Dans l’Avant-Propos, J.-M. Jacques rappelle que le volume II de Nicandre, consacré aux Thériaques est paru il y a cinq ans, et il écrit que le tome I, qui contiendra l’Introduction Générale et les fragments devrait paraître « plus rapidement ». On ne peut qu’être admiratif devant tant de modestie, alliée à un travail incessant, qui nous vaut ce magnifique volume des Alexipharmaques.
Une Notice très riche ouvre le volume. Elle se scinde en deux parties principales : Les Alexipharmaques, oeuvre scientifique, Les Alexipharmaques, poème didactique. Dans la première partie, on trouve, notamment, un catalogue des poisons, leur composition, la manière de les administrer, leurs modes d’action, une mise au point rapide sur le vocabulaire anatomique, et une liste des antidotes (lait, huile, vin, vinaigre, oxycrat, oxymel, etc.) et des poisons qui se neutralisent les uns les autres. La partie consacrée aux Alexipharmaques comme poème didactique répond à nombre de questions que le lecteur moderne peut se poser (pourquoi choisir ce genre littéraire-là?), mais insiste aussi sur les particularités de langue, notamment par rapport aux Thériaques. Suit l’histoire du texte et un « conspectus librorum(…) laudatorum ».
Pages 1 à 57 (doubles), le texte des Alexipharmaques est édité selon les mêmes principes que ceux qui régissent le t. II : un double apparat critique pour le texte grec (testimonia et apparat proprement dit), tandis que la traduction en regard offre elle-même d’abondantes notes de bas de page.
Vient ensuite un commentaire d’environ 140 pages, puis en annexe les lieux parallèles du livre XIII des Iatrica d’Aétius, qui peuvent se lire comme une passionnante étude comparative. Mais cette étude, classant les différents poisons par ordre alphabétique (l’aconit, la céruse, la coriandre, la ciguë, etc.), permet également, par tout un jeu de renvois, d’avoir également sous les yeux une sorte de lexique particulièrement utile.
L’ouvrage se termine par de nombreux index qui concernent à la fois les Alexipharmaques du présent volume, mais aussi les Thériaques du volume précédent qu’ils complètent donc admirablement : index des testimonia, index des noms de dieux et de lieux, index des « bêtes venimeuses et poisons, animaux, plantes et substances étrangers à la matière médicale », index de la « matière médicale », index des personnalités anciennes mentionnées dans les notices, index des iologues antérieurs, index d’un choix de mots expliqués dans les deux poèmes.
Ce rapide résumé du contenu de l’ouvrage donne une idée de sa générosité, mais ne rend compte ni de la pertinence de son érudition, ni de la qualité de la traduction française. Sur ce dernier point, en voici un exemple où, parmi tant d’autres, science médicale et poésie épique, voire tragique, s’allient avec bonheur. Il s’agit des effets du pavot (v. 433-440) :
« Il y a aussi le pavot à tête porte-graine : quand ils boivent ses pleurs, les buveurs,
sache‑le, tombent dans un profond sommeil ; de fait, à leurs extrémités, les membres se refroidissent à l’entour, et, au lieu de s’ouvrir, les yeux restent tout à fait immobiles sous le lien des paupières. Et, tout autour du corps, odorante, la sueur, sous l’effet du mal accablant, coule à flots, le visage jaunit, les lèvres enflent, et les attaches de la mâchoire se relâchent, tandis que la gorge ne laisse plus passer qu’un faible souffle qui se traîne glacé ».
On voit bien dans ce « faible souffle qui se traîne glacé » à quel point J.-M. Jacques a travaillé sa traduction, parfaitement exacte, au demeurant, et quel amour il porte au grec aussi bien qu’au français.
Nicandre ne pouvait rêver meilleur traducteur ni meilleur ami, pour revivre dans cette très belle édition dont J.-M. Jacques et la Collection des Universités de France peuvent être fiers à plus d’un titre.
Dominique Arnould