< Retour

L’ouvrage de Janick Auberger est une rapide synthèse publiée par les Presses de l’Université de Laval et consacrée à l’alimentation en Grèce classique, plus particulièrement concentrée sur la Grèce continentale et notamment l’Attique durant la période classique, entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère. L’auteur s’est à juste titre fixé ces bornes chronologiques car la période hellénistique marque une étape de transition. En effet, les conquêtes orientales d’Alexandre à la fin du IVe siècle ont introduit de nouvelles façons de consommer, que l’on doit notamment à l’élargissement du territoire et à la modification du rapport du Grec envers le « Barbare ». C’est également à partir de cette période que l’on voit l’arrivée de nouveaux produits qui vont sur le long terme modifier les habitudes alimentaires et entraîner de nouvelles exigences (p. 8).
Cette monographie est divisée en onze chapitres. Dans les huit premiers est dressé un inventaire de la nourriture composant l’alimentation des Grecs, tandis que dans les trois derniers l’auteur tente de replacer les aliments dans les contextes sociaux et religieux (chapitres 9 et 10), d’évaluer l’utilisation de la nourriture et de l’alimentation par les philosophes, les médecins et enfin de comprendre ce qui, aux yeux des Grecs, les distinguait des autres, les Barbares (chapitre 11).
L’introduction offre un cadre général agréable à lire et une bonne présentation des repas grecs théoriques. Les chapitres sur les aliments sont respectivement consacrés aux composantes de la triade (olives, céréales, raisin) (chap. 1), aux viandes domestiques et sauvages (chap. 2), aux poissons et fruits de mer (chap. 3), aux produits laitiers (chap. 4), aux légumes et fruits (chap. 5), aux condiments (chap. 6), aux boissons autres que le vin (chap. 7), et aux sucreries et douceurs (chap. 8). Pour chacun d’eux, l’auteur présente de façon claire un catalogue fondé sur les attestations littéraires et les éventuelles découvertes archéologiques.
Même si les objectifs que s’était fixés l’auteur, à savoir offrir un tableau d’ensemble de la nourriture en Grèce aux étudiants et aux enseignants non spécialistes, sont atteints, certains chapitres appellent quelques remarques, puisque cela fait partie de l’exercice. Dans le premier, on relèvera quelques maladresses dans le vocabulaire employé (par exemple p. 24, l’huile ne se coagule pas mais se fige) mais surtout une erreur importante : on lit (p. 27) des tentatives de calcul du nombre de litres d’huile d’olive utilisés par la population. Ainsi l’auteur estime qu’une famille de quatre personnes avec une moyenne de trois esclaves consommait environ 200 litres par an, qu’elle convertit en 185 kg d’olives. Ainsi J. Auberger commet l’erreur de faire l’équivalence 1 kg d’olives = approximativement 1 litre d’huile. Or on sait qu’il faut au minimum 4 à 5 kg d’olives pour obtenir un litre d’huile {{1}}. C’est d’autant plus étonnant que J. Auberger écrit elle-même (p. 26 note 20) qu’il faut aujourd’hui 100 kg d’olives pour obtenir environ 20 litres d’huile. La remarque vaut pour l’exemple suivant où elle estime à 90 litres d’huile les besoins d’une famille moyenne avec deux esclaves installée à la campagne, qu’elle fait correspondre à
82 kg d’olives.
Dans le même chapitre, mais cette fois-ci à propos du vin, on préfèrera lire les travaux d’André à ceux d’Alain Tchernia (p. 50).
Dans le chapitre sur les poissons et les fruits de mer (chap. 3), J. Auberger aurait pu utiliser le travail de D. Mylona {{2}} mais surtout l’article de S. Collin-Bouffier qui offre une excellente synthèse sur la consommation et la place du poisson dans le monde grec{{3}}. On pourra également compléter ce chapitre avec la traduction que vient de publier B. Louyest des livres 6 et 7 d’Athénée de Naucratis {{4}}, plus particulièrement consacrés aux produits
de la mer.
La documentation graphique de l’ouvrage est assez inégale, avec notamment quelques clichés de mauvaise qualité, ce qui est regrettable puisqu’elle n’était pas indispensable à la compréhension du texte.
Enfin, on aurait aimé trouver un chapitre sur la batterie de cuisine, la vaisselle et son vocabulaire. Certes, Michel Bats lui a déjà consacré un chapitre dans la première partie d’un de ses ouvrages {{5}}, mais sa présence aurait été justifiée ici puisqu’il s’agissait d’offrir un tableau d’ensemble.
Malgré ces quelques remarques, il ne faut pas ôter à J. Auberger le mérite qu’elle a eu de vouloir offrir une synthèse sur l’alimentation en Grèce classique, entreprise beaucoup plus difficile que pour le monde romain pour lequel la documentation textuelle et archéologique est plus ample.
À ce titre, les derniers chapitres qu’elle présente sont riches d’informations et offrent une vision claire du rapport des Grecs à la nourriture et de son rôle dans les pratiques sociales et religieuses {{6}}. De même, ses écrits sur l’utilisation de la nourriture par les philosophes et les médecins, et celle qu’en faisaient les Grecs pour se dissocier des Barbares, mériteront l’attention des lecteurs.

Emmanuel Botte

[[1]]Beaucoup de facteurs entrent en compte, notamment l’état de maturité des olives au moment de leur récolte. La fourchette de 4 à 5 kg est fournie dans L. Foxhall, Olive Cultivation in Ancient Greece. Seeking the Ancient Economy, Oxford 2007, p. 214-215.[[1]]

[[2]]D. Mylona, Fish-Eating in Greece from the Fifth Century B.C. to the Seventh Century A.D. A story of impoverished fishermen or luxurious fish banquets ?, BAR International Series 1754, 2008.[[2]]
[[3]]S. Collin-Bouffier, Le poisson dans le monde grec, mets d’élites ? dans J. Leclant, A. Vauchez et M. Sartre éds., Pratiques et discours alimentaires en Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance, Actes du 18e colloque de la Villa Kérylos (4-6 octobre 2007), Paris 2008, p. 91-121.[[3]]
[[4]]Mots de poissons. Le banquet des sophistes, livres 6 et 7, d’Athénée de Naucratis, traduction et commentaire de B. Louyest, Villeneuve d’Ascq 2009.[[4]]
[[5]]Petite cuisine et vaisselle dans le monde grec maritime, principalement à Athènes dans M. Bats, Vaisselle et alimentation à Olbia de Provence (v. 350 – v. 50 av. J.-C.). Modèles culturels et catégories céramiques, Paris 1988, (Revue archéologique de Narbonnaise, Suppl. 18).[[5]]
[[6]]. On pourra compléter la lecture de l’ouvrage de J. Auberger avec celui récemment paru de R. N Nadeau, Les manières de table dans le monde gréco-romain, Rennes 2010.[[6]]