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Voici un livre qui fait honneur à la Collection des Universités de France ! Dans son introduction E. Wolff explique qu’il n’avait pas été prévu au départ sous la forme qu’il arbore aujourd’hui puisqu’il n’était question alors que d’une révision de l’édition Vessereau – Préchac, en y ajoutant les fragments mis au jour en 1973. L’incendie du dépôt des Belles Lettres en a décidé autrement. Du coup, une édition a été faite sur nouveaux frais, ce qui a entraîné une traduction nouvelle et a permis aux auteurs d’utiliser les nombreux travaux auxquels le De reditu suo a donné lieu ces derniers temps, la découverte de 1973 ayant suscité un regain d’intérêt en sa faveur.

Cet ouvrage constitue un excellent instrument de travail. Ses grandes divisions sont attendues : introduction, bibliographie (qui indique même des ouvrages parus en 2007, c’est-à-dire cette année ! ), conspectus siglorum, texte et traduction, notes sur le texte. En outre, il est enrichi d’une carte synoptique du voyage, d’une annexe prosopographique, d’un index geographicus, historicus, mythicus, d’une analyse des fragments A et B et d’un conspectus siglorum spécifique. Chaque développement est excellent. Dans ses divers chapitres, l’introduction met en valeur les points importants et propose des réponses aux questions qui se posent. On en jugera par son sommaire : « 1. Rutilius Namatianus : vie et entourage, 2. Le De reditu suo et l’apport des fragments, 3. N Nature et genre de l’oeuvre, 4. L’iter de Rutilius : du motif au genre, 5. Les modèles imités : le poète voyageur et ses doubles, 6. Le voyage, 7. S Structure de l’oeuvre, 8. L’éloge de Rome et le sens de l’oeuvre, 9. Les ennemis de Rome et le rejet de l’autre, 10. Les fragments, 11. Langue, style et métrique, 12. Survie de Rutilius, 13. Les manuscrits, les éditions, 14. Notre édition ». Une grande érudition s’y joint à une fine sensibilité littéraire. Les notes témoignent de ces mêmes qualités. La traduction est élégante ; E. Wolff explique qu’il la souhaitait telle eu égard à l’élégance du texte latin de Rutilius Namatianus. Pari gagné, malgré les difficultés dues au style dense et allusif de ce poète. Cependant, elle s’éloigne parfois beaucoup du texte ; c’est le cas, par exemple, au vers 98 qua uix imbriferas tolleret Iris aquas, « là où Iris élèverait à peine son arc chargé de pluies », où le mot «arc » pour aquas ajoute une précision que n’a pas voulu expliciter Rutilius, (même s’il l’a en tête, puisqu’en fait, il compare la hauteur des aqueducs de Rome avec celle de l’arc-en-ciel), d’autant plus que la note 46, excellente, précise : « L’expression imbriferas aquas n’est donc pas une tautologie : ce sont les eaux destinées à retomber en pluie ». La traduction, « A Brennus vainqueur ne se fit pas attendre longtemps le châtiment », du vers 125 (Victoris Brenni non distulit Allia poenam) ne rend pas compte du terme Allia.
Quelques détails seront à revoir pour une seconde édition. Ainsi, le vers 62 est un pentamètre ; or le texte présenté, tantum uirtuti peruia terrae tuae est impossible puisque la séquence |terrae tu| doit être obligatoirement un dactyle. Dans le vers 639 tel qu’il est imprimé, Vidimus excitis pontum fauescere arenis, le verbe fauescere n’existe pas en latin et on ne peut pas conjecturer que c’est un hapax, un néologisme forgé par le poète sur faueo, car faueo a un a bref interdit ici. De même, le lecteur reste perplexe devant la contradiction entre le texte choisi pour le vers 379, ludere lasciuos intra uiuaria pisces, pour lequel l’apparat critique indique : « inter VRB : intra Schrader », et la note 157 afférente : « La préposition inter a un sens proche de intra, mais la chose est possible en latin et il n’est donc pas nécessaire de corriger le texte ». La note 69 paraît confondre métaphore et métonymie. Le public sera surpris de lire (en français) « Harpyes » p. XXXVII et « Harpies » p. 30, d’entendre parler de « Mélanie le Jeune » p. LIII, de trouver dans la traduction « Corytus » comme nom du fameux roi étrusque, alors que le texte latin contient « Corythi » p. 29 et que la note 234 censée éclairer ce mot nomme ce souverain « Corythos », de constater le genre des « pénates troyennes » p. 28, de voir des signes de ponctuation en début de ligne, etc. Bref, après quelques petites corrections, cet ouvrage sera parfait.

Lucienne Deschamps