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Plus de deux ans après la publication de « Carthage, Maîtresse de la Méditerranée, Capitale de l’Afrique »[1], l’ouvrage « Carthage : Archéologie et histoire d’une métropole méditerranéenne (814 avant J.-C – 1270 après J.-C.) » offre une seconde contribution s’inscrivant dans le droit fil d’une série de travaux consacrés à la valorisation du patrimoine de la célèbre ville africaine[2]. L’auteur de ce volume, S. Aounallah, est un épigraphiste et archéologue connu à la fois pour ses contributions scientifiques sur l’Afrique romaine et pour son engagement dans la mise en valeur et la communication du patrimoine historique et archéologique tunisien à un public aussi large que possible par des guides archéologiques et des travaux de divulgation. Cette récente publication est, en effet, une édition réduite de l’ouvrage collectif, de grand format, déjà mentionné, « Carthage, Maîtresse de la Méditerranée ». Les thématiques abordées dans les contributions des chercheurs réunis dans la publication de 2018 sont ici rendues de manière plus accessible. Le défi, reflété par le titre, est de synthétiser en un nombre réduit de pages (240 p.) plus de vingt et un siècles d’histoire et d’archéologie de la ville, dès sa fondation par les Phéniciens (fin IXe siècle avant J.-C.) jusqu’à sa destruction par les souverains hafsides (fin XIIIe siècle après J.-C.). Notons d’emblée que ce titre comporte une erreur : le titre indiqué en première de couverture et celui indiqué en frontispice et en quatrième de couverture se distinguent par l’inversion des mots « archéologie » et « histoire »[3].

Tout d’abord une brève introduction (p. 7-9) nous renseigne sur l’existence de « deux Carthage » : celle phénicienne, détruite en 146 avant J.-C., et celle romaine, réédifiée à partir de 44 avant J.-C. Le volume est construit en quatre sections, articulées en chapitres, dont les plus substantielles sont celles concernant les deux Carthage nommées dans l’introduction (section 1 et 3), en raison de l’insuffisance de données historiques et archéologiques à disposition des chercheurs pour les époques successives – vandale, byzantine et islamique.

Dans la première section, dédiée à l’époque punique (p. 11-109), l’auteur retrace l’histoire et les mythes liés à la fondation de Carthage (p. 16-23), en essayant de faire coïncider sources littéraires et realia archéologiques (p. 23). Cette approche est rendue possible grâce aux dernières découvertes du site de Bir Massouda, qui remontent au moins à la première moitié du VIIIe siècle avant J.-C. et qui semblent combler partiellement l’écart, demeuré pendant longtemps, avec la tradition littéraire selon laquelle la fondation serait datée « au plus tard en 814 avant J.-C. ». Les pages suivantes sont dédiées aux premiers siècles d’existence de la ville, de sa structuration progressive, au cours des siècles VIIe-VIe avant J.-C., sur la colline de Byrsa, jusqu’à son extension dans la plaine côtière et à l’acquisition successive des dimensions d’une métropole (p. 26-45) ; à la conquête et à la découverte, à partir du VIe siècle avant J.-C., de nouveaux territoires en Sicile, où la volonté expansionniste carthaginoise se confronte à celle grecque (p. 49-56), en Sardaigne, à Malte (p. 57-59) et en Afrique du Nord (p. 59-71) ; à la première guerre punique, à l’expédition en Espagne consécutive et au second conflit avec Rome, dit « guerre d’Hannibal » (p. 71-79). La section se conclut sur un aperçu des traits principaux de la culture phénico-punique, avec des pages consacrées au thème largement débattu des sacrifices d’enfants dans le tophet (p. 80-108). Quelques mots concernant la troisième guerre punique (p. 109) introduisent la deuxième et brève section du livre : elle retrace la période successive à la triste fin de la ville, prise puis détruite par les Romains en 146 avant J.-C., et le « long sommeil » du pays, jusqu’aux projets de résurrection mis en œuvre par César (p. 111-118).

La troisième section du livre analyse les événements de la ville à partir de sa reconstruction – souhaitée par César mais mise en œuvre par Auguste – ayant débuté par la réalisation d’un nouveau centre monumental, pour une colonie qui s’affirme rapidement comme une métropole dotée d’un très vaste et riche territoire, la pertica carthaginoise (p. 119-136). L’auteur réserve ensuite une large place à l’organisation administrative (p. 137-154), à la religion (p. 154-162) et aux œuvres monumentaux (p. 162-185) de la capitale de la province d’Afrique proconsulaire qui garde sa prospérité malgré les conflits politiques et religieux des IIIe– et IVe siècles après J.-C. (p. 185-199). Après un dernier chapitre concernant la Carthage chrétienne (p. 200-206), la quatrième section résume le déclin de la ville déclenché par la conquête vandale (p. 207-214) et, ensuite, par celle arabo-musulmane en 698 après J.-C., une date qui marque la fin de l’influence byzantine en Afrique du Nord (p. 215-221) et conduira en 1270 à la destruction de la ville par la main du sultan hafside al-Mustansir à la suite de la croisade de Saint Louis (p. 222-225).

Le volume termine par une conclusion qui reparcourt très brièvement l’histoire de la ville (p. 227-229), suivie d’une courte bibliographie (p. 231-236) et d’une table de matières (p. 237-240).

Il s’agit, dans son ensemble, d’un travail précis et équilibré, faisant ressortir la vitalité et le dynamisme d’une ville, peu présente dans l’imaginaire collectif contemporain mais qui, pourtant, joua un rôle essentiel dans l’histoire du monde ancien. Ce livre propose une reconstruction historique basée sur des sources littéraires, archéologiques et épigraphiques, une combinaison qu’on ne peut qu’apprécier. Toutefois quelques remarques et suggestions doivent être faites : les données archéologiques ne sont pas toujours actualisées – par exemple, à propos de la fondation de Motyé, à présent datée de la première moitié du VIIIe siècle avant J.-C.[4] – ; le terme « punique », dont l’utilisation ne fait pas l’unanimité, gagnerait à être explicité, même dans un ouvrage destiné à des non-spécialistes.

Avec ce livre, S. Aounallah s’adresse à un large public et pas seulement aux spécialistes du secteur. Cela explique certains choix éditoriaux, comme le nombre très réduit de notes et de références bibliographiques. Le volume fait en fait partie d’une nouvelle collection des Éditions CNRS, « L’esprit des lieux », conçue afin de favoriser l’accès aux connaissances à propos de lieux historiques importants. La lecture est rendue fluide par la présence de détails marquants – l’organisation de la pertica (p. 132-134) ou la description de la villa du seigneur Julius (p. 194) en sont deux exemples – et une illustration abondante, composée de photos actuelles et de restitutions graphiques – comme celles des ports puniques (en couverture et p. 44) – qui, bien que non inédites[5], facilitent la compréhension des lieux clés de l’histoire de la ville. En conclusion, S. Aounallah offre au lecteur un parcours riche et stimulant, à la fois excellent pour une première approche de l’histoire carthaginoise et très utile également aux spécialistes de l’Afrique ancienne.

 

Sara Giardino,ArScAn – Archéologies et Sciences de l’Antiquité (UMR7041), Maison René Ginouvès

Publié en ligne le 15 juillet 2021

 

[1] Aounallah, S. – Mastino, A., Carthage : maîtresse de la Méditerranée, capitale de l’Afrique (IXe siècle avant J.-C. – XIIIe siècle), Histoire et Monuments 1, Tunis 2018.

[2] Parmi les autres volumes : Ribichini, S. (a cura di), Cartagine. Regina del Mediterraneo, Archeo Monografie n. 34, Roma 2020 (avec une contribution de S. Aounallah).

[3] Dans ces derniers cas le titre est : « Carthage : Histoire et archéologie d’une métropole méditerranéenne (814 avant J.-C – 1270 après J.-C.) ».

[4] L. Nigro, F. Spagnoli, Landing on Motya. The earliest Phoenician settlement of the 8th century BC and the creation of a West Phoenician cultural identity in the excavations of Sapienza University of Rome – 2012‐2016, Roma 2017.

[5] La plupart des restitutions avaient été déjà publiées dans Aounallah – Mastino 2018 (cf. note 1).