L’ouvrage, le deuxième d’une collection consacrée à The history of daily life, rassemble une partie des présentations d’un colloque portant sur le vieillissement, la vieillesse et la mort (Aging, Old Age and Death), le deuxième d’une série organisée régulièrement par le groupe Trivium de l’Université de Tampere sous le titre générique de Passages from Antiquity to the Middle Ages. L’objectif principal du groupe est de promouvoir l’étude de la culture, de la société et de la vie quotidienne des époques classique, médiévale et de la Renaissance dans une perspective comparatiste large, une approche encore assez rare dans l’étude des sociétés du passé. Selon les promoteurs de ce groupe d’études, la perception générale du passage de l’Antiquité au Moyen Âge, ainsi que certains partis pris, ont empêché la comparaison entre ces époques, qui semblent pourtant montrer des éléments de continuité et des similarités dans l’organisation de la vie quotidienne, la culture et les structures mentales.
C’est dans cette perspective que l’ouvrage se penche sur les moyens mis en oeuvre et les stratégies adoptées face au vieillissement, à la vieillesse et à la mort, des thèmes qui suscitent un intérêt croissant depuis quelques années, même si les études récentes traitent surtout du rôle social et des aspects démographiques de la population vieillissante. L’un des buts du volume est d’aborder les personnes âgées et la mort dans leur contexte social et dans leurs interactions avec les familles et la communauté.
L’ouvrage est divisé en trois sections : la première consacrée aux façons d’affronter la vieillesse et la mort, la deuxième à la signification sociale de la vieillesse et de la mort et la troisième aux problématiques de la mémoire et de l’oubli face à la mort.
Les trois premières contributions de la première section portent sur l’Antiquité romaine. M. Harlow et R. Laurence, par une recherche sur les définitions culturelles du grand âge, les représentations de personnes âgées et l’espérance de vie – à travers notamment une étude détaillée des stèles funéraires de Dougga – arrivent à la conclusion que les Romains voyaient un âge de transition entre l’âge adulte et la vieillesse et que celle-ci amenait une perte d’identité qu’on cherchait à repousser, même si, dans certains cas – portraits véristes républicains – , les signes de l’âge pouvaient revêtir une signification positive. T. Parkin présente une étude sur l’adage disant que les vieillards retombent en enfance, démontrant que l’expression n’est jamais utilisée de manière positive dans l’Antiquité, car les vieillards, tout comme les femmes, les infirmes ou les très jeunes, étaient marginalisés dans les sociétés traditionnelles centrées sur l’adulte mâle en bonne santé. K. Mustakallio montre comment l’âge pouvait apporter à Rome un statut élevé même à des femmes, à travers trois cas rapportés dans l’historiographie romaine. Les deux dernières contributions de la section portent sur la mort, et non plus sur la vieillesse, au Moyen Âge et au début de la Renaissance. J. Bradley, à travers un examen de l’iconographie de la mort dans l’art des manuscrits du nord-ouest de l’Europe, du IX e au début du XI e s. montre comment l’attitude envers la mort change et comment ce changement semble lié aux événements politiques et historiques de cette époque. J. Majorossy analyse les dernières volontés des bourgeois de la ville de Pressburg (Bratislava) à la fin du Moyen Âge pour mettre en évidence quels éléments des funérailles y sont détaillés et lesquels étaient laissés aux soins des survivants.
La deuxième section débute également avec deux contributions portant sur l’Antiquité. E. Bauer présente les associations de citoyens âgés (gerousiai) documentées dans les poleis du sud de l’Asie Mineure aux époques hellénistique et romaine, la place importante de ces associations dans les cités n’étant pas due au grand âge de leurs membres (on ignore d’ailleurs quel était l’âge requis pour y participer), mais bien à leur contribution à la vie civique, religieuse et sociale. A. Koptev présente une interprétation du massacre des vieux patriciens romains par les Gaulois en 390 comme un épisode « exemplaire », fournissant au citoyen romain le type de comportement moral à suivre, tout en y décelant une mise en récit de la chute de l’ordre social ancien basé sur l’autorité collective des patres suivie de l’avènement d’une ère nouvelle, avec le début effectif de la république romaine. Les trois contributions suivantes sont dédiées au Moyen Âge. K. Salonen se penche sur le sort des prêtres âgés et des différentes stratégies utilisées pour qu’ils puissent bénéficier d’une mise à la retraite. K. Szende examine les arrangements spécifiques pris pour les personnages âgées dans les villes médiévales de Hongrie et constate que les solutions individuelles y priment sur les institutionnelles. E. Jamroziak montre à travers deux exemples, en Écosse et en Poméranie, comment les monastères cisterciens ont joué leur rôle de commémoration des défunts laïcs (donateurs et bienfaiteurs de la communauté), avec une réglementation des lieux d’enterrement, prières et messes.
Dans la troisième section, J. Rantala présente l’attitude des Romains face à la mort par un examen détaillé des Ludi saeculares de 17 av. J.-C. et des rites purificateurs du mois de mai. I. Csepregi fait une étude comparative des divinités guérisseuses de l’Antiquité et des saints guérisseurs du Moyen Âge, en montrant que s’il existe parfois une continuité de pratiques (comme l’incubation), les attributions spécifiques des dieux anciens et des saints médiévaux ne se superposent pas complètement. I. McCleery montre que la notion de mort médicalisée telle qu’on la connaît aujourd’hui remonte au-delà du XVIII e s. et comment la relation entre la mort et la médecine a influencé l’évolution de celle-ci, tout en soulignant quelques thèmes à approfondir, évolution de l’anatomie ou médecine de la peste. M. Taminen expose pourquoi et selon quelles modalités les Croisés pouvaient gagner le statut de martyr et combien cette perspective a joué un rôle dans les appels à la Croisade lancés par Jacques de Vitry. S. Katalaja-Peltomaa étudie le contexte social de la mort au Moyen Âge, en se concentrant sur les processus de canonisation au XIVe s. et sur les relations de famille ou de genre en cas de mort immature. N. Ben-Aryeh Debby se penche sur l’histoire du patronage dans les Églises de Florence à la Renaissance, en montrant l’évolution des monuments funéraires érigés sur les tombes des bienfaiteurs et donateurs, en particulier la chaire de prédication, où la recherche d’originalité des commanditaires reflétait la compétition entre les familles. Le désir de commémoration et de renommée des gens de pouvoir a passé avant les objections des prédicateurs mendiants, qui ont vivement critiqué cet usage de la chaire, leur base de travail, comme monument funéraire.
Malgré l’objectif clairement affiché par les rédacteurs, C. Krötzl et K. Mustakallio, dans la préface, d’encourager les lecteurs à faire des comparaisons à long terme grâce à la combinaison de contributions portant sur l’Antiquité et le Moyen Âge, on peut se demander, à la fin de chaque section et de l’ouvrage, si un regroupement chronologique ou thématique n’aurait pas mieux valu. En effet, si l’on peut faire des rapprochements entre articles d’une section à l’autre, et sans remettre en question l’intérêt des recherches présentées, il est difficile d’en retirer une vue d’ensemble qui permettrait une réelle approche comparatiste. L’ouvrage n’en représente pas moins un recueil intéressant d’études sur les thèmes de la vieillesse et de la mort entre l’Antiquité et la Renaissance.
Patrizia Birchler Emery