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Cette monographie étudie dans quelle mesure la tradition sur Servius Tullius (issue de la superposition de strates idéologiques diverses) d’une part et la politique et la propagande syllaniennes d’autre part se sont mutuellement influencées. À cet effet, l’auteur compare, autour de différents thèmes, ce que l’on sait de la réforme de Sylla et les mesures qui sont attribuées à Servius Tullius.

Une introduction présente les grandes lignes du travail et l’état des recherches sur Servius, rappelant l’existence de deux tendances, l’une populaire (remontant en grande partie à Licinius Macer), l’autre optimate, dans les traitements dont ce roi a fait l’objet. Le chapitre 1, davantage problématique, se concentre autour du thème de la libertas et de son utilisation propagandiste, notamment par Sylla, à partir de Tiberius Gracchus ; il suggère la plurivocité de ce type de grands thèmes politiques, que tous les partis, même s’ils suivaient des politiques opposées, étaient capables de revendiquer tout en les investissant de contenus différents. Cela se traduit dans la figure de Servius, mêlant traits populaires et optimates, favorables et moins favorables, dont la complexité est soulignée. Ces observations incitent à nuancer ce qui serait une lecture trop exclusivement « philo-populaire » de la tradition sur Servius (telle qu’on le trouve notamment chez J.-C. Richard). Le chapitre 2 examine le seul texte (Appien, Bellum Civile, I, 59) qui, à propos de la question des modalités d’élection des consuls durant l’année 88 av. J.-C., atteste un intérêt de Sylla pour Servius. La conclusion que ce passage dériverait en dernière analyse des Mémoires de Sylla a de grandes conséquences sur l’argumentaire de l’ouvrage. Il en ressort que non seulement la tradition sur Servius a été réélaborée à la lumière de la politique de Sylla, mais aussi que cette dernière elle-même a pu s’inspirer de cette tradition. Le chapitre 3 porte sur le rôle du Sénat et sa composition ; l’action de Sylla est d’abord examinée ; ensuite, les textes relatifs à ce que fit Servius en la matière sont discutés, comme anticipations de l’activité syllanienne. Dans le chapitre 4, l’évocation de l’activité judiciaire de Servius, essentiellement connue par Denys d’Halicarnasse, laisse apparaître des traces de réélaborations remontant au II e -I er s. av. J.-C. ; divers éléments de celles-ci (sur le nombre élevé de lois, sur le choix des juges parmi les sénateurs) présentent des affinités avec les dispositions prises par Sylla dans ce domaine. Le chapitre 5, autour de la question du pouvoir, envisage l’extension du pomérium (un court appendice en fin de chapitre développe ce point), la lex de imperio et l’idée d’un retrait de la vie publique. Le chapitre 6 explore encore d’autres liens entre Servius et Sylla à propos de prérogatives de la censure, comme la cura morum et l’octroi du droit de cité. Il se prolonge par un appendice sur la lex sumptuaria de Sylla, dont sont précisés les objectifs. Un dernier appendice, plus général, propose, en réaction à P. M. Martin, un bilan empreint de circonspection sur certains éléments biographiques communs à Servius et à Sylla (origines obscures, rôle des femmes et de Fortuna).

Tous ces chapitres privilégient la seule strate syllanienne de la tradition relative à Servius. Dans la conclusion, plutôt que de s’attarder sur certains thèmes qui sont revenus dans ses démonstrations (sur l’influence de la figure de Solon, sur l’opposition avec Tarquin le Superbe, sur les anachronismes relatifs à Servius, sur la relation avec Romulus…), S. Marastoni élargit le propos et aborde dans sa totalité la question de l’archéologie des sources relatives au sixième roi, considérant nos principaux témoins (Tite-Live, Denys d’Halicarnasse), mais surtout s’interrogeant sur l’apport de l’annalistique aujourd’hui perdue. À ce propos, elle pense que, dans la réélaboration syllanienne de la figure de Servius, un grand rôle a été joué par Hortensius Hortalus et plus encore par Valerius Antias ; elle engage aussi à ne pas négliger les textes non annalistiques (mémoires de Sylla, Cornelius Sisenna) et termine en évoquant les Commentarii de Servius Tullius, qu’elle tend à considérer comme l’oeuvre d’un philo-syllanien.

Au-delà de sa thèse générale, l’auteur est souvent amenée à proposer ou développer diverses hypothèses plus ponctuelles, sur les traces souvent de maîtres comme E. Gabba, G. Colonna et, surtout, A. Mastrocinque. On en citera quelques-unes : l’institution du droit d’appel au peuple aurait été attribuée à Servius (chap. 2), en 88 aurait eu lieu une lectio senatus sur la base d’une assemblée portée à 600 membres conformément à ce qu’avait voulu précédemment Livius Drusus (chap. 3), l’augmentation du pomérium par Sylla aurait présenté seulement une valeur symbolique et idéologique, témoignant de sa felicitas (chap. 5)…

La bibliographie, très complète pour ce qui concerne les questions historiques, est abondamment exploitée dans des notes généralement abondantes. On trouve encore une chronologie des principaux événements de la vie de Sylla, mais il n’y a pas d’indices. Quelques rares coquilles (p. 5, « humiles » au lieu de « humbles » dans une citation en français ; p. 183 : « II libro » au lieu de « LII libro » à propos du livre de Dion Cassius contenant les discours prêtés à Agrippa et à Mécène ; p. 229, « le goût romaine » à nouveau dans une citation en français ; p. 288, « Serviu » au lieu de « Servius » dans un titre de la bibliographie…). Pour ce qui est de l’Histoire Auguste, il vaudrait mieux se référer à son auteur plutôt qu’au biographe de telle ou telle vie (p. 170).

Olivier Devillers