J. de la Genière publie la fouille d’un sanctuaire situé sur la colline de Kastraki, à une dizaine de kilomètres à l’est de l’embouchure de l’Eurôtas, sur le territoire de la cité d’Akriai qui doit être identifiée à l’act. Kokkinia comme l’avaient déjà fait au XIXe s. Le Puillon Boblaye et Le Bas.
La phase archaïque « paraît la plus monumentale dans l’histoire du sanctuaire » (p. 76). Le plus ancien édifice pourrait être un petit temple ou un naïskos pour l’image divine, antérieur au milieu du VIe s. a.C., probablement avec des colonnes en bois. Dans la deuxième moitié du VIe s., le sanctuaire se serait « monumentalisé » avec la construction d’un propylée muni de quatre colonnes en poros et le remplacement des colonnes originales par des colonnes en pierre. Malgré l’importance du sanctuaire, attestée par les pièces d’architecture, les ex-voto archaïques sont très rares ; ce sont pour l’essentiel des aryballes ou des lécythes contenant du parfum offert à la divinité. La documentation connaît un « hiatus presque complet (…) pendant plus de trois siècles après la fin de l’archaïsme » (mis à part deux monnaies de Sicile datant de la fin du Ve s.).
Ce fait s’explique peut-être par un « nettoyage systématique avant la reconstruction » ou/et par un pillage à l’époque hellénistique : des hiérosuloi étaient les protégés de Nabis (Pol. 13, 6-8). En tout cas, un nouvel édifice est construit vers le milieu du IIe s. a.C. et connaît une intense fréquentation des années 150 à l’époque d’Auguste – ce qui correspondrait « à une phase de prospérité de la petite cité d’Akriai, qu’illustre bien le renom de l’olympionique Nikoklès ».
La période d’activité intense du sanctuaire fait immédiatement penser à une possibilité de reviviscence d’un culte archaïque sous l’autorité du koinon des « éleuthérolaconiens » , dont Akriai faisait partie. Cependant la date de la fondation du koinon reste discutée, l’époque d’Auguste restant la plus probable. On pourrait alléguer le parallèle du sanctuaire de Kourno qu’il faut peut-être identifier au sanctuaire de Déméter à Aigila (IG V.1, 1390, l. 31 ; cf. J.E. & F.E. Winter, AJA, 87 [1983], 3-10). Les tuiles estampées portent sur la première ligne (epi) stratago, sur la deuxième le nom du stratège et sur la troisième le nom de sa cité : il doit s’agir de l’éponyme du koinon des éleuthérolaconiens. La graphie paraît tardive (alphas à barre brisée, sigmas et epsilons lunaires). Ensuite, il n’y a plus de témoignages, à part des fragments d’une vingtaine de lampes d’époque impériale : la désaffection pour le sanctuaire aurait donc été très rapide.
On voit que la fouille laisse subsister plusieurs énigmes : quant à la chronologie de la fréquentation du sanctuaire, à l’identité de la ou des divinité(s) qui y furent vénérée(s), et à la nature des trouvailles monétaires, comme le souligne O. Picard. Le matériel fournit quelques éclairs sur les actes du culte : une niche était destinée à de grands récipients qui contenaient peut-être des parfums. Des séries d’offrandes comportent des figurines-tubes, dont le type est connu par des trouvailles du sanctuaire d’Apollon d’Hypertéléatès, diverses représentations d’ovins (de petites figurines de céramique, des fragments de crânes en argile et d’yeux appartenant à des pièces comparables –peut-être des béliers ?), des calices en argile.
L’A. pense manifestement avoir découvert le sanctuaire de La Mère des Dieux mentionné par Pausanias (3.22.4) et que le Périégète qualifie de théas axion : s’il faut aller le voir (la comparaison de la statue de culte avec celle du Sipyle dans la phrase qui suit le révèle) ce n’est pas parce qu’il est extraordinaire, mais parce qu’il est réputé le plus ancien du Péloponnèse. Cependant, malheureusement, rien dans le matériel mis au jour ne permet d’identifier assurément le sanctuaire de Kastraki comme celui de la divinité asiatique. Son identification comme monument héroïque pour l’olympionique Nikoklès, vainqueur en 100 et en 96 a.C., seule autre curiosité d’Agrai mentionnée par le Périégète (3.22, 5-6), n’est pas plus certaine.
La chronologie de l’introduction de la Métér Théôn dans les cités grecques reste inconnue (cf. M. X Xagorari-Gleissner, Meter Theon. Die Göttermutter bei der Griechen, Peleus 40, 2008) ; il est seulement certain que son culte fut introduit officiellement à Athènes à la fin du IVe s. a. C. (cf. T.L. Shear Jr, « Bouleutérion, Metroon and the Archives at Athens » in H.M. Hansen, K K. R Raaflaub ed., Studies in the Ancient Greek Polis, Historia Einzelschriften 95 (1995), 157‑189) et le métrôon d’Olympie ne remonte qu’au début du IVe s. a. C.. Malheureusement, le sanctuaire de Kastraki ne permet pas de savoir sûrement si elle était auparavant arrivée dans le Péloponnèse, et en l’occurrence si les relations privilégiées de Sparte avec les cités ioniennes et Samos avaient vraiment conduit la déesse sur les rives de l’Eurôtas dès l’époque archaïque.
Nadine Deshours