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Ce volume de scripta minora, publié hélas de manière posthume, rassemble 24 articles (sur plus de 220) parus de 1996 à 2022 sous la signature d’Alexandru Avram (1956-2021). L’auteur a fait le choix de favoriser des articles de synthèse plutôt que ses nombreuses contributions publiant des inscriptions ou des timbres amphoriques. De même ont été exclus les nombreux articles en collaboration et ses contributions à des bulletins analytiques et critiques. L’œuvre d’Alexandru Avram étant relativement bien connue, je ne m’attarderai que sur quelques articles plus récents.

La première partie du volume en guise d’introduction rassemble trois articles sur le phénomène colonial et la vie des cités pontiques à l’époque classique, avec un accent mis sur les époikoi. La deuxième partie rassemble huit articles de synthèse principalement sur les relations des cités du Pont-Euxin avec les grandes puissances : les Perses, les Séleucides et les Lagides, les Scires, Pharnace du Pont. L’article sur l’inscription en cunéiforme de Phanagorie paru récemment, est celui qui prête le plus à débat. A. Avram voit dans ce document un indice supplémentaire d’une présence perse au nord de la mer Noire. Ils y seraient arrivés à la suite d’une expédition menée en 519 pour s’y établir une vingtaine d’années. Leur retour dans la région se serait produit après 492 et aurait été marqué par l’érection de cette stèle. Comme le souligne Oleg Gabelko[1], cette pierre peut être errante et provenir d’une cité qui, comme Byzance, a connu une occupation perse. Les indices archéologiques découverts au nord de la mer Noire sur lesquels s’appuie Alexandru Avram pour souligner l’influence perse dans le Royaume du Bosphore (des sceaux et un étalon monétaire qualifié de perse) au cours des Ve et IVe s. peuvent s’expliquer simplement par des relations commerciales entre les deux rives de la mer Noire. Les deux derniers articles de cette partie mettent l’accent sur l’unité d’action des cités ouest-pontiques, dans leur relation notamment avec les rois hellénistiques comme Lysimaque, Antiochos II et Mithridate VI. C’est cet aspect qui est approfondi dans le dernier article (et le plus récent) lequel émet l’hypothèse de l’existence d’un koinon organisé autour du culte d’Apollon Iètros entre les différentes cités d’origine milésienne de l’ouest et du nord-ouest de la mer Noire. Un synédrion gérerait ce koinon dont le siège serait à Apollonia du Pont. Il prendrait des décisions politiques à l’échelle confédérale et émettrait durant le IIe s. av. J.-C. des monnaies en bronze sans l’ethnique avec la représentation de la statue d’Apollon Iètros par Calamis et la seule mention de la divinité. L’analyse de quelques inscriptions hellénistiques où le mot synédrion et ses dérivés sont présents permet d’asseoir cette hypothèse.

La troisième partie regroupe huit articles autour de l’intitulé « Sociétés et religions ». Le premier consacré à la défense des cités à la période hellénistique s’appuie essentiellement sur l’épigraphie et rappelle la nécessité de la défense face aux populations locales, mais également la variété des modes de recrutement (volontaires, indigènes et mercenaires) des troupes par les cités. L’article suivant propose des rapprochements entre des astynomes de Chersonèse et Sinope connus par les timbres amphoriques et des proxènes de ces cités honorés par des décrets. La datation en 195 de l’inscription mentionnant deux proxènes chersonésiens à Delphes ne permet pas de trancher entre les deux chronologies des timbres de Chersonèse proposées par Vladimir I. Kac et Vladimir F. Stolba[2]. Suivent trois articles qui se répètent partiellement sur la place de l’esclavage aux époques classique et hellénistique, aussi bien comme source limitée de main-d’œuvre que comme produit d’exportation important pour les cités pontiques. Les populations locales soumises, comme les Mariandyniens d’Héraclée du Pont, semblent plutôt l’exception autour du Pont-Euxin. L’épigraphie permet à l’auteur d’aborder également l’origine milésienne du culte de Léto dans les cités de la mer Noire, le fonctionnement du thiase dionysiaque de Callatis à l’époque hellénistique et la légende concernant Tomos, le héros fondateur de Tomis. Elle se serait diffusée dans cette cité à partir du règne d’Antonin le Pieux, comme le révèlent trois épigrammes et un type monétaire.

Cette dernière contribution forme une parfaite transition vers la quatrième partie qui rassemble trois articles consacrés à la période impériale : l’intégration différenciée des cités ouest-pontiques à l’époque d’Auguste dans le monde romain, du fait de statuts différents, la déportation de populations daces de la rive gauche à la rive droite du Danube au cours du Ier s. ap. J.-C. et les titres honorifiques décernés à certains personnages dans les cités du Pont Ouest et du Pont Nord. Ces titres (fondateur, père, fils ou fille de la cité) semblent liés à l’exercice d’une prêtrise du culte impérial qui se transmet au sein des familles concernées.

La dernière partie rassemble deux articles en lien avec l’Asie Mineure. Le premier s’intéresse au rôle finalement assez limité de Cyzique en mer Noire, avec certes une place plus importante à l’époque impériale. Le second analyse la mobilité des Bithyniens dans les espaces environnant la mer Noire. Les Bithyniens du littoral oriental sont plutôt présents au nord de la mer Noire, alors que ceux de l’ouest fréquentent également les villes du littoral ouest de la mer Noire. Les individus originaires de Nicée et Nicomédie se retrouvent davantage à l’intérieur de la Thrace et de la Mésie inférieure.

Ces différentes contributions illustrent les principaux aspects des recherches d’Alexandru Avram qui reposent, en grande partie, sur l’épigraphie sous toutes ses formes et éclairent l’histoire politique à l’échelle de la mer Noire comme à l’échelle civique, mais aussi l’histoire sociale, religieuse et économique. Si l’ouest de la région avant notre ère a majoritairement attiré l’attention de l’auteur, ses recherches ont concerné l’ensemble du bassin pontique et également l’époque impériale. Les inscriptions sont toujours mises en relation avec d’autres sources, qu’il s’agisse des sources littéraires, archéologiques, numismatiques ou épigraphiques mineures comme les timbres amphoriques. Si certaines hypothèses peuvent paraître un peu aventureuses (sur la stèle de Phanagorie notamment), elles suscitent néanmoins une réflexion source de progrès. À la fin de chaque article, des addenda complètent les notes et proposent quelques remarques de l’auteur sur les acquis scientifiques depuis la parution initiale. Les 18 illustrations en noir et blanc présentent surtout des inscriptions. De nombreux index permettent de circuler facilement dans l’ouvrage. Les références bibliographiques en note n’indiquent pas l’année de publication, ce qui rend fastidieux l’identification des titres dans la bibliographie générale.

Il s’agit, en somme, d’un ouvrage indispensable pour les spécialistes de la mer Noire, mais dont feront également leur miel les spécialistes de l’esclavage ou les spécialistes des régions ayant développé des relations politiques avec la mer Noire.

 

Thibaut Castelli, Paris Ouest Nanterre La Défense,, UMR 7041 – ArScAn

Publié dans le fascicule 1 tome 125, 2023, p. 229-231.

 

[1]. E. Rung, O. Gabelko, « From Bosporus… to Bosporus: A New Interpretation and Historical Context of the Old Persian Inscription from Phanagoreia », Iranica Antiqua 54, 2019, p. 83-125.

[2]. V.I. Kac, Grečeskie keramičeskie klejma épokhi klassiki i éllinizma (Opyt kompleksnogo izuchenija), Simferopol’-Kertč, 2007, p. 429-430 ; V.F. Stolba, « Hellenistic Chersonesos : Towards Establishing a Local Chronology » dans V.F. Stolba, L. Hannestad éds., Chronologies of the Black Sea Area in the period c. 400-100 BC, Aarhus 2005, p. 153‑178.