vasquez offre, tout au long de son étude, et pour appuyer sa réflexion, des commentaires de certains textes moins rebattus et commentés que la classique Moselle. De surcroît, d’un point de vue méthodologique, Florence Garambois-Vasquez fait le choix très judicieux et enrichissant d’ajouter aux traditionnels paradigmes de l’intertextualité et de l’intentionnalité celui de l’étude fine de la description, davantage emprunté aux commentateurs de textes modernes. On apprécie également l’utilisation que fait Florence Garambois-Vasquez de l’outil méthodologique que constitue la vision métalinguistique des textes latins tardifs, et qui est de fait tout à fait appropriée dans le cas de la poésie d’Ausone. On ne peut regretter que de menues coquilles, au niveau du report des éléments bibliographiques, et des auteurs manquant dans l’index, ainsi que peut-être une mise parfois au second plan, dans la troisième partie, de la question de la Nature.
Camille Bonnan-Garçon, Université Jean Moulin Lyon 3
Publié dans le fascicule 1 tome 122, 2020, p. 368-371
[1]. Les références noms-dates renvoient à la bibliographie de l’ouvrage ci-recensé.