Issu d’une conférence qui s’est déroulée à Sydney en 2014 pour célébrer le bimillénaire de la mort d’Auguste, cet ouvrage collectif entend questionner le concept de saeculum Augustum (Suet., Aug., 100, 3), qui a longtemps prévalu dans les historiographies antique et moderne. Un « âge » augustéen exista-t-il réellement ? Comment fut-il élaboré, diffusé et mis en scène ? Correspondit-il à la perception qu’avaient les contemporains d’Auguste de leur époque ? Deux méthodes sont privilégiées pour répondre à ces questions. En premier lieu, dépasser le cadre des années 27 av. J.-C. à 14 ap. J.-C. pour mettre d’une part en évidence l’existence de continuités entre l’époque triumvirale et le principat augustéen, et questionner d’autre part le rôle de « réformateur » d’Auguste, à qui l’on a souvent attribué des initiatives qui s’inspiraient en réalité de lois ou de mesures mises en place à l’époque républicaine. Dans un deuxième temps, réfléchir aux « alternative worldviews, spaces, narratives » (p. 6), i.e. opérer une lecture critique des sources et de l’historiographie pour mettre en lumière les réformes qui furent conduites en l’absence du prince, étudier le rôle d’autres acteurs, individuels ou collectifs, dans la construction du Principat, ou encore restituer la diversité des opinions des contemporains d’Auguste, entre adhésion au nouveau régime et opposition à celui-ci.
Le recueil regroupe dix-neuf contributions d’historiens et de philologues, en grande majorité australiens, anglais ou américains. Sur le plan de la documentation, si l’étude des sources littéraires, qu’elles soient historiques ou poétiques, a été privilégiée, plusieurs articles font aussi la part belle à l’étude de documents épigraphiques, archéologiques et numismatiques découverts plus récemment et moins souvent commentés, à l’instar de la loi de Troesmis ou des différentes versions du bouclier des vertus (examinées par K. Welsch). Compte tenu de l’ampleur du recueil, il est bien entendu difficile de proposer ici un résumé exhaustif de toutes les contributions et nous nous contenterons d’attirer l’attention sur quelques articles qui ont suscité notre intérêt.
Plusieurs contributions abordent tout d’abord la question des continuités entre époques républicaine et augustéenne. K. Morrell offre un avant-goût de son livre paru depuis (Pompey, Cato and the Governance of the Roman Empire, Oxford, 2017) en proposant une étude de la manière dont Auguste, à la façon d’une « pie voleuse » (magpie), puisa dans les héritages politiques de Pompée et de Caton d’Utique. L’article s’appuie sur la comparaison des leges Pompeia de prouinciis de 52 et Iulia de prouinciis de 27, dont l’auteure souligne qu’elles auraient eu le même objectif : en introduisant un intervalle de cinq ans entre l’exercice du consulat et celui d’un gouvernement provincial, Auguste, comme Pompée avant lui, aurait davantage cherché à combattre la corruption électorale et à donner aux sénateurs les moyens de contrôler l’action des gouverneurs, qu’à restreindre le pouvoir des consuls. C. H. Lange s’empare quant à lui de la question du triomphe, dont il étudie les évolutions entre la célébration du triple triomphe par Auguste en 29 et celle du triomphe de L. Cornelius Balbus en 19, en partant des sources épigraphiques relatives aux huit sénateurs qui n’appartenaient pas à la famille impériale, mais obtinrent cet honneur.
La majeure partie des contributions est ensuite centrée sur l’examen des relations qu’Auguste entretenait avec les aristocrates de son époque, tant sur le plan collectif (avec les ordres sénatorial ou équestre) qu’individuel (avec des préfets d’Égypte ou des proconsuls d’Afrique, C. Asinius Pollio, M. Vipsanius Agrippa ou L Munacius Plancus). A. Pettinger propose une lecture intéressante de la lectio senatus de 18 av. J.-C., qui eut pour effet de faire passer le nombre de sénateurs de 800 à 300. L’historien argumente en faveur de l’authenticité de la procédure, qui faisait alterner votes de cooptation et tirages au sort, en soulignant d’une part qu’elle reposait sur des précédents (la procédure de composition des jurys des quaestiones), et en mettant d’autre part en lumière ses vertus : restaurer un Sénat conforme à l’esprit républicain (300 optimi), composé par les sénateurs eux-mêmes avec l’appui des dieux et de Fortuna, sans que les aristocrates exclus du Sénat ne perdissent leur dignitas. Il en conclut que l’initiative de cette lectio émanait d’un « group of leading politicians, some of whom were associated with the “free” Republic but were nevertheless willing to work with Augustus » (p. 58), et non pas d’Auguste lui-même. Les lois matrimoniales augustéennes et les oppositions qu’elles soulevèrent font également l’objet de deux articles. Le premier, de B. Hopwood, examine dans la Laudatio Turiae (CIL VI, 41062) les passages qui témoignent de l’hostilité des aristocrates envers les normes sociales imposées par ces lois (en particulier l’encouragement à la natalité, qui conduisit à accélérer et à multiplier les remariages et à modifier le temps et le statut du deuil). W. Eck offre ensuite une mise au point claire sur la législation matrimoniale d’Auguste et sa généalogie. Il rappelle que la lex municipalis Troesmensium en bronze atteste que fut proposée en juin 5 ap. J.-C. une loi (sous la forme d’un commentarius) qui durcissait les dispositions de la lex Iulia de maritandis ordinibus de 18 av. J.-C. Ce texte suscita de telles oppositions dans les ordres supérieurs (et peut-être dans le peuple ?) qu’Auguste renonça à le présenter au vote des comices ; ce ne fut finalement qu’à l’été 9 ap. J.-C., à la faveur d’un contexte politique et militaire plus clément que fut votée la lex Papia Poppea qui reprenait, en les adoucissant, les dispositions de 5.
La manière dont fut élaborée et diffusée l’image du nouveau régime, et en particulier les questions de la « propagande » augustéenne et de l’agency des acteurs dans sa construction, constitue un dernier axe de réflexion. L’article de M. Goldman-Petri étudie les collèges des tresviri monetales à partir de 23 av. J.-C., en partant de l’exemple du monnayage de la gens Antistia entre 19 et 12. Il remet en cause l’idée selon laquelle la promotion des gentes aurait progressivement cédé le pas à la célébration de l’image d’Auguste : en réalité, si les monnaies « celebrate Augustus and the innovative means by which he constructed his religious authority in the state », « the Antistii moneyers constructed a familial background for their religious expertise and appropriated some of Augustus’ religious authority for themselves » (p. 214-215). L’un des intérêts de l’article est aussi de souligner la difficulté à identifier une image comme « républicaine » ou « augustéenne ». L’article de P. Le Doze, qui se situe dans le prolongement de ses travaux sur le cercle de Mécène (2014), offre également sur la question de la corrélation entre message augustéen et initiatives privées un nouvel éclairage. Il suggère que l’ambition des poètes qui gravitaient autour de Mécène n’était pas de diffuser une idéologie augustéenne, mais plutôt de promouvoir la littérature latine, qui passait par la promotion de leur cité ; ce ne fut que dans la mesure où ils étaient influencés par une philosophie de l’histoire qui « (paradoxically) afforded a decisive role to human action in the face of fatum » (p. 232), que « Maecenas and his poets had placed their bets on Augustus » (p. 246).
Malgré l’effort initial de définition de la thématique d’étude, les contributeurs peinent souvent à décentrer l’« âge augustéen » de la figure de son fondateur, tandis que le lien entre certains articles et la problématique de l’ouvrage reste parfois très ténu. L’ouvrage manque ainsi d’unité, d’autant qu’aucun plan ne le structure et que les éditeurs ne proposent pas de conclusion générale, ce qui contribue à donner du recueil l’impression d’une série d’études juxtaposées, sans tentatives réelles de confrontation des points de vue. L’absence de quelques thèmes qui auraient offert sur le sujet des éclairages intéressants et plus novateurs, en particulier celui des relations entre le prince et le peuple, abordées de manière ponctuelle et très schématique, est également regrettable.
Pour finir, signalons la présence d’un index et d’une bibliographie abondante et récente, dans laquelle manquent toutefois plusieurs travaux de chercheurs français, à l’instar de l’étude que M.-C. Ferriès a consacrée aux Partisans d’Antoine en 2007.
Julie Bothorel, Sorbonne Université
Publié en ligne le 23 septembre 2022.