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Matthew Dillon et Lynda Garland nous offrent avec cette troisième édition de leur « Routledge sourcebook » sur la Grèce antique non seulement une édition révisée depuis les précédentes publications de 1994 et de 2000, mais aussi et surtout une édition considérablement augmentée. Pour cause, si la seconde édition recouvrait totalement le cadre chronologique proposé à l’origine, à savoir couvrant la période entre le début du VIIIe et l’extrême fin du Ve s. a.C. (le terminus ante quem choisi alors était la mort de Socrate en 399), cette nouvelle mouture propose d’explorer également les sources relatives au IVe siècle et nous entraîne cette fois jusqu’à la mort d’Alexandre.
Les ajouts entre la seconde et la troisième et présente édition sont, de fait, bien plus conséquents que ne l’étaient ceux concernant le passage de la première à la seconde. Ce choix chronologique, clairement revendiqué par les deux auteurs, leur permet d’explorer nombre d’oeuvres d’auteurs anciens qui étaient jusque là cantonnés à de très rares apparitions : au premier rang de ceux-ci se trouvent bien sûr les orateurs du IVe s. a.C. tels qu’Eschine, Démosthène ou Isocrate, mais encore bien d’autres à l’instar d’Arrien, Éphore de Kyme ou Théophraste. Le présent volume consacre deux chapitres supplémentaires à l’évolution chronologique caractéristique de cette édition, le premier centrant la question sur l’émergence du pouvoir macédonien en direction de la Grèce centrale, le second se concentrant sur le règne d’Alexandre. Cette troisième édition se termine, comme déjà la précédente, sur une indispensable présentation des sources afférentes à l’histoire ancienne (p. 536-556).
La réorientation chronologique en faveur du IVe s. a.C. a recentré considérablement les thèmes généraux de cet ouvrage sur l’époque classique et a obligé les auteurs à revoir le plan de leur progression. Ils commencent ainsi leur découverte du monde grec par les problématiques liées à la cité (p. 1-47), aux catégories sociales qui la composent, à la notion de citoyenneté ainsi qu’aux entités supra‑civiques (ligues, koina, etc.). On remarquera à l’intérieur de ce premier chapitre la présence de deux sous-thèmes orientés sur l’économie de la cité grecque et on ne pourra à cette occasion que déplorer que, mis à part le chapitre 5 consacré au travail (p. 180‑213) mais en y adoptant la focale de la partition sociétale, l’économie ne se soit pas vu accorder une place plus importante dans un tel ouvrage…
Les deux chapitres suivants présentent des extraits de sources relatives à la colonisation archaïque (p. 48-72) et aux aspects de la vie cultuelle et aux conceptions religieuses des Hellènes (p. 73‑122). Le quatrième chapitre, intitulé « Women, sexuality and the family » (p. 123-179) marque l’empreinte de la « gender history ».
Le sixième chapitre est, en ce qui le concerne, entièrement consacré à Sparte (p. 214‑256). Débute ensuite la partie plus proprement consacrée à l’évolution chronologique. On trouve successivement un chapitre consacré à la tyrannie et aux tyrans (p. 257-296), puis un autre aux législateurs athéniens Dracon et Solon (p. 297-317), qui précède le neuvième chapitre s’intéressant aux Pisitratides (p. 318‑340), puis celui axant la focale sur les réformes de Clisthène (p. 341‑355). Le Ve siècle est assez traditionnellement traité par les études respectives des guerres médiques (p. 356-390), de la pentèkontaetie (p. 391-412) et enfin de la guerre du Péloponnèse et de ses conséquences (p. 413-451). Le IVe s. a.C. est, comme on l’a déjà évoqué, découpé en deux chapitres distincts : le premier concerne l’émergence du pouvoir macédonien (p. 452-495), le second les conquêtes d’Alexandre (p.496-535).
Bien que trop orienté à notre goût sur l’événementiel – ce qui apparaît comme une conséquence presque logique de l’intégration à la présente édition des sources afférentes au IVe siècle –, l’ouvrage apparaît tout de même dans son ensemble bien équilibré et facile d’utilisation. Il est, de plus, agrémenté de nombre d’outils indispensables à un recueil de sources : indices général et des sources, rapide glossaire notionnel, quelques cartes indispensables, bien que trop statiques, bibliographie thématique, chronologie, stemmata partiels des Alcméonides, Pisistratides, Philaïdes et autres Agiades. Cette troisième édition illustre bien la volonté des auteurs de présenter les sources les plus variées possibles. Leur production montre également leur souci constant d’offrir à leurs lecteurs le loisir d’aborder de la façon la plus aisée la culture grecque classique. Le sourcebook de M. Dillon et L. Garland est avant tout destiné aux étudiants se consacrant aux études anciennes et en particulier à ceux de premier cycle : on remarquera à cet égard l’effort concernant la clarté et l’intelligibilité des traductions proposées. Chaque chapitre est introduit par une présentation des enjeux inhérents au thème traité et cette présentation est toujours illustrée d’exemples issus des extraits attachés au chapitre en question, permettant ainsi une clé d’entrée thématique particulièrement agréable, tant on sait combien ce type d’ouvrage peut parfois s’avérer difficile d’accès. Autre clé permettant d’utiliser cet outil dans les meilleures conditions, chaque extrait, aussi réduit soit-il, jouit d’un commentaire introductif permettant sa mise en contexte et éclairant les problématiques qui le concernent.
Bien sûr tout n’est pas parfait, on regrettera en particulier le morcellement chronique de certains extraits, utilisés à de nombreuses reprises mais en référence à des thèmes différents. Ainsi malgré l’édition totale de 9 paragraphes contigus du livre I d’Hérodote (Hdt I, 59 à Hdt I, 68), leur morcellement en 12 extraits rend toute mise en contexte générale, au sein de l’oeuvre originale, presque impossible. Le même phénomène se remarque en particulier pour La Constitution des Athéniens d’Aristote. On ne peut à ce stade que déplorer ce découpage qui fait perdre le sens général du passage intégral. En ce sens, le bien fondé de la focale mise sur chaque extrait perd son sens et ne permet pas aux étudiants à qui s’adresse l’ouvrage d’avoir une vision d’ensemble de la portée de l’oeuvre qui est offerte aux analyses des modernes…
Bien entendu le principal défaut que nous pourrions trouver à ce recueil de sources est qu’il soit édité en anglais ! Devant l’empressement spectaculaire de nos étudiants de premier cycle à se jeter sur les ouvrages publiés dans une langue autre que le français, on est en droit de s’interroger sur l’utilité d’un tel ouvrage dans une bibliothèque française. Pourtant, ce serait faire offense au remarquable travail que nous fournissent ici M. Dillon et L. Garland, et si l’on peut comprendre la difficulté que trouveraient les étudiants à appréhender les sources anciennes dans un ouvrage anglophone. Notons que l’effort fourni par les auteurs pour simplifier leurs traductions rend celles-ci tout à fait abordables à tout étudiant inscrit à l’Université. La justesse des commentaires et leurs mises en perspectives souvent salutaires vis-à-vis des problématiques actuelles de la recherche justifient tout à fait, s’il le fallait, la présence de ce recueil de sources dans toute bonne bibliothèque. L’utilité qu’y trouvera l’enseignant attentif à élargir l’éventail des sources qu’il souhaite présenter à ses étudiants n’a quant à elle nul besoin d’être soulignée…

Grégory Bonnin