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Le bel ouvrage consacré à l’étude du front de scène du théâtre de Pergé, en Pamphylie, publié par A. Öztürk dans la prestigieuse collection de l’Institut archéologique allemand, Denkmaler Antiker Architektur, est issu de la thèse soutenue par l’auteur en 1999. Le livre compte 203 pages, dont 70 constituent le catalogue des blocs appartenant au front de scène du théâtre. Les illustrations, en noir et blanc, sont réparties sur 21 planches. 9 annexes (plans, coupes, restitutions) s’ajoutent au dossier graphique qui vient judicieusement, mais pas toujours, compléter le texte.
Après une courte historiographie du monument et un rappel des connaissances actuelles sur l’urbanisme de Pergé à l’époque impériale, l’A. consacre quelques pages à la situation topographique de l’édifice et, en particulier, à son rôle supposé dans le culte d’Artémis Pergaia qui serait à plusieurs reprises évoquée sur des reliefs du théâtre ( notamment sur la frise représentant des animaux de sacrifice convergeant vers une déesse trônante). Le théâtre constituait probablement une station lors des processions en l’honneur d’Artémis.
Après avoir donné une succincte présentation générale de l’édifice, l’A. en vient à la partie la plus importante de son travail, la description du front de scène, en organisant celle-ci en 5 sous-chapitres : proskénion, hyposkénion, 1er niveau, 2ème niveau, 3ème niveau. Les blocs (1000) ont été classés par séries, ils sont décrits (dimensions, travail de la pierre, décors), puis attribués aux différentes parties du front de scène, suivant leurs caractéristiques et en fonction de leur lieu de découverte. Ce chapitre constitue une première étape dans la restitution du front de scène que A. Öztürk propose dans la partie suivante. Les excellentes annexes permettent de suivre pas à pas l’argumentation de l’auteur.
Sur la base de comparaisons stylistiques, l’auteur met en évidence l’existence de deux proskénions (proskénion 1 et 2). Le proskénion 2, dont la plupart des blocs identifiés proviennent, a recyclé plusieurs éléments appartenant au proskénion 1. Le premier niveau montre, comme il est habituel, 5 portes. Sur un socle décoré d’une frise représentant un cycle dionysiaque prend place un ordre corinthien. Le fronton surmontant la porte axiale est orné de reliefs de dieux marins ainsi que de la scène de procession mentionnée plus haut. Élevé sur un socle portant une centauromachie, le second niveau est d’ordre composite et possède 9 niches précédées de baldaquins d’ordre corinthien surmontés de frontons triangulaires ou en segments de cercle. Le troisième niveau est totalement restitué, mais de façon convaincante. Au-dessus de l’attique du deuxième niveau se trouvait à nouveau un socle, cette fois décoré d’une gigantomachie. Le décor était exubérant : chapiteaux figurés, masques de théâtre, sphinges sur les corniches, fronton syrien au-dessus de la niche axiale.
Le chapitre suivant est consacré à la chronologie de l’édifice. L’auteur établit que les gradins et le bâtiment de scène font partie d’un seul et même projet. Le premier et le deuxième niveau du front de scène sont contemporains, le troisième niveau a été rajouté plus tard. La première phase est datée de 170-210 p. C. Pour cette datation, outre ses propres observations, l’auteur s’appuie sur la publication (à venir) de la sculpture du front de scène par N. Atik et contredit avec des arguments décisifs la chronologie proposée par S. Sahin sur la base d’une inscription qui ne provient sans doute pas du théâtre. La deuxième phase suit de près la première (1er quart IIIe siècle p.C). Le théâtre connaît une troisième phase de travaux à l’époque de l’empereur Tacite (transformation de l’orchestra pour des naumachies) avant d’être ruiné, sans doute pas un tremblement de terre, vers le VIIe siècle p.C.
Après une introduction dans laquelle l’A cherche à établir si le théâtre de Pergé est de type grec ou de type romain, tels qu’ils sont définis par Vitruve, le court chapitre VII aborde les questions très techniques de la métrologie et des proportions. Le chapitre VIII, aussi bref que le précédent, traite des matériaux utilisés et des techniques de construction. Le chapitre VIII est consacré à la typologie de l’édifice (relations entre la cavea et le front de scène, plan, nombre d’étages, présence de baldaquins, frontons, etc.) par comparaison avec d’autres théâtres d’Asie Mineure. L’A. s’interroge ensuite sur la genèse de la scaenae frons en Asie Mineure et les rapports avec l’architecture funéraire monumentale (Pétra, Ephèse) ou encore le deuxième style pompéien.
Plutôt réservé aux spécialistes d’architecture, le livre d’A. Öztürk, dont on doit saluer la rigueur, est assurément d’une grande qualité. Il présente une étude architecturale achevée d’un des rares fronts de scène d’Asie Mineure dont la restitution est possible. C’est désormais un ouvrage indispensable pour l’étude des théâtres et de l’ornementation à l’époque impériale.

Laurence Cavalier