L’ouvrage dont nous faisons ici le compte rendu rassemble les actes d’un colloque international organisé à l’École française d’Athènes les 29 et 30 novembre 2014. Ce dernier fait suite à une première rencontre tenue en 1995 et dont K. Sheedy et C. Papageorgiadou-Banis ont fait en sorte que l’on en conservât le souvenir[1]. Presque vingt ans après, F. Duyrat et de C. Grandjean ont proposé, avec le succès que l’on va voir, de faire « un nouveau point sur les méthodes d’approche des monnaies de fouille du monde grec » (p. 12), émises pour la plupart avant le Principat. Les spécialistes invités à cette occasion ont étendu l’enquête, non seulement à la Grèce d’Europe, mais à l’Égypte et à l’Orient méditerranéen (les établissements occidentaux étant laissés de côté), tout en tenant compte des progrès les plus récents de la science moderne.
Cette entreprise est d’autant plus importante que les monnaies de fouille ont longtemps été négligées, et le sont encore parfois aujourd’hui, car d’un abord quelque peu délicat[2]. Cependant, une fois surmontées les difficultés d’exploitation qu’elles soulèvent, leur étude offre au numismate et plus généralement à l’historien de l’Antiquité de précieuses informations susceptibles de nourrir leur recherche. Entre autres atouts, les monnaies de fouille « enrichissent les corpus monétaires, permettent de préciser la datation de certaines séries, et leur apport, tant sur les techniques de frappe que sur les usages monétaires, est irremplaçable » (p. 12).
Dix-sept contributions permettent d’apprécier à sa juste valeur l’intérêt d’un tel matériel. Plusieurs d’entre elles sont consacrées aux rapports des monnaies de fouille avec l’Histoire. La première, produite par J. Davies (« An Economic Historian’s Agenda », p. 19-34), estime que ces dernières peuvent éclairer l’histoire économique d’un site ou d’une région à condition de prendre également en compte les autres données relatives au même sujet (des objets aux services, des transactions aux mouvements de population et de marchandises). De son côté, F. Duyrat (« Les monnaies de fouille au Levant. Une approche régionale », p. 35-50) note que, malgré l’hétérogénéité des publications numismatiques qu’il serait bon d’harmoniser (cf. ses recommandations sur ce point dans « Some Recommendations for Publishing Coins from Excavations », p. 297-302), l’étude des trouvailles monétaires isolées de 58 sites du Levant donne de la circulation des monnaies dans la région entre le VIe et le Ier siècle a.C. « un visage (…) différent de celui, mieux connu, tiré des trésors » (p. 49). Elle éclaire « aussi bien des aspects de l’histoire locale que de la production monétaire et des usages ordinaires » du bronze, métal largement représenté dans l’échantillon. À Argos, le millier de monnaies grecques pré-augustéennes trouvées sur place et identifiées indique que la majorité d’entre elles, de faible valeur, vient d’ateliers des alentours et qu’elles ont surtout été frappées avant 229 a.C., date de l’entrée d’Argos dans le koinon d’Achaïe. Auteur de ce constat, C. Grandjean (« Les monnaies grecques des fouilles de l’École française d’Athènes à Argos », p. 51-63), se demande si, au regard de l’histoire tourmentée d’Argos aux IVe et IIIe siècles a.C., « les arrivées de monnaies étrangères, lorsque la petite monnaie (locale) venait à manquer et/ou que la situation sociale se tendait, ne pouvaient (…) pas constituer, pour les cités, un outil parmi d’autres pour limiter les risques de stasis » (p. 62-63). À Thasos, O. Picard (« Les monnaies de fouilles du monde grec : l’apport de Thasos, p. 65-81) souligne que les quelque 6 800 bronzes de la cité mis au jour par l’École française d’Athènes permettent d’appréhender avec précision le monnayage local émis dans ce métal et, à partir de là, de mesurer le rôle joué par celui-ci dans la « politique monétaire » (p. 65) des Thasiens. Ce faisant, ils « apportent des indices très importants (parfois ambigus) sur la prospérité de la cité dans les différentes périodes » (p. 81). Enfin, prenant appui sur les monnaies de bronze découvertes à Olynthe et à Stagire, C. A. Gatzolis et S. E. Psoma (« Olynthos and Stageira : Bronze Coinage and Political History, p. 83-96) montrent qu’il est possible, par ce biais, de retracer l’histoire politique des deux cités, jusqu’à la destruction de la première en 348 a.C. par Philippe II de Macédoine, jusqu’à l’époque de Philippe V pour la seconde.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, dédiée au « traitement des données » recueillies sur le terrain, D. T. Ariel (« Coins from a Small Country : How Excavated Coins are Managed in Israel, from the Dig to the Bookshelf », p. 99-111) indique que le Cabinet des médailles de l’Israel Antiquities Authority abrite probablement la plus grande collection au monde de monnaies dont on connaît la provenance (87 % des pièces conservées). Une telle masse d’informations, faisant l’objet d’un enrichissement constant, donne par exemple de précieux renseignements sur les conséquences des guerres et de l’inflation sur le numéraire circulant dans la région[3]. De son côté, T. Faucher (« Cartographie des monnaies de fouilles (1950-2050) », p. 113-122) présente ce que la cartographie, traditionnelle aussi bien que numérique, peut apporter dans l’étude des monnaies de fouille et rappelle à cette occasion les règles de base pour la réalisation d’une carte claire et utile à la recherche. En guise d’exemple, L. Fadin et V. Chankowski (« Monnaies de fouilles et SIG : l’exemple de Délos », p. 123-130) montrent l’intérêt du Système (informatique) d’Information Géographique (SIG) de Délos dans l’exploitation des monnaies trouvées dans le sanctuaire. En centralisant l’ensemble (jusque-là disparate) des données relatives au sujet, celui-ci permet « en premier lieu (…) de visualiser avec une plus grande netteté (les) différents usages des instruments monétaires. On peut espérer ainsi faire progresser, en particulier, le débat sur l’utilisation des petites dénominations de bronze et, en regard, la question de la politique monétaire des autorités portuaires » (p. 130).
La troisième partie des Monnaies de fouille du monde grec, consacrée aux faciès des sites archéologiques d’après des études de cas, débute avec une présentation par A. Meadows des « Coins from Underwater Excavations. The Case of Thonis-Herakleion », près d’Aboukir en Égypte (p. 133-145). C’est pour l’auteur l’occasion de rappeler les difficultés de travailler sur du matériel corrodé par l’eau de mer et provenant d’un site aujourd’hui submergé. Cependant, le patient travail d’identification auquel le spécialiste doit s’astreindre peut produire de fructueux résultats. Dans le cas de Thonis-Hérakléion, siège du temple d’Ammon-Gereb dans l’Antiquité, on peut ainsi connaître ce que fut la circulation monétaire dans la région entre la fin du IVe siècle a.C. et les premiers temps de la présence musulmane. Travaillant pour sa part sur les « Treasures from the Deep : Coins from Hellenistic and Roman Republicain Shipwrecks » (p. 147-156), P. Tselekas note que les monnaies trouvées dans une trentaine d’épaves coulées en Méditerranée entre le début du IIIe et la fin du Ier siècle a.C. servaient pour les unes aux besoins de l’équipage et des passagers, pour les autres à régler les dépenses militaires et commerciales. Elles sont aujourd’hui un précieux outil pour dater les naufrages mais aussi pour rétablir les itinéraires suivis par les navires avant leur disparition. Centrant leur réflexion sur la Macédoine, S. Kremydi et K. Chryssanthaki-Nagle d’une part (« Aigeai and Amphipolis. Numismatic Circulation in Two Major Macedonian Cities », p. 157-176), N. Akamatis d’autre part (« Numismatic Circulation in the Macedonian Kingdom. The Case of Pella », p. 177-201) révèlent ce que fut la circulation monétaire dans les ateliers d’Aigeia, Amphipolis et Pella, notamment les ressemblances et les différences d’une cité à l’autre, d’après des échantillons faisant connaître du matériel inédit. M.-C. Marcellesi (« Territoire, institutions et rayonnement de Pergame : l’apport des monnaies de fouille », p. 203-222) fait de même avec les trouvailles monétaires réalisées à Pergame et dans ses environs immédiats depuis la fin du XIXe siècle. Ce dernier sujet, riche d’enseignements, en particulier à une époque où la cité « est passée du statut de petite cité à la fin de l’époque classique à celui de capitale royale hellénistique » (p. 222) a également inspiré, il y a peu, J. Chameroy et I. Savalli-Lestrade[4].
Dans la dernière partie, intitulée « Masses monétaires et contextes », K. Butcher (« Coin Finds and the Monetary Economy : the Good, the Bad, and the Irrelevant », p. 225-237) indique, à travers des études de cas datés de la seconde moitié du IIIe-début du IVe siècle p.C., que les trouvailles monétaires ne sont pas seulement un témoignage du comportement de la monnaie dans l’Antiquité. Celles-ci peuvent être également une manifestation de la démonétisation ou du décri, ce qui amène à reconsidérer la notion de « “good” and “bad” coin » (p. 235). Pour sa part, F. de Callataÿ (« De quoi les monnaies grecques trouvées en fouilles sont-elles le reflet ? Propos diachroniques de méthode », p. 239-261) appelle les spécialistes de la monnaie grecque chargés de publier des pièces trouvées en fouille « à prendre connaissance des études de nature méthodologique réalisées à propos de périodes ultérieures [en particulier l’époque romaine] pour lesquelles la qualité de l’information permet d’aller plus loin tant dans la modélisation des phénomènes de circulation que dans les réponses apportées aux questions que celle-ci suscite » (p. 261). Il plaide également pour que l’on accorde « une attention plus grande à tous les types de contextes situés en-dessous de l’unité régionale qui aura monopolisé l’attention, et en particulier aux micro-contextes fort négligés jusqu’ici et pour lesquels le regard anthropologique peut se révéler très stimulant ». Complétant ce propos, P. P. Iossif (Using Site Finds as Basis for Statistical Analyses of the Seleucid Numsimatic Production and Circulation. An Introduction to the Method », p. 263-296) démontre une nouvelle fois l’intérêt des études statistiques et quantitatives appliquées aux monnaies[5]. Pour ce faire, il prend pour modèle les monnaies séleucides issues de 80 sites d’Asie Mineure, du Proche et du Moyen-Orient, que l’on a pris soin de rassembler dans la « Seleucid Excavations Database ». Interrogeant par ce biais un matériel représentatif de ce qui se passait sur le territoire séleudice depuis ses origines, P. P. Iossif a découvert que l’imposant échantillon (plus de 8 300 monnaies) consistait avant tout en petits bronzes d’Antiochos III et d’Antiochos IV, qu’il témoignait de la réforme monétaire survenue dans le royaume au début du IIe siècle a.C. et que les exemplaires trouvés en Coelé-Syrie devaient être associés aux dernières guerres de Syrie.
Au total, à l’aune des belles communications prononcées alors et portées maintenant à l’attention du plus grand nombre, le colloque d’Athènes de 2014, dont l’ambition visait à « proposer un panorama des monnaies de fouilles du monde grec aussi complet que possible » (p. 15), a tenu manifestement toutes ses promesses. Certes, d’autres rencontres de qualité avaient déjà montré l’intérêt de publier et d’étudier avec soin les monnaies de fouille. Outre le colloque de 1995 en l’honneur de M. Oeconomides évoqué plus haut, nous pourrions citer également le colloque de Francfort-sur-le-Main organisé en 2007 et publié en 2009 par H.-M. von Kaenel et F. Kemmer[6], ou bien encore le colloque d’Athènes tenu en 2010 et édité en 2011 par T. Faucher, M.-C. Marcellesi et O. Picard[7]. Cependant, Les monnaies de fouille du monde grec ajoutent une pierre nous semble-t-il décisive à l’appréhension d’un sujet passionnant et devraient achever de convaincre, espérons-le, de son importance.
Fabrice Delrieux, Université Savoie Mont-Blanc
Publié en ligne le 05 février 2018
[1] Archaeological Numismatics, Numismatics Archaeology. Proceedings of an International Conference held to honour Dr. Mando Oeconomides in Athens 1995, Oxford 1997.
[2] P. 11 ; cf. également F. Delrieux, « Les monnaies de fouille trouvées à Iasos. Bilan provisoire et étude de cas », Boll. Assoc. Iasos di Caria 16, 2010, p. 31.
[3] À comparer avec ce que nous apprennent, toutes proportions gardées, Les monnaies du fonds Louis Robert (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), F. Delrieux éd., Paris 2011.
[4] Auteurs de « Pergame, cité et capitale dynastique au miroir de la prosopographie interne et des trouvailles monétaires » dans I. Savalli-Lestrade éd., L’Éolide dans l’ombre de Pergame, Lyon 2016, p. 229-284.
[5] Cf. déjà Fr. de Callataÿ, Quantifications et numismatique antique. Choix d’articles (1984-2004), Wetteren 2006.
[6] Sous le titre Coins in Context I. New Perpectives for the Interpretation of Coin Finds, Mayence 2009.
[7] Sous le titre Nomisma. La circulation monétaire dans le monde grec antique, Athènes 2011.