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L’introduction définit clairement le sujet et l’angle d’approche : la maison étant un espace de vie, elle sert ici d’outil pour interroger les idées romaines sur l’intimité privée (privacy), dans un monde qui n’oppose pas strictement privé et public. Plus précisément, le livre se concentre sur les contestations en tension avec l’exercice du pouvoir, sous les Julio-Claudiens, c’est-à-dire quand s’installe la première dynastie impériale. De fait l’empereur se trouve au centre de ces questions et la domus impériale en est un symbole. La démarche semble claire, le recours aux théories d’Hanna Arendt place la réflexion à un niveau de synthèse intéressant ; des généralités suivent, sur le pouvoir d’Auguste, puis sur Néron, ainsi que sur la conception du pouvoir impérial.

Le premier chapitre, Playing House, est consacré à Lucain et à la démonstration d’une intéressante idée : le Bellum ciuile montrerait la façon dont César et même Pompée ont détruit les liens de pietas entre les familles pour les remplacer par une dévotion mutuelle entre généraux et soldats. L’idée générale est riche de développements possibles, et l’étude en est bien faite, à partir de passages précis de l’épopée ; la méthode est claire et le restera d’ailleurs pendant tout le livre : un passage est cité, traduit, analysé dans la perspective de l’interrogation choisie. Toutefois, une faiblesse apparaît d’emblée, qui sera également présente dans tout l’ouvrage : les passages ne sont pas replacés dans un contexte plus large, que ce soit littéraire ou historique ; par exemple, ce qui est très gênant, les aspects rhétoriques sont souvent gommés. Ainsi, quand César s’adresse à ses soldats pour marquer sa proximité avec eux, il aurait été bon de s’interroger sur les sources de Lucain, et, plus encore, sur la volonté de César en agissant ainsi, qu’il s’agisse de César personnage inventé par Lucain ou du César réel. Le texte est lu à son premier degré, à peine nuancé par la mention d’une « rhetorical posture », qui ne donne lieu à aucune analyse ni renvoi à la vaste bibliographie sur ce sujet.

Le chapitre 2, Contest and Control in the Emperor’s House, fonctionne sur la même méthode : en partant de l’expression domus Augusta, très rapidement située, H.F. analyse des parties de l’Ara Pacis (sans illustration) et du Sebasteion d’Aphrodisias pour voir la composition de la famille impériale, ainsi que sur d’autres documents (décrets de Pise pour Caius et Lucius, numismatique). Là encore, des mises en contexte et en perspective s’imposaient ; quelle est la part de décision officielle, quelle est la part de « propagande » (pour le dire vite) ? Quand le mariage de Claude avec Agrippine est présenté comme « le premier exemple d’échec de la part de l’empereur pour dominer sa domus », il aurait fallu plus d’une demi-page pour démontrer cette idée, et il faudrait recourir à une bibliographie plus solide. Or, sur la question de la domus, H.F. ignore totalement la bibliographie européenne de langue française, Moreau, Corbier, Scheid et d’autres. De la même façon, des remarques sur le rôle des femmes sont énoncées comme si rien n’avait jamais été écrit sur ce sujet en Europe, notamment sur l’héritage des mentalités et pratiques hellénistiques en ce domaine.

Le chapitre 3, Where to see the Emperor, s’attache à la question des résidences, en comparant la Maison d’Auguste sur le Palatin et la Maison dorée. De la Maison de Livie, il n’est pas question, alors qu’elle aurait pu éclairer différemment la réflexion ; pour la Domus Aurea, un plan extrêmement schématique (2003) est commenté sans qu’on puisse aisément relier les passages au plan. Pire encore, la découverte de la cenatio tournante, pourtant plus récente[1], n’est pas étudiée alors même que la question du regard et de la vue aurait eu beaucoup à gagner de cet examen. Signalons aussi, comme plus haut, que pour les rapides allusions à Tibère retiré à Capri, le topos rhétorique du tyran qui doit se cacher n’est pas rappelé.

Moins décevant, le chapitre 4, Exposing the Ruler, est centré sur Sénèque et les idées de visibilité et complicité ; les pages sur le théâtre de Sénèque sont de bonne facture et fonctionnent bien. Le dialogue entre le de clementia et le théâtre est une piste intéressante et bien suivie.

Intervient alors, par surprise, un chapitre sur les maisons pompéiennes : certes agréable à lire, il reprend les idées bien connues sur l’axialité dans le plan des maisons et s’attache à la représentation de scènes de théâtre sur les fresques, l’idée étant qu’une représentation de frons scaenae place le visiteur dans une position de spectateur de la vie du maître de maison. Les représentations, en noir et blanc et de piètre résolution, empêchent de suivre efficacement ce qui aurait pu être une démonstration intéressante. Il reste le plaisir lire des choses connues sur les maisons.

Le chapitre 6 Bathing, Dining and Digesting with the Ruler, revient aux textes littéraires et juxtapose une (bonne) analyse du festin de Trimalcion chez Pétrone et des anecdotes tirées de Sénèque, De ira, sur la table des rois, dans une sorte d’effet mosaïque en accumulation.

Une rapide conclusion nous emmène du côté de Tacite, pour la question des délateurs et des procès de majesté, présentés comme le moment où espaces privé et public s’entrechoquent.

Le rapide survol opéré ici a pour but de faire ressortir les points importants, négatifs et positifs de ce livre. Sur le plan négatif, on compte sans hésiter une méthode qui procède par accumulation de petites analyses, une mosaïque de passages, représentations, sans qu’émerge un fil directeur de la pensée (le détour par Pompéi en est un exemple flagrant) ; de même, la piètre qualité des illustrations, la bibliographie si peu respectueuse de parutions européennes (italiennes et françaises, l’allemand étant mieux représenté).

Sur le plan positif, une prose agréable à lire, beaucoup de textes littéraires présentés, traduits et analysés (au point qu’on se dit qu’un recueil de textes sur le sujet aurait été plus utile), et somme toute, un livre qui pourra être une introduction efficace, pour des étudiants découvrant ce type d’interrogation.

 

Isabelle Cogitore, URM 5316 Litt&Arts, Université Grenoble Alpes

Publié en ligne le 15 juillet 2021

 

[1] Fr. Villedieu, « Une construction néronienne mise au jour sur le site de la Vigna Barberini : la cenatio rotunda de la Domus Aurea ? » Neronia Electronica 1, 2011, p.37-52.