Le livre de N. Papazarkadas, paru à Oxford à la fin de l’année 2011, est issu de sa thèse, soutenue en 2004. Il se compose d’une monographie sur ce que l’auteur nomme la terre non-privée (« non-private land ») à Athènes, à l’époque classique et d’une série d’appendices plus ou moins développés, constituant pour certains de véritables articles, faisant le point sur plusieurs questions ou documents de manière très précise. L’ouvrage s’inscrit dans les débats historiographiques les plus récents sur la terre, sur sa possession, mais touche aussi à la question des finances, publiques et sacrées, plus largement à l’économie de la terre et à l’aspect social de son exploitation, même si au regard de l’impressionnant matériel que l’auteur a dépouillé, on aurait espéré un propos plus synthétique sur ces sujets.
N. Papazarkadas expose les termes de discussion sur la distinction qu’il conviendrait de faire entre terre publique et terre sacrée. La terre sacrée » ne constitue ni une catégorie juridique, ni un statut légal en soi. Il suffit de rappeler ici que sur le territoire des cités grecques on trouve trois grandes catégories de terres : les terres privées appartenant aux citoyens, des terres publiques, et des terres sacrées, appartenant aux dieux. N. Papazarkadas étudie pour Athènes les deux dernières catégories. La confusion a pu venir à propos de administration des terres sacrées qui revient elle à une entité séculaire. Il s’agit soit de la cité soit de ses subdivisions telles que le dème ou les phratries, mais il peut s’agir également d’une organisation internationale chargée par ailleurs de l’administration du sanctuaire. L’objectif de auteur était de parvenir à « présenter de manière exhaustive les sources de la propriété contrôlée par les collectivités (corporate groups) » (p. 14), aussi bien littéraires qu’épigraphiques.
Le premier chapitre d’introduction est consacré à l’historiographie qui porte sur la notion de « polis religion » et sur administration au sens large (statut juridique gestion financière essentiellement) des biens sacrés. Ces deux points soulèvent des débats loin d’être tranchés. Sans en ignorer la complexité, NP, préfère, sans doute à juste titre, reprendre question à partir des aspects concrets fournis par les sources, abondantes pour l’Attique. On regrette cependant que l’auteur ne consacre pas, par exemple, un développement synthétique la question de la répartition des fonds entre caisse sacrée et caisse publique. Il s’agit bien sûr d’un sujet un peu en marge du livre, mais qui aurait pu être utilement réexaminé par le biais du traitement que la cité réserve aux revenus de la terre. NP tient la distinction entre caisse sacrée et caisse publique (dèmosion) pour acquise et souligne « It now remains to explore and lay out the implications of the distinction for our understanding of ancients economics (p. 10), sans toutefois mener à bien le projet. Sur la question de savoir ce qu’il devait considérer comme relevant de la « religion de la cité », NP tranche en s’en remettant prudemment à l’identité des instances gérant les biens-fonds. Ainsi pour NP, on peut considérer comme étant un culte public celui dont les aspects administratifs et financiers sont entre les mains soit de la Boulè, soit de l’assemblée, soit de magistrats athéniens (p. 17).
NP consacre les trois chapitres centraux de son ouvrage à l’examen des sources relatives dans le chapitre 2 aux propriétés sacrées directement administrées par la cité, dans le chapitre 3, aux propriétés administrées par les tribus et les dèmes, puis dans le chapitre 4, aux propriétés des associations. L’auteur fait apparaitre alors une distinction nette entre les divinités civiques telles qu’Athéna Polias, les autres Dieux, ou les déesses d’Éleusis, Déméter et Korè (il faut y adjoindre le long développement de l’appendice I sur l’origine et l’histoire de l’Orgas) et les divinités locales dont les sanctuaires et les propriétés se trouvent sur le territoire des dèmes ou qui sont les divinités tutélaires de telle tribu ou association.
Les sources relatives aux grands cultes communs directement administrés par la cité (chapitre 2) montrent que les terres des divinités sont données à bail et que les loyers permettent le plus souvent de financer les manifestations liées à la célébration du culte et en particulier les sacrifices ou les prix distribués aux vainqueurs des concours (comme à Éleusis, p. 39). Ces loyers fournissaient ainsi des revenus réguliers sur lesquels on pouvait compter pour financer des manifestations, qui elles aussi se produisaient à intervalles réguliers, selon un calendrier bien établi. Mais NP souligne également pour le seul moment de la période classique où les sources permettent une telle approche, c’est-à-dire en 343/2 av. J.-C., que les terres sacrées administrées par la cité représentaient sans doute au maximum 4% des terres exploitables en Attique (p. 97). L’auteur avertit que cette estimation est sujette à discussion et préfère le plus souvent parler d’« impression », comme celle qui lui donne à penser que la majeure partie des terres en Attique relevaient de la propriété privée (p. 98). À côté de ces terres sacrées, administrées par l’administration centrale de la cité, NP étudie ce qu’il identifie comme de la terre « publique », dans la mesure où elle est qualifiée dans les sources de dèmosion (chapitre 5). Il s’agit pour l’auteur de zones « marginales », qui pouvaient être utilisées par la communauté, mais qui ne constituaient pas des terres véritablement exploitables, capables de générer des revenus (p. 235). Ce chapitre, très court, aurait peut-être pu constituer un développement de ce chapitre 2.
Dans le chapitre 3, l’ouvrage montre que les sources relatives aux propriétés des tribus sont rares et difficiles à interpréter : des inscriptions attestent l’existence de propriétés appartenant aux Héros Éponymes, à Samos et à Lemnos à une époque où ces deux îles étaient sous le contrôle d’Athènes (p. 101-102). Mais c’est dans la gestion des terres qu’Athènes recouvre à Oropos en 335 que les tribus athéniennes sont les plus impliquées. Plus consistant est le dossier de sources relatives aux propriétés administrées par les dèmes. Ils administrent à la fois des propriétés sacrées se trouvant sur leur territoire, mais aussi des propriétés qui appartiennent à la communauté du dème. Les dèmes avaient des revenus assez diversifiés : l’inscription du dème de Plothéia, par exemple, montre que les revenus du dème se composaient pour une petite part sans doute de loyers, mais surtout des intérêts de prêts consentis par le dème. La relative abondance des sources permet à l’auteur de formuler quelques hypothèses plus générales sur les aspects socio-économiques de la gestion foncière des dèmes (p. 135-147), en particulier sur les motivations des preneurs. Une majorité des preneurs ou des acheteurs, lorsqu’il est possible de les identifier, appartiennent au dème. Ces preneurs n’auraient pas seulement des motivations « économiques », mais seraient mus, dans certains cas, par le souci de servir les intérêts de leur communauté, comme s’il s’agissait de liturgies (p. 151-152). On peut souligner à ce propos la très grande utilité de la prosopographie (Appendice VII) des preneurs et garants des biens-fonds sacrés.
Le chapitre 4 consacré aux associations (phratries, génè et orgéons) est moins homogène que les deux précédents : l’auteur réunit ici les analyses de documents variés, émanant d’entités aux statuts juridiques et sociaux très différents. Néanmoins, il s’agit essentiellement de propriétés appartenant aux divinités tutélaires de ces associations, le plus souvent le téménos lui-même de la divinité comme dans le cas des orgéons qui louent pour quelques drachmes le terrain même sur lequel se dresse leur sanctuaire. Ces documents sont épars et il est impossible, de manière encore plus flagrante que pour les entités précédentes, d’estimer l’importance et l’influence de ces propriétés dont l’existence surgit essentiellement dans des sources du IV e siècle av. J.-C. pour disparaître à l’époque hellénistique, comme d’ailleurs la plupart des autres types de témoignages sur l’administration de la terre en Attique.
Pour terminer, il faut souligner l’érudition de l’ouvrage : l’auteur non seulement exploite, mais établit, ré-établit et commente plusieurs centaines de documents, littéraires et épigraphiques, dont l’accès est facilité par un index très minutieux, ce qui fait de cet ouvrage une somme indispensable aux historiens spécialistes d’Athènes, mais bien au-delà, à tous ceux qui se préoccupent d’histoire de l’économie, de la religion ou du droit grecs.
Isabelle Pernin