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Ce compte rendu ne peut être qu’une présentation trop synthétique, donc incomplète, du riche ouvrage qui rassemble les actes du séminaire tenu à Sienne, dans la Certosa de Pontecagnano, le 28 et 29 mai 2007 : c’est la publication des résultats des recherches et des fouilles réalisées pendant la période 2001-2006 à Héphaestia, sur l’île de Lemnos, par l’équipe de l’École Archéologique Italienne d’Athènes, en collaboration avec le Département d’Archéologie et d’Histoire des Arts de l’Université de Sienne.
Le livre se compose de 3 grandes parties, pour un total de 294 pages, auxquelles s’ajoutent de nombreuses figures et planches photographiques, complément nécessaire des différentes contributions. La première partie, consacrée aux recherches de l’École Archéologique Italienne d’Athènes, s’ouvre sur une introduction d’E. Greco : il y rappelle les difficultés rencontrées sur un site où l’on ne peut fouiller que sur les terrains qui ont été achetés à l’État grec et présente une brève histoire des fouilles antérieures, pour expliquer les choix présents et le but des recherches en cours, qui est de dresser le tableau le plus complet possible du développement urbain d’Héphaestia. Le même auteur aborde ensuite le sujet des rapports entre les indigènes et les Grecs à Lemnos, en utilisant les informations fournies par les sources littéraires et les données archéologiques, depuis les origines jusqu’à la conquête athénienne de l’île, vers 500 av. J.-C. C’est cette seule contribution dont je souhaite proposer ici une bref résumé, pour deux raisons : d’abord parce qu’elle fait comprendre l’impossibilité, dans l’état actuel de la recherche, de trouver des correspondances parfaites entre la séquence des populations attestée par les sources littéraires et les grandes phases archéologiques ; mais aussi parce que le bref espace de ce compte‑rendu ne me permet pas d’y ajouter une étude approfondie du contenu trop riche des autres contributions. E. Greco, évoquant la tradition littéraire sur Lemnos, rappelle que l’île apparaît déjà chez Homère comme la terre chère à Héphaïstos ; selon le poète elle était habitée par les Sinties : Hellanicos dit qu’ils étaient d’origine thrace et s’étaient unis pacifiquement aux Pélasges‑Tyrrhéniens. Hérodote, pour sa part, ne mentionne ni les Sinties, ni les Tyrrhéniens, mais dit que les Pélasges avaient chassé de l’île les descendants des Argonautes, les Minyens : il ajoute que Lemnos avait été occupée par les Perses d’Otanès (vers 511 av. J.C.), puis par les Athéniens de Miltiade, et qu’à ce moment les indigènes furent contraints d’émigrer sur le continent d’en face. Il est impossible de rappeler ici la tradition mythographique qui concerne Lemnos : E. Greco lui-même renvoie à l’ouvrage de référence de G. Dumézil, aux contributions de divers auteurs, mais aussi à toute la littérature récente qui traite de ce sujet. Chez les auteurs modernes on assiste en général, dans la volonté de faire correspondre données archéologiques et informations littéraires, à la composition de séquences diachroniques (Sinties, premier âge du Bronze ; Argonautes-Minyens, céramique mycénienne ; Pélasges-Tyrrhéniens, sub-géométrique) ou de regroupements synchroniques (Sinties population thrace locale qui se fond avec les Pélasges-Tyrrhéniens, dont l’arrivée serait attestée par la présence de la stèle dite « étrusque » de Caminia). E. Greco, pour sa part, croit qu’il n’est pas possible, à ce stade de la recherche, à Héphaestia en particulier, de superposer les différentes données. Il conclut donc que l’habitat de l’Âge du Bronze, avec la céramique mycénienne, rend crédible l’attestation des habitants de Lemnos dans les tablettes de Linéaire B ; la présence d’une céramique grise anatolienne pendant les « siècles obscurs » sert à confirmer la continuité entre l’Âge du Bronze Final et le premier Âge du Fer, et les rapports avec Troie. C’est dans cette continuité que se place la nécropole à incinération du VIIIe-VIIe s. Toutefois un changement semble s’y manifester au milieu du VIIe s, au moment où l’on édifie l’anaktoron et les murs d’enceinte. Vient ensuite la conquête athénienne, précédée par la brève conquête perse. Et la recherche archéologique confirme une césure à la fin du VIe s.
Les recherches nouvelles ont été consacrées surtout aux murs archaïques, à quelques secteurs de la ville, à certains aspects de la vie de l’établissement, à la chôra, de l’Âge du Bronze aux époques archaïque et classique : elles permettent l’analyse des données topographiques, mais aussi des matériels mis au jour. La série des contributions qui suit nous offre donc un tableau à la fois riche et complet de l’état des fouilles. Pour les murs de l’enceinte archaïque, L. Mercuri rend compte des résultats de l’exploration du terre-plein ; A. Correale décrit la fouille menée à l’extérieur des murs, énumérant les éléments qui font penser à la présence d’un sanctuaire ; O. Voza et P. Vitti s’intéressent à la topographie des murs et à leur système de construction. L. Danile examine la culture matérielle entre la fin de l’Âge du Bronze et les débuts de l’Âge du Fer. L. Fuciello s’intéresse aux signes des transformations sociales entre l’Âge sub-géométrique et la période archaïque. S. Savelli étudie la nécropole de la ville à l’époque classique. A. Polosa se livre à une intéressante réflexion sur les monnaies et leur diffusion. D. Marchiandi se penche sur la chôra et son occupation à l’époque classique .
La deuxième partie regroupe les recherches menées par l’Université de Sienne, dont la collaboration avec l’École Archéologique Italienne d’Athènes, sur le site d’Héphaestia, a commencé en 2002. Une introduction d’E. Papi rappelle que leur but est de restituer la topographie de la péninsule d’Héphaestia et de préciser les modes d’établissements au cours des différentes périodes. Cette péninsule, large de 700m dans le sens N-S et longue d’1,5 km dans le sens E-O, s’étend sur une superficie de 80ha. Les murs d’enceinte ceignent une aire de 60ha, mais l’habitat proprement dit n’occupe que 30ha environ. L’équipe a réalisé une étude topographique détaillée de toute la région, afin de créer une base cartographique précise du site, avec l’indication de toutes les structures encore visibles. Le projet est de connaître et reconstituer l’organisation de l’habitat, des quartiers, des rues, des structures architectoniques, et de comprendre la destination de chaque secteur de la ville. Pour cette raison, tous les matériels retrouvés en superficie ont été soigneusement examinés. L’attention de l’équipe de Sienne s’est concentrée en particulier sur une zone du côté oriental de l’habitat d’Héphaestia, près des murs d’enceinte (« area 26 »).
E. Mariotti fait connaître le relevé topographique du terrain de la péninsule, et L. Cerri les résultats de la prospection géophysique. Plusieurs auteurs disent quels enseignements ont apportés les recherches dans l’« area 26 », au long des différentes périodes chronologiques. L’étude s’est portée aussi bien sur les techniques de construction, que sur les éléments architecturaux et les céramiques. Une contribution rapporte les résultats des analyses archéo-botaniques sur des restes végétaux récoltés pendant la campagne de 2006. Enfin, on trouve dans le volume une intéressante reconstitution tridimensionnelle d’une unité commerciale et d’habitation. Dans la troisième partie, M. Moggi reprend le sujet de la colonisation athénienne, bien connu de lui, en l’appliquant à Lemnos. Le cas de cette île est à situer entre l’apoikia et la klêrouchia, car les habitants sont les descendants des Athéniens venus sur l’île avec les Philaïdes, lesquels entretiennent des rapports très étroits avec Athènes ; mais ils sont en même temps citoyens de leur cité et donc symmachoi d’Athènes, et comme tels soumis à un phoros. La dernière contribution, celle d’E. Culasso Gastaldi, concerne l’épigraphie de Lemnos et, en particulier, les horoi et les décrets réglant des questions de terre entre Athènes et les
habitants de l’île.
Cette trop courte recension a pour modeste ambition de signaler l’importance d’une publication qui fera date dans l’histoire des recherches italiennes conduites à Lemnos.

Michela Costanzi