Ce recueil de 16 contributions publiées sous la direction de quatre spécialistes de la Grèce et de Rome, est le fruit d’une recherche pilotée par Nicole Belayche (EPHE) et menée dans le cadre du programme « Figura » auquel collaborent diverses institutions et quatre universités européennes. Il s’articule autour de trois thématiques : la mise en scène du divin, la façon de voir les dieux et de penser le divin, ainsi que les effigies éphémères. Ce n’est pas un sujet neuf et les responsables de la présente édition en ont bien conscience. Dans une brève introduction, ils peinent à justifier l’originalité de leur entreprise en mettant l’accent sur les conditions de la mise en images du divin et la question de son efficience.
Bernard Holtzmann ouvre la première partie (p. 13-150) par l’étude de la mise en scène du divin en traitant des différentes statues d’Athéna sur l’Acropole d’Athènes (p. 13-25). Il affirme ou plutôt réaffirme la singularité de la Parthenos de Phidias qui n’a jamais eu de culte. Dans le Parthénon qui lui sert d’écrin, il voit « un monument politique où s’amorce la laïcisation de l’art » (p. 24). Didier Viviers s’intéresse à la mobilité des images du divin dans le cadre des processions grecques (p. 27-38). À l’apparition de la statue de culte vécue comme une véritable épiphanie, il oppose la mise en scène du cortège dont il souligne la vocation sociale, militaire ou éducative. Dans le premier cas, la statue, sortie du sanctuaire, diffuse le divin dans l’espace civique ; dans le second, le divin est instrumentalisé et récupéré pour sacraliser la procession et plus précisément son ou ses commanditaires. Sous le titre « Genius Augusti. Construire la divinité impériale en images » (p. 39-76), la contribution d’Emmanuelle Rosso porte sur le culte du Genius du prince introduit entre 12 et 7 avant notre ère. Sa démonstration qui s’appuie sur un riche dossier iconographique croise deux traditions, l’une relative aux Genii, l’autre aux images des empereurs. Elle démontre comment la divinité du Genius s’affirme progressivement à Rome et dans les provinces pour permettre à l’empereur par la médiation de son double de prendre part aux cultes des habitants de l’empire. Pour Dirk Steuernagel, la proximité que les fidèles entretiennent avec la divinité par des ex-voto, va de pair avec la distance que les prêtres et les notables cherchent à maintenir par toutes sortes de procédés durant la période hellénistique (p. 77-97). Françoise Van Haeperen s’intéresse au culte de Cybèle introduit à Rome à la fin de la deuxième guerre punique (p. 99-118). Elle propose au lecteur de la suivre dans un parcours iconographique qui conduit des portraits des desservants du culte aux autels tauroboliques. Elle discerne deux étapes dans le taurobole. Une cérémonie initiatique, réservée au cercle des initiés, succéderait au rituel accompli au grand jour pour le salut de l’empereur. L’enquête menée par Jean-Yves Marc et Emmanuelle Rosso sur la statue de culte du type Mars Ultor trouvée dans le sanctuaire de la ville romaine de Mandeure (Doubs), est fondée sur un dossier iconographique et stylistique très complet, analysé avec une rigueur toute scientifique (p. 119-150). Elle enrichit le dossier peu documenté des statues marmoréennes des Gaules. Ce Mars monumental, composé d’un assemblage de marbre et de calcaire, tout en n’étant pas une réplique du Mars Ultor romain, appartient à « l’horizon à la fois symbolique, religieux et stylistique du Forum d’Auguste et de ses répliques », dans les provinces occidentales (p. 136).
La deuxième partie : « Voir les dieux, penser le divin », comprend également 6 contributions (p. 153-291). En prenant comme point de départ l’amphore d’Eleusis attribuée au « Peintre de Polyphème » et datée de 670-650, Deborah Steiner s’interroge sur le choix du peintre de représenter les deux Gorgones d’après les protomés des chaudrons de bronze de style orientalisant, utilisés comme offrandes depuis le début du VIIe siècle (p. 153-174). Elle met cette image en relation avec les sons qui caractérisent les êtres démoniaques ou divins. Alors que les temples égyptiens ont vocation à cacher l’image divine, Youri Volokhine (p. 175-194) fait de leurs chevets le lieu où s’exprime le besoin populaire de voir le dieu. Les reliefs cultuels, mis en valeur par un coffrage et rehaussés d’or, sont des images visibles du dieu caché. Valérie Huet et Stéphanie Wyler cherchent à mettre en évidence la logique qui préside aux associations des images divines dans les maisons à laraires multiples de Pompéi (p. 195-221). Caroline Michel d’Annoville s’appuie sur l’ouvrage d’Arnobe, Contre les Gentils, pour comprendre la perception chrétienne de l’image des dieux au tournant du IIIe siècle. Elle situe la position de ce rhéteur chrétien, pétri de culture classique, dans la polémique qui l’oppose aux philosophes Porphyre et Jamblique (p. 223-240). Dans son article « La double motivation. L’emprise d’Homère et d’Euripide sur l’imagerie de Grande-Grèce », Thomas Morard ouvre le dossier des vases italiotes de la seconde moitié du IVe siècle par l’étude de leur décor peint (p. 241-268). Il interprète la superposition des dieux et des hommes en deux zones distinctes dans la tradition iconographique et non selon une conception littéraire pour laquelle toute image refléterait l’univers tragique, de préférence celui d’Euripide. Enfin, Joannis Mylonopoulos démontre que les représentations religieuses ont toujours oscillé entre simplicité et ostentation, entre éloge et critique (p. 269-291).
La troisième partie « Effigies Éphémères » est la moins étoffée (p. 295-360). Laurent Coulon s’intéresse à la singularité des effigies d’Osiris fabriquées à l’occasion des fêtes qui lui sont consacrées chaque année (p. 295-318). Ephémères, elles sont condamnées à être enterrées ou jetées à l’eau. Il démontre que ces figurines ont la même vocation que la statue d’Osiris dans le temple, car elles s’inscrivent dans un renouvellement inexorable du temps et sont l’objet d’un culte. Françoise Frontisi-Ducroux reprend un dossier qu’elle a déjà abondamment traité, celui de Dionysos et de ses représentations (p. 319-335). En se fondant sur une documentation iconographique et littéraire, elle distingue le masque du phallos. Si le second est un agalma destiné à réjouir le dieu, le premier fonctionne comme une statue et est donc essentiel à la pratique rituelle. Sylvia Estienne s’intéresse aux émotions provoquées par la manifestation du divin dans les processions romaines (p. 337-349). Elle analyse la place des dieux dans le cortège ainsi que les effets visuels, olfactifs, auditifs qu’ils provoquent. Grâce à une théâtralisation de tous les instants, l’espace de la procession ainsi créé est à la fois « éphémère et dynamique ». Enfin, Peter Stewart apporte une petite touche d’exotisme à ce recueil en sortant de l’espace méditerranéen pour interroger un lieu de culte indien situé dans un jardin public de Bengalore (p. 351-360). Sur une photo de médiocre qualité, on voit une termitière couverte de sculptures et de tableaux et qui reçoit des offrandes sous forme de fleurs, de libation, de nourriture à des dates précises. La dévotion dont ce lieu de culte contemporain est l’objet, renvoie pour Peter Stewart à la vanité de toute étude sérieuse sur la pratique religieuse romaine, étant donné le faible nombre de reliefs votifs parvenus jusqu’à nous.
Dans une conclusion plus explicite que l’introduction (p. 361-369), Francis Prost rappelle la logique qui préside au choix des thématiques ainsi que les étapes d’une recherche toujours en cours. Il enrichit sa réflexion de commentaires sur le relief votif du sanctuaire d’Asclépios d’Athènes, daté du IVe siècle, et sur le temple d’Hadrien édifié en 138. Par ailleurs, il met en relation les différentes contributions avec l’image du dieu dans sa matérialité et ses mises en scène.
La facture de l’ouvrage manque de soin. Si certains cahiers iconographiques sont de belle qualité, les reproductions en noir et blanc sont le plus souvent déplorables. Les responsables de la présente édition ne se sont pas souciés d’établir un index. L’ordre de présentation des contributions dans chacune des parties semble aléatoire. Les articles ne sont pas résumés en français et en anglais, ce qui leur aurait donné une plus grande audience.
À lire ce recueil, il apparaît que le divin se construit en fonction de sa présence et sa représentation. Si les stratagèmes et les artifices destinés à provoquer une proximité sont scrutés et analysés, la régulation et le contrôle des émotions par les autorités religieuses et politiques, sont moins développés.
Geneviève Hoffmann
mis en ligne le 4 juillet 2016