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Située le long de la Via Stabiana, en plein centre de Pompéi, l’insula IX 3 est depuis vingt ans le domaine d’études de l’école finlandaise. Comme l’expliquent P. Castrén dans la préface (p. 6-9) puis R. Berg dans l’introduction générale (p. 10-15), cet îlot de 3500 m2 a en effet été l’objet, entre 2002 et 2012, d’un important programme de recherches, comportant fouilles nouvelles et travail d’archives, mené par l’Université d’Helsinki[1]. Le présent ouvrage en est un des premiers fruits. Il porte plus spécifiquement sur la plus grande (555 m2) et la plus riche demeure de l’insula, la Casa di Marco Lucrezio, prolongeant ainsi le catalogue de l’exposition qui avait été organisée en 2008 par la même équipe, autour de cette domus, au Musée Amos Anderson d’Helsinki[2]. Cependant, il est plus spécifique, puisqu’il se présente, non pas comme une histoire de la maison elle-même, mais comme un catalogue systématique des objets qui y furent découverts à l’occasion des toutes premières fouilles, en 1847, n’éclairant de ce fait que la période immédiatement antérieure à l’éruption. À cet égard, le sous-titre est quelque peu trompeur. Certes, le volume est organisé en trois parties qui en reprennent les différents éléments : 1. Le iscrizioni parietali ; 2. Finds from the 1847 excavations ; 3. New finds from the 2001-2010 excavations campaigns. Le volume ouvre ainsi sur une courte section (la seule rédigée en italien) dédiée aux inscriptions pariétales de la maison (p. 16-44). Dans un premier chapitre, P. Castrén revient sur l’histoire de la gens Lucretia et sur l’identification du propriétaire dont on considère toujours que le nom apparaît sur la reproduction pariétale d’une lettre adressée à un certain M. Lucretius, flamen Martis. Dans un second temps (chap. 2), A. Varone consacre à chacun des 6 tituli picti et des 23 graffiti (9 inédits) une fiche épigraphique détaillée[3]. Et comme l’indique le titre de la troisième partie, l’ouvrage se termine sur deux chapitres (10 et 11) ayant trait aux fouilles récentes : l’un, écrit par V. Hakanen, concerne des fragments de fresques (p. 196-221, augmenté d’une annexe d’I. Kuivalainen, K. Murros et A. Tammisto, sur la distribution et la description des peintures murales, anciennement et nouvellement découvertes, dans la maison, p. 292-301), l’autre, rédigé par L. Pietilä-Castrén, est constitué de deux notices sur des masques en terre cuite (p. 222-224). Cependant et pour tout le reste (p. 45-195, ainsi qu’une importante annexe, p. 228-291), le volume est consacré aux fouilles du XIXe siècle, l’ensemble des résultats récents étant en fait renvoyés aux publications ultérieures.

Cet ouvrage est donc avant tout le produit du minutieux travail d’archives mené par les deux éditeurs, et tout particulièrement R. Berg, à qui l’on doit six des sept chapitres de la deuxième partie (le dernier, sur les œuvres d’art, est coécrit par I. Kuivalainen et L. Pietilä-Castrén). Le résultat est impressionnant, car le défi était grand. Pour des raisons quantitatives d’abord : en 1847, ce sont plus de 500 objets qui ont été mis au jour. Mis en perspective avec d’autres maisons de la cité « of roughly similar status category » (p. 54), le chiffre est plutôt élevé, d’autant plus qu’il provient de fouilles anciennes, à un moment où les archéologues ne manifestaient pas le même scrupule à l’égard des objets petits, communs ou fragmentaires. On regrettera toutefois que le total n’ait pas été rapporté à un nombre d’objets par m2, comme p. 135, pour la seule vaisselle de bronze. Ensuite et surtout, l’entreprise fut rendue extrêmement complexe par l’état des archives et des anciennes publications. Dès le moment de sa découverte ou peu après, la Casa di Marco Lucrezio donna lieu à une abondante production d’inventaires qui en listèrent les merveilles avec plus ou moins de fiabilité (Chap. 3 : Documentation History, p. 45-53). Deux d’entre eux s’avérèrent particulièrement précieux pour l’équipe du projet EPUH. Le premier est le plus ancien. Il s’agit du Giornale dei Soprastanti, rédigé pendant la fouille par ses responsables, notamment par Gabriele Cirillo, avant d’être publié en 1862, dans la Pompeianarum Antiquitatum Historia, par Giuseppe Fiorelli. Le plus utile, toutefois, fut le relevé qu’Edward Falkener (1814-1896), architecte et antiquaire anglais qui séjourna à Pompéi en 1846-1847, publia en 1852-1853 dans The Museum of Classical Antiquities. Son travail présentait en effet un intérêt exceptionnel, puisqu’il constitue l’unique source de première main donnant la provenance exacte des objets à l’intérieur de la maison. La collation systématique de ces différentes listes a nourri l’imposante mais très commode annexe 1, dans laquelle R. Berg a ordonné, pièce par pièce, et, à l’intérieur de chaque pièce, par ordre chronologique de découverte, puis, dans un second tableau, par type (avec les quantités données pour chacun des types), les 502 objets mis au jour au milieu du XIXe siècle. Cependant, les difficultés commencèrent réellement lorsqu’il fallut retrouver lesdits objets au Museo Archeologico Nazionale di Napoli (MANN). En effet, aucun relevé d’expédition n’accompagna les deux principaux envois du 22 juillet et du 4 octobre 1847. De même, la provenance des objets, par ailleurs décrits au moyen d’un vocabulaire fluctuant d’une liste à l’autre (un exemple suggestif p. 137), n’est jamais indiquée dans les registres d’arrivée à Naples ou dans les anciens catalogues du MANN. Enfin, les plus anciens numéros d’inventaire ont généralement disparu, si bien qu’il n’a été possible de retrouver, dans les réserves du musée et dans les collections restées à Pompéi, que 67 objets (13%) qui forment la matière principale du présent ouvrage.

Ces 67 items ont été ordonnés en cinq ensembles, dans des catégories larges et non-interprétatives puis, secondairement, selon des critères fonctionnels (chap. 5-9) : I. Works of art (p. 68-132) ; II. Vessels (p. 133-160) ; III. Instruments and utensils (p. 161-186) ; IV. Fixtures (p. 187-194) ; V. Architectural elements (p. 195). Chaque chapitre est doté d’une introduction et parfois d’une conclusion, qui prennent évidemment en compte les objets non localisés pour mieux comparer le patrimoine mobilier de M. Lucretius avec celui de ses riches concitoyens. Entre les deux, chaque entrée dispose d’une notice substantielle donnant n° d’inventaires anciens et moderne, pièce de découverte, dimensions, état, bibliographie, description et commentaires. Enfin, chaque notice est accompagnée d’une illustration en couleur et/ou de photos d’archives. On le voit, le travail de catalogage est remarquable et d’une ampleur inédite sur cette maison[4]. Surtout, il devrait ouvrir la voie à de futures études sur l’histoire de la consommation en contexte domestique. En effet, en raison de l’attention qui est portée à la provenance des objets à l’intérieur de la domus, c’est l’usage de ses différents espaces qui est éclairé. Or, l’analyse n’est ici qu’esquissée par R. Berg (Chap. 4 : Distribution patterns, p. 54-67), qui n’en plaide pas moins, d’ores et déjà, dans la lignée des travaux de J. Berry, B. Sigges ou P. Allison, pour une approche nuancée, flexible et multifonctionnelle, les objets étant rarement liés à la fonction primaire des pièces (elles-mêmes définies sur d’autres critères, architecturaux, iconographiques ou littéraires) dans lesquelles ils ont été trouvés. Tout en tenant compte des biais liés à un contexte sismique d’autant plus perturbateur que la Casa di Marco Lucrezio avait, peut-être dès 62, été gravement endommagée, R. Berg insiste tout particulièrement sur l’importance qui était accordée à la sécurisation quotidienne des objets, confirmant ainsi une pratique qui avait déjà été notée pour d’autres maisons de la cité. Ce faisant et pour conclure, cet ouvrage s’inscrit dans un champ dynamique des études pompéianistes, auquel il fournit un matériel très bien édité et richement illustré mais qui demeure à exploiter.

 

Cyril Courrier, Université d’Aix-Marseille

Publié en ligne le 15 juillet 2021

 

[1] Expeditio Pompeiana Universitatis Helsingiensis, EPUH.

[2] P. Castrén ed., Domus Pompeiana. Una casa a Pompei, Helsinki 2008.

[3] À compléter par la dernière livraison du CIL : H. Solin, A. Varone, P. Kruschwitz, Corpus Inscriptionum Latinarum, CIL IV Suppl. 4.2, Berlin 2021.

[4] Voir, pour des catalogues partiels, E. Dwyer, Pompeian Domestic Sculpture: A Study of Five Pompeian Houses and their Contents, Rome 1982 et L. J. Bliquez, Roman Surgical Instruments and Other Minor Objects in the National Archaeological Museum of Naples, Mayence 1994.