Comme cela se fait beaucoup maintenant, B. Ferré avait choisi pour sujet de thèse (ce qui correspond en principe à un premier travail de recherche), l’édition avec traduction et commentaire d’un texte latin de longueur adéquate, en l’occurrence le livre VI du De nuptiis Philologiae et Mercurii de Martianus Capella. Cette thèse a été soutenue en 2004. En 2007, elle paraît aux éditions des Belles Lettres dans la CUF. Naturellement, ce volume présente toutes les caractéristiques de ce genre d’exercice. L’introduction est très claire. Elle commence par un bref résumé de l’oeuvre et du livre VI en particulier en concluant qu’il s’agit d’une satire ménippée. Ce livre est constitué par l’exposé de Géométrie, l’une des sept servantes, allégories des arts libéraux, offertes en dot à Philologie à l’occasion de son mariage. Aussi, B. Ferré donne-t-elle un bref aperçu de l’histoire de la géométrie en Grèce, puis à Rome, avant d’énoncer les sources de Martianus et d’examiner la façon dont il les a utilisées. Ensuite, après avoir constaté que les trois quarts de son corpus sont en fait dévolus à des considérations géographiques, l’éditrice propose plusieurs justifications de cela, avant de présenter un résumé de la tradition géographique en Grèce et dans le monde latin. Elle termine par l’analyse de la géographie dans le livre VI des Noces et elle en étudie les sources. Pour chaque rubrique, la chercheuse procure un état de la question et la plupart du temps fait preuve de beaucoup de prudence. Il arrive que les faits soient un peu simplifiés, comme lorsque B. Ferré déclare, après avoir parlé des Satires Ménippées de Varron, p. IX note 7 : « Il fut imité par Horace dans ses Satires ». Or, précisément, l’opinion des spécialistes est qu’Horace, loin d’avoir imité Varron, a voulu au contraire réagir contre sa manière. Apparemment, aux yeux de B. Ferré, prosimetrum, spoudogeloion, mélange des tons sont une seule et même chose sans aucune nuance. La chercheuse énumère ensuite les neuf manuscrits sur lesquels elle s’est appuyée. Une « bibliographie succincte » clôt l’introduction. N’y figurent pas les éditions, pour lesquelles le lecteur est renvoyé au tome VII des Noces dans la CUF. La liste ne contient ici que des textes et des études concernant la géométrie et la géographie dans l’antiquité (pour le reste nous sommes dirigés une nouvelle fois vers le volume VII de la CUF !). On y relève quelques erreurs. Pour ne citer qu’un exemple, B. Ferré ne s’est pas rendu compte que l’édition des Satires Ménippées de Varron par J.-P. Cèbe ne comportait pas que le seul volume de 1972 et que la publication des treize tomes qui la composent en réalité s’était étalée de 1972 à 1999. Il y a également des lacunes. Toujours, pour n’en citer qu’une, aucun des travaux de P. Counillon sur la géographie antique n’est signalé, en particulier manque son édition avec traduction et commentaire du Pseudo–Skylax, Le périple du Pont-Euxin par Skylax de Caryanda, Bordeaux, 2004. Les notes suscitent les mêmes remarques. Elles sont d’une grande clarté et le plus souvent constituent des élucidations, au besoin à l’aide d’un schéma, de ce texte scientifique peu commode. Nombre de passages parallèles sont rapportés en version originale accompagnée d’une traduction. Les expressions empruntées à Virgile (surtout), ou à d’autres auteurs anciens, sont signalées. Parfois, on se demande la raison pour laquelle tel passage fait l’objet d’une remarque et tel autre non. Ainsi, pourquoi, la commentatrice se croit‑elle obligée d’expliquer (note 55) : « Cypris est l’un des noms de Vénus-Aphrodite qui était honorée dans l’île de Chypre », alors que cette dénomination archiconnue est couramment utilisée depuis l’Iliade ? En revanche, dans d’autres passages où l’on attendrait une glose, elle reste muette, comme à propos de la phrase du § 640 pour laquelle je recopie sa traduction : « L’Italie est remarquable pour le fleuve Pô, que les Grecs appelaient Eridan. Le mont Vésule, le plus élevé des Alpes, engendre ce cours d’eau par une source remarquable, qui forme un fleuve dans le territoire des Ligures, puis ce fleuve plonge dans les profondeurs de la terre et émerge en un point du pays de Vibo ». À propos des Pélasges qui sont cités par Martianus Capella comme fondateurs de certaines villes en Italie (§ 642), la note 188 : « Les Pélasges sont un très ancien peuple, auquel on attribue l’occupation soit du Péloponnèse, soit de la Thessalie » ne suffit pas. Il aurait fallu au moins renvoyer le lecteur à D. Briquel, Les Pélasges en Italie, Rome 1984 ; et ainsi de suite. Parfois, on se rend compte de certaines ignorances : la note 24 à propos de la périphrase doctae fontigenae qui désigne les Muses au § 574 dit ceci : « […] Les Muses ne sont pas, à proprement parler, nées de sources, car ce sont, selon la légende, les filles de Zeus et de Mnémosyne, mais des sources leur sont consacrées, telles que Castalie, jaillie sous le sabot de Pégase, et Hippocrène […] ». Apparemment, B. Ferré n’a pas connaissance de Servius (ad B. 7, 21) : secundum Varronem ipsae sunt Nymphae quae et Musae… et Servius Dan. (ibid.) : Nam et in aqua consistere dicuntur, quae de fontibus manat, sicut existimauerunt qui Camenis fontem consecrarunt ; nam eis non uino, sed aqua et lacte sacrificari solet et encore Servius (ibid) : Nec inmerito, nam aquae motus musicen efficit, ut in hydraulia uidemus. Sane sciendum quod idem Varro tres tantum Musas esse commemorat : unam quae ex aquae nascitur motu, alteram, quam aeris icti efficit sonus, tertiam, quae mera tantum uoce consistit. J’ai cité cet extrait du commentaire aux Bucoliques parce qu’il est le plus connu. B. Ferré l’aurait trouvé, ainsi que toute la tradition sur les Muses comme nymphes des sources, tout simplement en lisant, dans la RE de Pauly – Wissowa, XVIVI 1 (1933), l’article « Musai » de Herm. Kees, spécialement le § E « Die M. als ursprüngliche Quellnymphen », col. 692-693 !
Le lecteur aurait aimé également rencontrer dans les notes quelques réflexions sur la prosodie et la métrique des passages en vers.
Dans un peu plus d’une quarantaine d’endroits, B. Ferré fait des conjectures personnelles pour l’établissement du texte, en s’appuyant souvent pour cela sur des passages parallèles de Pline l’Ancien et de Solin qu’elle a lus et comparés à Martianus avec un soin minutieux et digne d’éloge. La plupart du temps, le résultat est très heureux.
Pour une deuxième édition, il faudra éliminer quelques fautes d’impression, car certains mots sont omis, d’autres sont répétés, comme le montre l’exemple suivant p. 107, note 122 : « Le sens du passage est n’est pas absolument clair ». Il faudra aussi corriger quelques contresens, ainsi p. 79, prudentia […] confundit alios et imperitos et saxeos probat d’Isidore de Séville ne veut pas dire « la sagesse confond les autres et les ignorants et prouve qu’ils sont de pierre », mais cette Gorgone sur la poitrine de Minerve, symbole de sa prudentia, sidère les autres et rend avéré qu’ils sont des ignorants et sans plus d’esprit que des pierres (voir The Etymologies of Isidore of Seville, translated with introd. & notes by S.A. Barney, W.J. Lewis, J.A. Beach, O. Berghof, Cambridge, 2006).
Le volume se termine par un index geographicus et un index uerborum Latinorum selectus qui seront très utiles aux lecteurs. Ceux-ci ne peuvent que remercier Madame Ferré d’avoir mis ce livre VIVI des Noces à leur disposition dans la CUCUF, somme toute, malgré quelques petites imperfections, d’une façon très honorable pour un ouvrage aussi difficile.
Lucienne Deschamps