Ce petit volume (165 p.) de Ian Storey consacré à la Paix d’Aristophane vient heureusement combler une lacune. On ne disposait en effet pas à ce jour de « Companion » guidant l’étudiant découvrant cette comédie représentée en 421 par le poète comique : c’est chose faite. Le volume est publié dans le cadre de la série Bloomsbury Ancient Comedy Companions et c’est le troisième consacré à Aristophane, après les Cavaliers et les Grenouilles. Ian Storey, aujourd’hui retraité, est un spécialiste reconnu de la comédie ancienne et il livre ici une petite synthèse très bien informée et tout à fait pédagogique. Conformément au concept du « Companion », l’ouvrage est court, la bibliographie liste principalement des articles et ouvrages en anglais et les notes sont réduites au strict minimum – 7 pages en fin de volume. Divisé en six chapitres, l’ouvrage fait la part belle à la mise en scène et à la réception de cette comédie qui n’est pas la plus célèbre ni la mieux transmise d’Aristophane : elle ne fait pas partie de la triade byzantine (Ploutos, Nuées, Grenouilles), elle n’est pas non plus aujourd’hui la plus souvent représentée, à la différence par exemple de Lysistrata.
Une brève introduction rappelle ce qui, selon Storey, valut à la pièce de faire néanmoins partie du choix des onze comédies qui nous sont parvenues, et d’être encore jouée aujourd’hui : le vol de Trygée juché sur un bousier vers l’Olympe, la scène du sauvetage de la paix par les Grecs réunis, le sympathique personnage de Trygée, mais aussi le témoignage qu’elle fournit sur une période de l’histoire grecque également décrite par Thucydide.
Le premier chapitre, « Old Comedy, Aristophanes and a Play About Peace », sert de mise en contexte. Storey rappelle ce que l’on sait des origines de la comédie, de son développement, de la manière dont les Anciens l’ont lue ; il passe en revue la carrière d’Aristophane et rappelle les thèmes principaux traités par le poète – le devenir de la cité d’Athènes, la nostalgie d’un âge d’or, les attaques ad hominem – et ce qui le distingue des autres poètes comiques, tout en soulignant que les coopérations étaient sans doute plus fréquentes que l’accent mis sur la rivalité entre poètes dans les travaux récents peut le faire penser. Il évoque enfin le contexte de la représentation de la Paix, en 421.
Le deuxième chapitre, « Peace as an Old Comedy », met l’accent sur les traits caractéristiques du genre et la manière dont ils sont traités dans la Paix : la caractérisation du héros comique, la structure de la comédie, le rôle du chœur. Loin de se limiter à la Paix, Storey fait des allers-retours entre les différentes comédies qui nous sont parvenues et cette comédie, mettant en lumière celles dont elle est proche – les Acharniens par exemple, avec les personnage de Dicéopolis, qui rappelle à plusieurs égards Trygée – et ce qui fait sa spécificité. Il souligne ainsi le fait qu’il n’y a pas à proprement parler d’agôn, ni d’ailleurs de conflit dans cette comédie, et que la parabase est incomplète : réduite aux anapestes, elle est dépourvue de syzygie épirrhématique, dans laquelle le chœur reprend d’ordinaire son identité dramatique. Or il se trouve que dans la Paix, cette identité est particulièrement fluctuante, le chœur étant tantôt présenté comme un collectif de paysans athéniens, tantôt comme panhellénique, tantôt enfin, quittant son identité dramatique, comme un groupe de citoyens performant la comédie.
Le troisième chapitre, « Peace and its Historical Background », est consacré au contexte historique, essentiel pour la compréhension de la comédie ancienne en général et de cette comédie en particulier. Storey, comme il se doit, brosse à grands traits le tableau de la rivalité entre Athènes et Sparte, évoque l’évolution de la démocratie athénienne et l’émergence des démagogues et détaille la chronologie des années précédant la paix de 421, en recourant abondamment à Thucydide ; mais il souligne aussi la tendance des lecteurs anciens comme modernes d’Aristophane à le prendre au pied de la lettre (« Aristophanes re-writes recent history ») là où il ne faut voir selon lui que des effets comiques. Il montre enfin que l’intrigue de la Paix, qui ne repose pas comme les autres comédies sur un affrontement entre le héros et les opposants à sa « grande idée », résulte probablement de l’évolution immédiate des négociations avec Sparte : abandonnant sa « grande idée » – se rendre sur l’Olympe pour se confronter à Zeus – il retourne parmi les Grecs pour délivrer la paix avec eux et jouir pleinement du retour au monde d’avant.
Le quatrième chapitre privilégie une approche thématique : sont évoqués les monstres (Cléon et Polémos), les divinités et la place centrale d’Hermès, la dimension féérique avec le bousier volant et le sauvetage de Paix, l’évocation d’un idéal de vie campagnarde, le rôle de la statue de la paix, les images récurrentes, la manière dont sont présentés Athèniens et autres Grecs, et enfin les ruptures de l’illusion dramatique. À nouveau, Storey replace ces thématiques dans le cadre plus large de la littérature grecque, du théâtre et de la comédie sans se limiter au corpus aristophanesque.
Le chapitre cinq est consacré à la mise en scène de la Paix ; il revient sur les conditions matérielles des représentations dans l’Athènes classique et sur le traitement scénique du vol du bousier et du sauvetage de la statue de la paix.
Le chapitre le plus novateur est sans doute dernier, qui propose dans un même mouvement une synthèse des travaux sur la transmission et la réception de cette comédie depuis l’Antiquité. Après être revenu sur les jeux d’intertextualités présents dans la Paix – avec Homère, Archiloque, Bellérophon – il passe en revue la réception de la comédie ancienne dans l’antiquité : les vases phlyaques, l’intérêt que lui ont porté les satiristes à Rome, son importance pour le courant de la seconde sophistique, mais aussi le désamour de l’ère chrétienne pour cet auteur perçu comme agressif et sulfureux. La transmission manuscrite est rapidement évoquée et la fin du chapitre est consacrée à la diffusion du poète comique depuis la princeps de 1498 jusqu’aux mises en scène les plus contemporaines, dont Storey souligne la fréquence en Grèce et en temps de guerre.
Au final, Storey présente ici une synthèse très claire, parfaitement informée des publications les plus récentes ; il domine son sujet, confrontant la Paix non seulement au corpus des comédies conservées mais aussi, et fréquemment, aux fragments d’Aristophane et d’autres poètes comiques, souvent bien moins connus : Epicharme, Eupolis, Cratinos sont ainsi régulièrement cités. Les autres genres – notamment la tragédie – sont également convoqués, et il s’agit donc non seulement d’une très bonne introduction à la Paix mais plus généralement au genre de la comédie ancienne.
Malika Bastin-Hammou, Université Grenoble Alpes
Publié en ligne le 15 juillet 2021