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Après Phèdre (Liverpool 1982), les Troyennes (Leeds 1994) et Octavie (Oxford 2008), A. J. Boyle (= B.) poursuit son étude du corpus tragique attribué à Sénèque (= S.) en publiant un commentaire d’OEdipe, qui complètera désormais celui de K. Töchterle (Heidelberg 1994), à l’égard duquel B. reconnaît d’ailleurs sa dette (p. X).
L’introduction donne d’abord quelques informations sur la vie de S. et sur l’époque à laquelle il vécut, avant de dresser un rapide panorama du théâtre à Rome ; ces pages, très générales, auraient sans doute pu être abrégées, voire supprimées, au profit d’un renvoi aux ouvrages de référence du même B. Puis viennent des études plus approfondies – très fines, mais diversement convaincantes – sur des points précis, comme le style « déclamatoire » de S., le rapport de la pièce avec le stoïcisme, sa relation à la situation que connaît alors Rome, ou encore sa dimension métathéâtrale. La présentation du mythe avant S. et de sa postérité, de Stace à l’époque moderne, révèle la grande érudition de B., aussi à l’aise pour parler de Voltaire que du dramaturge contemporain Ted Hughes ; ce passage fourmille de références intéressantes.
Le lecteur dispose alors du texte latin et, sur la page opposée, de la traduction de celui‑ci. Pour l’établissement du texte, B. se fonde sur l’édition de O. Zwierlein (OCT, 1986), dont il s’écarte à une quarantaine de reprises, sans proposer aucune conjecture personnelle. Nous ne nous sentons pas qualifié pour juger d’une traduction rythmée en anglais ; elle nous a semblé, dans l’ensemble, vivante et élégante, bien que la gageure que représente une telle entreprise ait parfois impliqué de supprimer des nuances du texte original (e.g. v. 770, où datum Diti est simplement rendu par « killed »). Suit un apparat critique sélectif d’une dizaine de pages qui rendra quelques services, même s’il eût été plus aisément consultable en étant placé au bas du texte latin.
Le commentaire, adapté au niveau d’un étudiant en début de cursus (comme le montre le caractère élémentaire de certaines remarques de langue, p. 153 : rupere = ruperunt ; p. 258 : deum = deorum), est riche en remarques portant sur la dramaturgie, la métrique, le style, la philosophie de S. ; la subtilité de B., servie par un esprit critique qu’on sent toujours en éveil, est partout présente (sur l’ironie latente d’une première personne du pluriel, p. 122 ; sur le nom d’OEdipe, p. 168-169 ; sur l’ambivalence de turpis, p. 174 ; sur l’archaïsme addecet, p. 189 ; sur une anaphore de nunc, p. 216 ; sur un usage de bene, p. 342). Les multiples allusions aux oeuvres de Corneille, Dryden ou Cocteau sur la même légende confèrent un attrait tout particulier à ce commentaire.
Quelques remarques ponctuelles : p. 102, on peut être réservé sur la valeur « phallique » de l’épée d’OEdipe (aussi sur le sceptre, p. 111) ; p. 175 : en entendant se protéger des régicides par la punition, OEdipe s’éloigne de l’idéal monarchique constamment défendu par S., qui fait du pardon et de la clémence les meilleures des protections ; p. 186 et suivantes : l’intéressante étude que J.-P. Aygon a consacrée à l’examen par Manto et Tirésias des entrailles de bovins sacrifiés rituellement (v. 303-383), dans Pallas 71, 2006, p. 91-112, n’est pas mentionnée, alors même qu’elle va dans le sens de B., selon lequel les pièces de S. étaient faites pour être représentées sur scène (cf. p. xli) ; p. 235 et 237 : il n’est pas sûr qu’il faille ranger l’Ulysse des Troyennes dans la catégorie des tyrans (cf. e.g. W. B. Stanford, The Ulysses Theme, Oxford 1954, p. 144-145) ; p. 328 : une formulation ambiguë laisse croire que la punition traditionnelle du parricide était l’interdictio aqua et igni, et non le culleus, remis en vigueur par Claude (Suet., Claud., 34, 2-5), sous le règne duquel B. pense que la pièce a été écrite (p. XIX) ; p. 347 : le nemo fit fato nocens du v. 1019 aurait pu être opposé à De Clementia, I, 2, 1 : Deinde habet <clementia> in persona quoque innocentium locum, quia interim fortuna pro culpa est ; p. 356 : sur l’interprétation du mot fatidice, B. a tort, selon nous, de céder à la mode critique consistant à voir partout des allusions métalittéraires ; p. 363 : il eût mieux valu indiquer la date de l’édition originale de Friedrich (Berlin 1880) et non sa réimpression (Hildesheim 1964).
La bibliographie a été régulièrement tenue à jour, comme l’atteste la mention de travaux publiés en 2008 ou 2009 ; on déplore malgré tout l’absence de quelques études importantes, comme celle de J.-P. Aygon sur les ekphraseis (Pictor in fabula, Bruxelles 2004), assez nombreuses dans la pièce en question (cf. p. 182‑184 et 239-242). Un index des passages des tragédies de S. et un index général permettront au lecteur de se repérer plus rapidement dans le foisonnement d’un commentaire de plus de 250 pages.
Les fautes typographiques, enfin, sont aussi rares qu’insignifiantes (p. cxiii, n. 266 : lire « donnés »).
En somme, voilà un ouvrage méticuleux et précieux, qui regorge d’informations utiles et d’analyses pertinentes. Si les remarques psychanalytiques et métalittéraires de B. relèvent sans doute parfois de la surinterprétation, elles demeurent toujours stimulantes. Nous sommes donc en présence d’un outil désormais indispensable pour toute future étude d’Œdipe.

Guillaume Flamerie de Lachapelle