Ce volume est le sixième de la série des études sur Morgantina en Sicile, fouillée par l’Université de Princeton, depuis les années 1950. Il a pour ambition d’étudier les céramiques fines hellénistiques et romaines entre la seconde moitié du IVe siècle a.C. et le début du Ier siècle a.C. Les céramiques communes et culinaires ainsi que les lampes seront publiées dans un volume à paraître. Shelley C. Stone travaille depuis 1977 sur les fouilles siciliennes, et précise dans sa préface que le manuscrit a été révisé pour la dernière fois en 2007 ce qui fait qu’il y a peu de références bibliographiques après cette date. La bibliographie plutôt courte pour un ouvrage de cet importance se comprend donc mieux à la lumière de cette explication.
L’ouvrage est découpé en sept grands chapitres traitant de l’histoire et de l’archéologie du site, des différentes époques traitées dans le volume ou encore de catégories bien spécifiques. Plusieurs appendices clôturent ce volume qui traitent de la fabrication des céramiques, de leur provenance grâce aux analyses par fluorescence des rayons X, de leur concordance avec les céramiques retrouvées dans les tombes à Lipari, et, pour finir, du trésor en argent de Morgantina.
Le premier chapitre a trait à l’histoire et l’archéologie de Morgantina. Le fait que cette cité se trouve à l’intérieur des terres ne l’a donc pas exposée aux influences extérieures ni au commerce méditerranéen, très important à ces époques. L’image donnée par le matériel et donc celle d’une culture matérielle locale de l’intérieur de la Sicile. L’auteur a choisi de ne faire apparaître dans ce volume que les céramiques fines et les céramiques de table, c’est-à-dire celles recouvertes de vernis ou avec des décorations moulées, découvertes dans des contextes datés précisément ce qui permet, non seulement, de bien les classer chronologiquement mais, également, de pouvoir dater leur apparition et leur disparition sur le site, au regard des autres sites méditerranéens. Cependant, d’autres céramiques moins bien datées ont quand même été incluses car elles étaient intéressantes soit en raison de leur forme soit de leur décoration. Les dépôts ainsi que leur chronologie sont clairement présentés pour permettre au lecteur de se faire une idée de leur fiabilité. Il s’agit pour la plupart de citernes ou de puits qui ont été abandonnés lors d’une catastrophe ou remplies durant des opérations de nettoyage ainsi que des couches de destruction, tous ces contextes n’ayant pas été perturbés par la suite. Ils ont tous un lien avec des évènements bien connus de l’histoire de Morgantina comme la prise de la ville par Rome en 211 a.C. Il n’y a aucune couche datant après 35 p.C., date de l’abandon de la ville. Il est à noter que S. Stone fait une différence nette entre ce qu’il appelle les dépôts et les contextes, ces derniers étant des couches que l’on peut dater assez facilement mais qui ont pu être perturbées et qui ne sont donc pas aussi sûrs que les dépôts. La vingtaine de pages sur l’histoire de Morgantina sont extrêmement utiles pour comprendre les différentes transitions, notamment dans l’histoire des productions céramiques. Ce chapitre se termine la liste des dépôts avec leur dénomination, leur localisation, leur datation, une description puis la liste des tessons découverts à l’intérieur de ces derniers ainsi que par la présentation des pâtes et des vernis du matériel de Morgantina : trois pour la période hellénistique, une pour le début de l’époque impériale.
Les trois chapitres suivants font état des céramiques fines de manière chronologique. Chacun d’entre eux offrent des explications très précises sur la façon dont les céramiques ont été datées avec des pourcentages de présence selon les dépôts ainsi que des comparaisons avec des découvertes dans ou hors Morgantina, ce qui ne laisse aucun doute sur leur datation. Ceci permet d’avoir une chronologie assez nette de chaque catégories et formes de céramiques ce qui est fondamental. Ces trois chapitres ont tous la même structure avec une discussion sur les lieux de découvertes, les pâtes, la chronologie, les formes ainsi que les décorations.
Le deuxième chapitre est dévolu aux céramiques de la fin du IVe et du IIIe siècle a.C. Cet ensemble est exceptionnel car, jusqu’à présent, les références étaient les dépôts de destruction de Gela mais qui étaient assez limités ainsi que les tombes de Lipari mais avec un matériel funéraire spécifique. Les trois réunis donnent une image nette de la céramique du IIIe a.C. en Sicile. La plupart des vases sont locaux et ne témoignent pas d’une influence extérieure bien qu’ils dérivent de la tradition grecque orientale, en particulier attique. Il y a, par ailleurs, très peu d’importations. Il s’agit essentiellement de céramiques à vernis noir qui forment le plus gros du matériel de cette époque mais il faut noter la présence de céramiques dites « east sicilian polychrome » ou « centuripe » avec des scènes peintes en détrempe sur un fond blanc après la cuisson du vase, dont beaucoup portent également des ornements plastiques.
Le troisième chapitre traite des céramiques républicaines entre 211 et 25 a.C. qui sont essentiellement des céramiques à vernis noir et rouge. Après le sac de 211 a.C., la chronologie est difficile à établir car il n’existe que quelques dépôts contenant peu de matériel. A cette époque, il s’agit essentiellement d’importations et, en particulier de campanienne C, caractéristique du matériel sicilien pour les IIe et Ier a.C. avec sa pâte grise, développée pour faire concurrence aux campaniennes A et B. Au Ier a.C., les céramiques font partie de la koiné dont le centre est en Italie mais on retrouve également des importations de céramiques orientales (Bols Hellénistiques à Relief, vases appliqués, ESA). L’auteur note un grand changement dans le nombre de catégories avec une baisse dans le panel des formes qui comprend plus de plats et moins de coupes. Ceci s’expliquerait par le changement d’habitudes alimentaires lors du passage à la romanisation avec des plats plus « solides » tels que les polentas et la viande. La production se situerait à Syracuse et dans les alentours, peut-être même à Morgantina, dans la première moitié du IIe avec une apogée à la fin du IIe et dans la première moitié du Ier a.C. Les céramiques à vernis rouge républicaines du Ier a.C. prennent ensuite le dessus. Elles sont influencées par l’ESA et deviennent communes à partir du milieu du Ier a.C. jusqu’à environ 35 a.C. à Morgantina, remplacées ensuite par les premières sigillées italiques.
Le quatrième chapitre traite des sigillées italiques importées des dernières décennies du Ier a.C. et de la première moitié du Ier p.C. La population est faible à ce moment-là et les dépôts sont rares ce qui rend difficile la classification. L’auteur nomme cette catégorie « Early Italian Terra Sigillata » à la place du terme « arretine » qui ne convient plus, tant les centres de production sont multiples entre 20 a.C. et 50/75 p.C. Ce sont des céramiques qui dérivent des vaisselles en métal et souvent timbrées avec le nom des potiers, notamment entre 10 a.C. et 10 p.C. qui est son apogée, tandis que le début et la fin de la production sont soumis à plus de conjonctures. Deux autres productions régionales ont été mises au jour, une qui succède aux céramiques à vernis rouge républicaine nommée Campanienne orange A (ancienne tripolitaine) et une autre qui pourrait être d’origine sicilienne.
Pour les cinquième et sixième chapitres, S. Stone a fait le choix de traiter deux catégories de céramiques à part : les vases à décors moulés et les parois fines. Pour les premiers, il s’agit de mettre en valeur la décoration, en particulier pour faciliter les comparaisons. Le problème étant que cela les met en évidence alors qu’il ne s’agit pas d’une catégorie si commune dans l’antiquité (entre 10 et 15% du total des céramiques fines) et encore moins à Morgantina où elle représente à peine 5% du matériel. Ce sont essentiellement des coupes avec des médaillons dans leur fond, datant surtout de la seconde moitié du IIIe a.C. a.C. et du premier quart du IIe a.C. Dans la seconde moitié du IIe a.C., les coupes à médaillons ont été remplacées par des coupes hémisphériques avec des décorations moulées à l’extérieur, mais qui sont moins communes à Morgantina. Il faut également noter la présence de céramiques à reliefs appliqués du IIIe a.C. et de la période républicaine ainsi que de sigillées timbrées à relief produites entre 40 et 20 a.C. et des céramiques glaçurées vertes du Ier a.C. Le chapitre sur les céramiques à paroi fine de l’époque républicaine et du début de l’empire présente leurs formes ainsi que leurs décorations. Ce volume se termine par un dernier chapitre consacré au catalogue et par 68 planches de dessins et 73 de photos de grande qualité qui nous permettent d’apprécier les différentes formes et apparences des céramiques traitées dans ce volume extrêmement intéressant et utile, non seulement pour les spécialistes de la Sicile mais, également, pour ceux travaillant en Italie ou dans les régions proches, qui trouveront là un aperçu général des céramiques hellénistiques et romaines de la région, mais, surtout, un calage chronologique très précis pour chaque forme, ce qui est assez rare pour être noté. Il ne fait aucun doute que le volume sur la céramique commune sera d’un aussi grand intérêt.
Cécile Rocheron, Université Bordeaux Montaigne
Publié en ligne le 05 février 2018