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Le livre qui vient de paraître en français est la traduction de l’ouvrage publié en italien en 2019 chez Mondadori, dont le titre est beaucoup plus explicite : « Pompei. Il tempo ritrovato le nuove scoperte », Pompéi, le temps retrouvé, les nouvelles découvertes. En dix chapitres, l’auteur, directeur du parc archéologique de Pompéi, le nouveau titre des surintendants d’autrefois, présente la situation du site, la nouvelle politique engagée et les résultats déjà visibles.
Le chapitre 1, intitulé : « La longue vie de Pompéi, les sanctuaires et la cité », nous montre l’importance de la cité pré-romaine, qui remonte au VIIe siècle av. J.-C., l’importance des Étrusques, l’occupation samnite dont la campagne de fouille de 2019 a permis de retrouver un antéfixe, la construction des sanctuaires d’Apollon et d’Athéna, des rejets d’époque hellénistique sous le portique ouest du forum. Il nous introduit tout naturellement au chapitre 2, « Aux origines de Pompéi et des Pompéiens », avec en sous-titre « Des vases qui parlent », des vases avec inscriptions gravées donnant des noms, tel un certain Mamarce qui s’était rendu au sanctuaire du fondo Iozzino, à la fin du VIe siècle av. J.-C. dont les photos, parfois les relevés, sont explicités par des légendes très complètes. Des analyses par la chromatographie des substances retrouvées dans les récipients indiquent surtout l’usage du raisin noir mais aussi parfois du raisin blanc. Les vases sont du bucchero étrusque mais aussi des céramiques importées de Grèce. Il y a également des armes, dont des fers de lance qui prouvent la présence d’offrandes votives d’une élite guerrière importante.
Le chapitre 3 est consacré au nouveau quartier fouillé dans la région V, au nord-est de la ville, dont, à l’origine, le front des anciennes fouilles devait juste être consolidé pour éviter les éboulements et les intrusions de fouilleurs clandestins dans la zone non explorée, selon le cahier des charges du projet « Il Grande Progetto Pompei ». Mais il y avait là un « cuneo », un coin non connu entre des maisons jadis excavées, dont celle appelée des Noces d’Argent, et la ruelle dite des Balcons, qui fut alors dégagée avec les traces de ces structures, et qui a permis de découvrir deux maisons, appelées l’une, maison d’Orion en raison de la présence d’une mosaïque dont il sera question dans un chapitre suivant, et celle dite du Jardin. C’est alors que des inscriptions électorales peintes ont permis de nommer les habitants du quartier les « Campanienses », et qu’il est probable que la maison d’Orion appartenait à la famille des Albucii dont Lucius Albucius Celsius se présentait aux élections d’après l’inscription retrouvée. Une partie de la maison, dont la façade et l’atrium, conserve des décors en stuc de premier style pompéien, du IIe siècle av. J.-C., qui imitent l’architecture ancienne à gros blocs de marbres fictifs, tandis que le reste a été rénové dans un style nouveau, montrant ainsi l’ancienneté de la famille. L’exploration de la maison a permis par exemple de repérer dans le triclinium, dédié aux repas, les traces carbonisées des lits, d’un coussin et même du tissu qui le recouvrait. Les différents états des mosaïques des sols racontent une longue occupation avec des transformations et des réparations nombreuses.
Le chapitre 4 s’intitule « Sans gloire mais pas sans histoire », avec un sous-titre « De nouveaux graffitis pompéiens ». Tout d’abord l’A. nous en rappelle quelques‑uns anciennement trouvés, célèbres, qui nous amusent, comme le fameux « j’admire, mur, que tu ne te sois pas encore écroulé, toi qui dois supporter une telle quantité d’inscriptions écœurantes», ou les mots d’amour, les plaisanteries obscènes qui nous font réfléchir sur notre proximité avec les gens de Pompéi. Chaque fois figurent le texte en latin et ensuite la traduction.
Puis, viennent les nouveaux graffitis défrichés dans la maison du Jardin, située de l’autre côté de la ruelle des Balcons où se trouve celle d’Orion. Il y a toute une série d’inscriptions diverses, dont semble-t-il celle d’une prostituée nommée Athenais, mais surtout une écrite au charbon de bois dans l’atrium ; à hauteur d’homme, l’inscription incomplète a survécu qui nous dit : « le seizième jour avant les calendes de novembre, ils ont prélevé dans le cellier à huile… ». Les calendes étant le premier jour du mois, la date se réfère au 17 octobre d’une année non précisée mais que l’on a supposé être celle de l’éruption, alors que la date traditionnelle a été fixée depuis longtemps au 24 août 79. En effet, nous avons une copie de la lettre de Pline le Jeune relatant l’éruption datée du « 9e jour avant les calendes de septembre », ce qui nous donne effectivement le 24 août. Cette découverte apporte une preuve supplémentaire à la date automnale que plusieurs archéologues ont depuis quelques années proposée et que nous avons adoptée. En effet, il existe une autre copie de la lettre de Pline le Jeune à l’historien Tacite qui raconte la mort de son oncle Pline l’Ancien lors de l’éruption : elle est datée du 9e jour avant les calendes de novembre, soit le 24 octobre. D’autres preuves ont été avancées comme l’abondance des fruits d’automne retrouvés à Pompéi, le fait que les vendanges étaient terminées à examiner les dolia dans les celliers. La découverte continue à alimenter les discussions et même si l’on ne connaît pas l’année à laquelle l’inscription a été tracée (le nom du consul qui aurait dû y figurer n’a pas été écrit), même si le charbon de bois peut subsister assez longtemps comme des découvertes ailleurs, comme par exemple sous la terrasse de la villa d’Ariane à Stabies les bateaux dessinés, ce message, griffonné rapidement au moment des travaux qui avaient lieu dans l’atrium, a toute chance d’être de l’automne en question.
Le chapitre 5 traite des gladiateurs et des tavernes, des occupations et loisirs. On se trouve sur la place entre la ruelle des Balcons et la rue des Noces d’Argent, on y a découvert une fontaine, une citerne et une tour pour régler la pression de l’eau venant par l’aqueduc du Serino. Elle était décorée d’une mosaïque très fine qui, restaurée, figure dans le catalogue de l’exposition prévue au Grand Palais à Paris. Une taverne ouvrait d’un côté de la place, où sous la montée d’escalier, une peinture est conservée avec deux gladiateurs qui s’affrontent. À gauche, c’est un mirmillon vainqueur tandis qu’à droite, le gladiateur blessé, dégoulinant de sang, est équipé comme un thrace. C’est un spectacle violent, réaliste qui nous est offert. Notons que très souvent dans d’autres combats représentés, dont beaucoup sur des graffitis, le vainqueur est généralement placé à gauche tandis que le vaincu, parfois tombé, est figuré à droite, comme dans une narration écrite à la main, de la gauche vers la droite. De l’autre côté, c’est un thermopolium qui a été fouillé, avec plein d’amphores en place et une peinture sur chacun des murs placés en L : à droite une néréide sur un hippocampe marin, accompagnée de dauphins, et, à gauche, le comptoir même sur fond jaune avec un esclave au travail au milieu des objets et récipients nécessaires à son activité. Des analyses des restes retrouvés dans ce thermopolium sont à examiner de près et à comparer à d’autres découvertes plus anciennes qui attesteraient un régime méditerranéen.
Tout le chapitre 6 est dévolu aux deux mosaïques figurées sur fond noir de la maison d’Orion, inserées dans des sols de mosaïque plus anciens. La première, montre trois personnages superposés au-dessus d’un cobra. Le premier personnage en haut, ailé, tient une couronne, le deuxième, également ailé, enflamme avec une torche les cheveux du troisième personnage, armé d’une épée aux grandes ailes de papillon, dont le bas du corps est celui d’un scorpion. Le personnage-papillon est un héros que notre A. identifie à Orion, transformé en constellation, citant un texte d’ Ératosthène très convaincant : «  Orion se rendit en Crète et se livra au plaisir de la chasse avec Artémis et Léto. Il menaçait de détruire toutes les bêtes féroces vivant sur terre. Gaia, en colère contre lui, fit surgir un scorpion gigantesque qui l’ayant mordu de son aiguillon, le fit mourir ; mais Zeus, à la prière d’Artémis et Léto, le plaça parmi les étoiles à cause de son courage, et il y plaça également le scorpion, en mémoire de cet événement ». Pour expliquer la chevelure en feu du héros, l’A. rappelle le cas de César qui deviendra un dieu et dont la chevelure s’embrase le transformant en étoile scintillante selon les Métamorphoses d’Ovide. C’est un catastérisme, c’est-à-dire une métamorphose en astre, qui s’achève par la couronne qu’ Éros va poser sur la tête d’Orion.
La deuxième mosaïque, également rajoutée au centre d’un pavement plus ancien, montre un énorme papillon multicolore, un personnage masculin partiellement conservé qui tient par des lanières différents animaux sauvages, aigle, renard, panthère, ours, chien, crocodile, sanglier et sans doute une chimère. Il s’agit d’un chasseur mythique qu’un grand papillon vient assister.
Le chapitre 7 est consacré à la chambre de Léda, de la maison homonyme, à son mythe et à l’érotisme. La pièce en question a été découverte un peu par hasard lors de la sécurisation des fronts de fouille, le long de la rue du Vésuve, qui est le cardo de la ville, et dont les fouilles du XXe siècle n’avaient dégagé que quelques façades. La pièce aurait dû rester cachée sous le talus construit pour maintenir le front de fouille, mais la beauté du tableau de cette Léda assise, assez ronde, quasiment nue, assaillie par un cygne fort entreprenant … a entraîné la décision de fouiller le bâtiment tout entier, dont les fauces, l’entrée, étaient déjà connues avec son dieu Priape, pesant son sexe démesuré sur une balance, comme celui de la maison des Vettii. De superbes peintures murales ont été soigneusement nettoyées, un tableau de Narcisse dans l’atrium, non loin de Léda dans la chambre à coucher levant son voile pour accueillir le cygne, bien loin des autres représentations que nous connaissons de Léda, dont celle de la villa d’Ariane à Stabies, debout, très digne.
Le chapitre 8 nous emmène loin des fouilles de la région V, vers une tombe dite « particulière à la porte de la ville » qui menait vers Stabies, la Porta Stabia, en dehors de laquelle il y avait toute une série de tombes. C’est lors de travaux de restructuration d’un édifice du XIXe siècle, siège des bureaux de la Surintendance, devenu Parc Archéologique, que la base d’un mausolée partiellement détruit a été découverte avec une inscription en façade étonnante, de plus de 4m de long : c’est le défunt qui, à l’occasion de sa prise de toge virile, a offert un banquet avec pas moins de 456 triclinia (avec quinze places par triclinium), et un spectacle avec 416 gladiateurs et qui détaille toute sa vie de citoyen et toutes ses libéralités. En fait, le secteur avait été la proie de fouilles clandestines et le surintendant de l’époque, au XIXe siècle, n’avait pas vu ce mausolée mais récupéré un grand relief avec des combats de gladiateurs. Cette découverte a permis de calculer le nombre de citoyens de Pompéi à la date du banquet, datable des premières décennies du Ier siècle ap. J.-C, soit 6840. L’A. détaille alors chacune des actions de ce personnage, notamment suite à la fameuse rixe dans l’amphithéâtre entre Pompéi et Nocera, en 59, où il joua un rôle d’intermédiaire dans les sanctions infligées à certains hauts personnages de la ville, si l’on en croit le décryptage de cette très longue inscription. Un essai pour replacer sur le mausolée le fameux relief récupéré des fouilles clandestines de jadis est tenté, dont les scènes nous sont bien décrites et qui serait à dater des années 20-30 ap. J.-C. Une dernière question nous intéresse, est-il possible d’identifier le propriétaire de ce mausolée ? Nous laissons aux futurs lecteurs de ce volume le soin de juger l’hypothèse formulée par notre auteur, nommant un personnage assez illustre de l’époque, et qui était très populaire et aimé des Pompéiens.
L’avant-dernier chapitre, n° 9, traite des cendres et des lapilli, sous-titré, « Anatomie d’un désastre ». et nous explique comment le paysage a changé au cours des siècles, après l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère, dont la stratigraphie des dépôts éruptifs est pleine d’enseignements : toutes les phases nous sont détaillées, ainsi que les causes des décès, par asphyxie, par choc thermique, ou par traumatismes dus à des matériaux. La mort d’un personnage, dont le squelette trouvé sans tête posait problème, est reconstituée en fouillant toute l’épaisseur des couches volcaniques. Les trois kilomètres de front de fouille sur cinq à six mètres d’épaisseur qui menacent les rues et les édifices déjà dégagés ont abouti à des recherches sur la stratigraphie des couches éruptives, jusqu’à l’époque moderne. Le décapage des couches de surface du fameux « cuneo », ce coin de terrain subsistant entre deux zones excavées, a permis de faire la fouille …de fouilles anciennes, dont les déblais avaient été accumulés à cet endroit, de retrouver les traces d’éruptions du XVIIIe et du XIXe siècle. Il a été possible de suivre ce qui s’est passé dans la maison d’Orion, comment la toiture s’est effondrée, comment les meubles ont fait parfois obstacle à l’arrivée des ponces, reconstituables là où les objets ont été retrouvés à divers niveaux. L’A. conclut en écrivant : « Pompéi est un lieu d’exception, où s’offre au passé une occasion de ressusciter ».
Le dernier chapitre : «Arrachés à la mort les premiers moulages des victimes de Pompéi» ; détaille la collection unique de ce qu’on appelle improprement des moulages, alors que nous préférons l’expression de « moulages‑reliquaires » puisque le squelette des victimes se trouve à l’intérieur. Nous est livré le texte qui raconte comment la technique a été inventée au XIXe siècle par G. Fiorelli, le surintendant de l’époque, en coulant du plâtre dans le vide survenu du fait de la disparition des chairs et dont les cendres qui gardent l’empreinte des traits et des vêtements enferment le squelette. En fait, déjà au XVIIIe siècle, l’empreinte du sein d’une jeune femme avait été moulée, provenant de la villa de Diomède, qui eut une grande célébrité. Un projet d’envergure a été monté, dans « il Grande Progetto Pompei » pour vérifier l’état de conservation et de dégradation de ces témoins, pratiquer des analyses ostéologiques, d’ADN, et retrouver la composition des matériaux. Ces examens sur des moulages, dont les premiers datent de 1863, montrent une pratique qui évolue, ainsi le plâtre utilisé au XIXe siècle, de meilleure qualité, a permis de garder des empreintes plus fines, et l’emploi du ciment dans les années 1980 donne des résultats moins fidèles, très lourds et plus fragiles. Ce projet a nécessité une enquête pour retrouver tous les exemplaires de ces moulages et retracer leurs « pérégrinations », notamment lors des dégâts provoqués par les bombes alliées lors de la deuxième guerre mondiale. Cette enquête a permis de retrouver des témoins perdus, beaucoup de témoignages écrits d’essais préalables qui nous sont cités, ceux de G. Fiorelli, dont on note que parfois il enlève certains os avant de faire couler le plâtre. Puis il a été procédé à des restaurations de certains de ces corps moulés, présentés lors d’une exposition en 2015, sous une pyramide construite dans l’amphithéâtre.
Près de cinquante pages d’annexes suivent (p. 287-331) détaillant le début des fouilles officielles, puis l’effondrement de la Schola Armaturarum en 2010 qui a provoqué l’inspection par l’UNESCO de l’état de Pompéi et des recommandations de la part des trois enquêteurs mandatés de 2011 à 2013. Suite à ces rapports, l’Europe attribuait 105 millions d’euros pour la préservation et la restauration de Pompéi. Le Grand Projet Pompéi, entre 2014 et 2018, soutenu par une loi nouvelle et par le recrutement de nombreux experts, a alors permis d’engager des travaux d’ampleur, selon les buts déclarés, à savoir la sécurisation de la zone, la restauration prévue de pas moins de trente demeures dégradées, la stabilisation des pentes de la zone non fouillée, sans compter l’élaboration de nouveaux parcours pour les personnes handicapées et une communication et une vulgarisation repensées. En conclusion l’A. passe en revue l’action des grandes figures du passé, qui ont œuvré à Pompéi, outre G. Fiorelli, celle de A. Maiuri (1924-1961) qui a profondément révolutionné la gestion du site.
En conclusion, ce petit livre, très riche, très documenté, avec trente-trois pages de notes, (p. 333-357), une chronologie d’une page, un glossaire de mots latins de trois pages, une bibliographie de presque trente pages (363‑392), permet de se faire une bonne idée de cette « seconde vie de Pompéi », comme l’A. l’a appelée. Espérons que la vie de Pompéi continuera, que les nouvelles zones fouillées, comme les anciennes, recevront tous les soins en restauration nécessaires et indispensables pour permettre leur survie.

Alix Barbet, Directrice de recherche honoraire du CNRS

Publié dans le fascicule 2 tome 122, 2020, p. 627-631