« Ancien Recteur, ‘Professeur en Sorbonne’, (…) à l’université Paris IV (…), couvert de titres et d’honneurs, François Hinard était devenu célèbre pour ses travaux sur la fin de la République romaine. Il nous a quittés prématurément, de manière inattendue ; ses collègues et ses amis ont voulu lui rendre un dernier hommage à travers ce livre qui recoupe ses préoccupations les plus connues (…), l’économie et la société, surtout les élites, les relations internationales, l’idéologie, la prosopographie et la numismatique des Lingons » (quatrième de couverture). Un an après son décès le 19.09. 2008, à 66 ans, un colloque a été organisé à sa mémoire, en présence d’un public de proches, de confrères, d’étudiants. La publication s’ouvre sur l’évocation de la riche carrière universitaire, scientifique et administrative, et de la forte personnalité de F. Hinard, par A. Laronde. Les dix articles (I. Idéologie, II. État et société, III. Personnages), d’une haute tenue, sont dus à des fidèles de l’historien.
Giovanni Brizzi, auteur d’un Silla (Rome, 2004) préfacé par F. Hinard, étudie « Honos et uirtus, Fortuna Huiusce Diei. Idéologies et propagande au dernier siècle de la République » (p. 13-22, en italien). Il étudie la bataille de Verceil et s’interroge sur les divinités auxquelles Marius et Catulus, vainqueurs des Cimbres, élèvent un temple. Il reconstitue les armées, le terrain, la météorologie, la tactique, et évalue la part des chefs dans le succès, qui revient à Marius. Ce dernier érige un temple à Honos et Virtus, « la reconnaissance divine et humaine » jointe « aux vertus individuelles de compétence et de courage (…) militaire » (F. Hinard, Hist.Rom., p. 600), lui, l’homo nouus qui suivait le précédent du temple de Marcellus, premier à triompher des Germains, en plus des Gaulois, à Clastidium, selon les Fasti triumphales, auxquels la dédicace de Marius apporte sa caution. Catulus choisit la divinité « aveugle à laquelle étaient soumises toutes les actions des hommes, (qui) n‘étaient rien sans la protection divine ; et cette protection ne pouvait s’obtenir que dans le respect des rites collectifs et des traditions gentilices » (loc. cit.), traditions qui manquent à Marius. Sylla préfèrera une entité récente et aristocratique, Felicitas.
Estelle Bertrand, qui a fait sa thèse sous la direction de F. Hinard, revient « Sur les couronnes de Sylla (et sur la couronne civique à la fin de la République et au début du Principat) » (p. 23‑37). Elle reprend l’hypothèse des Sullana de F. Hinard (2008) sur le monument de Bocchus : une des couronnes du bouclier du socle serait la couronne civique de chêne. Les textes ne parlent que de la couronne obsidionale d’herbe pour Sylla, ici la couronne épaisse à droite, tandis que les pointes de celle de gauche seraient des glands. Le problème de date posé par ce symbole antérieur à la Guerre sociale disparaît si la base fut refaite lors du rétablissement du trophée abattu par Marius, exaltant victoire et salut. La récompense pour qui sauvait la vie d’un Romain devint l’emblème du pouvoir monarchique ; seuls l’obtinrent au Ier s. César et les Triumvirs, qui exploitaient donc le précédent syllanien pour se montrer en sauveurs et refondateurs de l’État.
Michèle Coltelloni-Trannoy étudie « Les vêtements dans les présages, de la République à l’Empire » (p. 39-62). Les présages, qui révèlent le destin d’un particulier, se multiplient au Ier s., avant d’être réservés à l’empereur. La toge est un motif récurrent, à relier à l’haruspicine et à la pourpre, couleur de la prétexte. Neuf présages pour le seul Octave. Le costume revêtu, tombé, sali, déchiré, est métaphore du tissu social et du pouvoir. Suit la liste des présages vestimentaires, de Marius à Probus.
Agnès Berenger, dont F. Hinard a dirigé l’HDR, parle des « Ambassades et ambassadeurs à Rome aux deux derniers siècles de la République » (p. 65-76), des modalités de leur réception et de l’écart entre règle et cas concrets. Il faut se déclarer à l’Aerarium et se présenter à un magistrat supérieur pour avoir audience au sénat. On est logé et reçu intra ou extra pomerium selon sa qualité d’ami ou d’ennemi. L’usage du latin est requis ; l’attitude doit être suppliante ; il est bien vu d’adopter les moeurs romaines. Il y a des cas de pression, de corruption.
Marianne Coudry salue en F. Hinard « la passion de comprendre, l’ouverture à la réflexion de ses pairs et la plasticité d’un esprit vigoureux et toujours en alerte » (p. 77). Son article « F. Hinard et la loi somptuaire de Sylla, un itinéraire exemplaire » (p. 77-89) montre son évolution depuis le Sylla de 1985, où il suivait Carcopino, voyant dans le prix maximal fixé pour les denrées de luxe le souci de les mettre à la portée du peuple. Son Histoire romaine de 2000 y voit une limite à la dilapidation du patrimoine des élites aristocratiques. La lex Cornelia doit protéger les biens des grandes familles fournissant ses membres à la classe politique. Interprétation à relier à l’édification de nouvelles fortunes sur les proscriptions et l’élargissement du sénat à 300 nouveaux membres de cette élite italienne dont l’importance apparaît aussi dans les travaux de F. Hinard sur l’agrandissement du pomerium. Suit la liste des lois somptuaires de 215 à 18.
Albert Foulon, dans « La peinture de la société romaine à la fin du Ier s. d’après le témoignage des Élégies de Tibulle » (p. 91‑105), brosse le portrait d’un petit propriétaire, défenseur de la religion ancestrale et protégé de Messala. Tibulle se démarque des poètes augustéens en ne nommant pas le princeps, tout en célébrant les valeurs du Principat.
Dominique Briquel ajoute « Un appendice aux proscriptions de la Rome républicaine : le cas de M. Oppius en 43 av. JC » (p. 109‑126), listé dans les Proscriptions de F. Hinard. Exemple de piété, il avait porté son père jusqu’en Sicile, nouvel Énée affirmant la supériorité des lois du sang sur les édits des Triumvirs. Oppius donne une leçon aux Romains, dont Octave : Rome n’est plus dans Rome, il faut la refonder ailleurs. Des cippes tunisiens du Ier s. portent en étrusque la mention d’une colonie « dardanienne » : vétérans de Marius en 88 (M. Sordi) ou marianistes de Papirus Carbo en 82 (J. Heurgon), ils fondaient une nouvelle Rome, comme le veut Horace (épode XVI). De même pour Oppius rejoignant Sextus Pompée, en un saeculum où l’on croyait proche la fin de l’urbs.
André Laronde déchiffre « Une inscription de Ptolémaïs, Libye, et Marcus Juventius Laterensis » (p. 127-132). C’est le nom à lire sur l’inscription lacunaire. Cicéron le dit proquesteur de Cyrène en 63 (lire iustum dans la citation p. 131). Il était lié aux Claudii et aux Cassii qui ont à voir avec la Cyrénaïque.
Jean-Michel Roddaz célèbre une amitié indéfectible en « L. Cornélius Balbus, l’ami de César » (p. 133-143). A Gadès, sa famille choisit Pompée contre Sertorius et reçut la citoyenneté. Selon le Pro Balbo de Cicéron, la rencontre en Espagne remontait à 68. Balbus assura la logistique des campagnes de César et l’accompagna à Rome, comme diplomate auprès de Pompée ; banquier, il fut aussi négociateur du triumvirat, et voulut rallier Cicéron à la cause de César. Avec C. Oppius et A. Hirtius, c’était l’éminence grise de César à Rome en son absence (p. 138, lire Balbus, et non Gallus, dans Tacite ; p. 139, lire blandas dans Cicéron). Balbus porte une responsabilité dans la dérive monarchique. Ses relations, ses richesses, ses talents seront employés par l’héritier de César.
Yann Le Bohec révèle un autre Sulla, sur une monnaie de Gaule Belgique du IIe ou Ier s. (« Sulla chez les Lingons », p. 145-155). Cognomen rare, c’est un mot italique, de sens incertain. Peu de chances que ce Sula, avec un -l-, cité avec Kaletedou, renvoie à la dictature de 82 et à des répercussions économiques en Gaule. Des anthroponymes celtiques ont des consonances latines sans qu’il s’agisse de Gaulois romanisés.
Françoise Lecocq