Les actes du sixième congrès de Lyon sur les unités auxiliaires, réparant une longue injustice, sont à l’origine d’un recueil regroupant 27 contributions de chercheurs. Dans son introduction, P. Faure relate le cheminement de la recherche sur ces militaires en l’inscrivant chronologiquement entre les travaux de G. L. Cheesmann et ceux plus récents de I. Haynes. L’intérêt qui leur est porté est concomitant d’un renouvellement constant du matériel de recherche, tout particulièrement épigraphique. Les organisateurs du congrès ont souhaité ne pas négliger les périodes républicaine et tardive en rendant ainsi compte de l’histoire pluriséculaire de ces formations. Cette longue existence donne ainsi l’occasion à Y. Le Bohec de rappeler que les différents vocables employés pour les désigner ne renvoient pas à des coupures chronologiques nettes mais qu’ils témoignent d’une longue continuité d’emploi de ces troupes au sein d’une organisation militaire évoluant peu.
Le premier chapitre, consacré à la République, reçoit les contributions respectives de G. Brizzi, de F. Cadiou, de M. A. Speidel et de P. Sanger. Le chercheur italien dresse tout d’abord une chronologie sur les auxiliaires qui débute lors de la signature des premiers foederata en 338 a. C. Le recours à la formula togatorum permit à Rome dès 225 a. C. de disposer d’un véritable registre militaire recensant les effectifs alliés italiens. L’expansion territoriale méridionale et le conflit carthaginois favorisèrent de leur côté l’apparition des socii navales. La présence de contingents d’outre-mer n’intervient qu’à la fin de la République. La guerre sociale, conflictuelle entre les socii italiens et ces formations, les rend incontournables tout en favorisant leur mue en ailes de cavalerie et en cohortes d’infanterie. Une relecture des sources littéraires amène F. Cadiou à confirmer le poids des auxiliaires recrutés localement dans la cavalerie du Ier siècle a. C., sans se substituer à des cavaliers légionnaires civiques, dont l’existence, difficile à percevoir, est pourtant bien réelle. M. A. Speidel cherche pour sa part à appréhender l’influence augustéenne dans le remodelage des auxiliaires. Un changement est indéniable, notamment à travers la réforme majeure édictée en 13 a. C. Leur participation à plusieurs conflits comme Actium atteste a contrario une continuité par rapport au passé. Les réformes ont cherché à réduire les structures traditionnelles existantes tout en en conservant les dernières évolutions. Cette praticité permet de mieux comprendre la cohabitation de formations « traditionnelles » avec les nouvelles unités installées ad fines. De son côté, P. Sanger se livre à une étude critique de l’ouvrage de L. Capponi paru en 2005 où l’auteur avance qu’une large part des forces ptolémaïques fut intégrée dans le nouveau système augustéen et que l’Egypte ne fut pas désarmée. P. Sänger indique que les sources infirment une telle permanence. Il renvoie notamment à la volonté augustéenne systématique de démobiliser les unités locales à l’issue d’une annexion. A travers deux cohortes, le chercheur fait le lien entre les effectifs disponibles sur place et la volonté impériale d’enrôler des recrues qualifiées dont les compétences étaient déjà exploitées auparavant. Rome a donc bien désarmé l’Egypte pour mieux la réarmer selon ses choix.
W. Eck nous propose en introduction du chapitre deux consacré au Haut-Empire une synthèse sur les auxilia à partir des diplômes militaires. Ces derniers corroborent un recrutement à l’échelle impériale s’appuyant sur le volontariat, l’enrôlement individuel et le dilectus. L’homogénéité ethnique initiale des recrues cède progressivement devant l’origine provinciale et parfois lointaine des tirones. Après 25 stipendia et jusqu’en 212, les soldats obtiennent en plus d’une gratification financière la citoyenneté romaine. L’interruption temporaire des diplômes sur une décennie (168-178) relève du princeps dans un contexte difficile. La citoyenneté est également accordée aux enfants nés pendant le service jusqu’en 140. A cette date, ceux nés précédemment à l’enrôlement de leur père en disposent également à sa libération. Un diplôme de 206 confirme enfin que Septime Sévère n’a pas octroyé la possibilité aux soldats de se marier durant le service. La communication de P. Le Roux revient sur les relations entre les empereurs romains et la guerre. Après avoir précisé la nature des conflits et averti contre les analyses stratégiques « modernistes », l’auteur rappelle que l’empereur est le chef suprême de ses armées. Héritier de la gloire de Rome, il devient l’incarnation de la Victoire dans la statuaire, le monnayage, les inscriptions et lors de la cérémonie du triomphe. Loin d’être présent sur le champ de bataille, il demeure proche des militaires par souci de popularité. Il faut attendre Maximin le Thrace pour voir un empereur combattre. Leur assiduité dans les grandes expeditiones est différemment perçue : si l’omniprésence d’un Trajan, représentée sur la colonne Trajane, en fait un empereur aimé de ses soldats, la mort au combat pour d’autres, synonyme de défaite, traduit une forme d’impuissance et d’incompétence du princeps.
Plusieurs participations reviennent subséquemment sur certaines formations et leur recrutement. D. Dana entreprend ainsi de suivre celui de trois ailes entre le Ier et le IIIe siècle. La diversité dans les modes d’enrôlement témoigne d’un brassage ininterrompu à l’intérieur des unités. Le seul élément commun fait ressortir une présence thrace constante. Leur importance, en lien avec des besoins impériaux réguliers, loin de renvoyer à de prétendues qualités guerrières, s’explique par l’augmentation globale de la documentation. E. L. Wheeler s’attache à suivre les auxiliaires parthes à partir des deux seules unités connues. Apparues autour de 40 a. C. et composées d’archers, leur arrivée coïncide avec celle d’autres formations composées d’Orientaux. Les recrues, transfuges, exilés, mercenaires, renvoient aux évènements dynastiques outre-Euphrate. C. S. Heidenreich délivre une approche historique sur les unités palmyréniennes et sur leur évolution hiérarchique. Sept formations succèdent à la fourniture de troupes alliées durant la guerre juive. Leur structuration comme archers et méharistes date de Trajan alors que les premiers numeri voient le jour sous Antonin. La vingtième cohorte sévérienne disparaît au siècle suivant au profit de deux unités nouvelles. Les six cohortes de Numides sont examinées par A. Groslambert. La réputation fort ancienne de ces combattants résulte de la qualité de la cavalerie et de la mobilité des fantassins. B. Rossignol recense les créations d’unités auxiliaires sous Marc Aurèle concomitamment à l’emploi d’autres formations. De nouvelles cohortes milliaires de soldats originaires de l’Illyricum, de la Syrie et des Maurétanies semblent voir le jour. Les lieux de cantonnement correspondent aux provinces de Dalmatie, de Pannonie et de Mésie Supérieure. Cet intérêt danubien confirme l’importance stratégique accordée à cette zone dont la Pannonie Inférieure est la clé de voute. L’armée de l’empereur « philosophe », héritière des traditions militaires antérieures, délivre aussi certaines des solutions qui seront appliquées à partir du siècle suivant.
Le congrès s’est aussi attaché à mieux comprendre le quotidien des auxilia. F. Bérard propose ainsi une réflexion sur la garnison des provinces sans légion à partir de plusieurs exemples. Son exposé permet notamment d’éclaircir le parcours de quelques formations jusqu’alors mal connues. Le premier siècle semble marqué par la décroissance de certaines garnisons alors que le second nous fait connaître un nombre conséquent d’unités d’essence pérégrine composant des garnisons à une ou deux formations. Le recrutement d’officiales parmi les soldats se limite aux fonctions subalternes alors que les grades supérieurs sont occupés par des légionnaires. L’examen de la documentation l’amène également à écarter tout statut spécifique pour ces garnisons. P. Cosme, en abordant les archives des auxilia, s’appuie sur les papyri découverts à Doura-Europos. Tout en refusant cette qualité à certains actes trouvés dans des dépotoirs, le chercheur précise que d’autres écrits non conservés, comme les rôles de l’unité, autorisaient l’établissement des temporaires acta diurna délivrant quotidiennement un état de l’unité. Les pridiana étaient en revanche archivés dans la mesure où ils renseignaient l’administration centrale. La correspondance extérieure, classée méthodiquement, était conservée comme dans le cas des epistulae equorum. Ces écrits, généralisés à la fin du premier siècle p. C. avec le brassage des tirones et les déplacements incessants, exposent l’organisation méticuleuse de la remonte selon un processus similaire à celui des recrues humaines avec l’objectif de contrecarrer les fraudes. Mieux comprendre les auxiliaires passe également par l’exploitation des données iconographiques. C’est l’objet de la communication proposée par M. F. Pettraccia à partir des représentations de la colonne Trajane. Certaines « images » rendent ainsi compte de leur poids au sein de l’armée en Dacie. L’art triomphal romain met nouvellement en exergue la contribution de ces troupes à la victoire contre Décébale. G. Baratta revient de son côté sur les imaginiferi. Ce personnage est quelquefois représenté de face, tenant dans la main droite une hampe surmontée d’une partie circulaire contenant un buste. La documentation ne permet cependant pas de définir exactement leur rôle, probablement en lien avec les cultes officiels. La sphère religieuse fait l’objet d’une étude de M. Popescu sur les dédicaces collectives d’unités danubiennes. L’auteur relève la prépondérance des témoignages adressés à Jupiter, Mars, aux génies du lieu ou de l’unité. Le premier demeure la principale divinité du panthéon en étant le protecteur de l’état, des provinces et de l’empereur. Mars, prédominant en Dacie, est celui qui apporte la réussite et sa protection aux individus et aux groupes. L’époque sévérienne voit aussi l’accentuation du rapport entre la troupe et la divinité d’un côté et l’empereur de l’autre. Les inscriptions révèlent enfin le rôle essentiel du commandant de l’unité dans les démarches cultuelles et accessoirement celui du gouverneur. L’apparition de « cultes nationaux » au sein de certaines unités, si elle exprime leur forte identité culturelle, n’interfère pas sur leur loyalisme.
Le congrès a également été l’objet d’approches locales et régionales dont celle de J. J. Palao Vicente sur l’exercitus hispanicus. Des témoignages attestent ainsi l’existence de formations probablement auxiliaires à côté de la garnison habituelle. Leur présence en Bétique, répondant aux besoins du gouverneur, ne doit pas être envisagée comme une réponse systématique à la piraterie côtière. En Citérieure, leur destinée est inséparable de la prefectura orae maritimae et de sa mission de surveillance du littoral. J. P. Laporte dresse un bilan des connaissances sur l’armée romaine de Maurétanie Césarienne entre le règne de Juba II et l’arrivée des Vandales. La présence militaire post-claudienne est abordée au travers de trois inscriptions. L’essor de la garnison dans la première décennie du siècle suivant est suivie d’une extension territoriale sous Hadrien. L’armée permanente doit faire face sous son successeur à des troubles nécessitant l’envoi en Afrique d’au moins une expédition (152). La relative stabilité relevée par la suite débouche sur une nouvelle expansion conflictuelle sous Septime Sévère. Le règne du dernier Sévère et ceux de ses successeurs correspondent à une période d’insécurité. Il faut attendre Dioclétien pour constater une réelle reprise en mains de la province avant sa partition (303). La fin du règne de Constantin et le début de celui de ses fils ne sont pas exempts de difficultés auxquelles ne répondent que les seules forces de la province. L’apport de nouveaux documents ou le réexamen d’autres permettent également de mieux appréhender l’affaiblissement de l’exercitus après la guerre de Firmus. N. Benseddik et J. P. Laporte reviennent sur la découverte en 2014 d’une inscription à El Bayadt relatant la victoire obtenue en 198-199 sur les Bavares Transtagnenses par le gouverneur provincial. Le document témoigne que le pouvoir romain n’hésitait pas à intervenir contre des montagnards sédentaires loin de ses bases lorsque ses intérêts étaient en jeu. C. Ricci revient sur la présence d’auxilia à Aquilée durant le Haut-Empire. Si les inscriptions de militaires sont fréquentes, celles évoquant des auxiliaires sont plutôt rares. La publication de trois témoignages épigraphiques datés du Ier siècle rappellent l’importance stratégique précoce du lieu. L’examen attentif d’inscriptions postérieures confirme cette réalité dans des contextes divers. M. Mayer I Olivé s’intéresse quant à lui à la présence des militaires dans la zone de Narona en Croatie. L’épigraphie révèle ainsi la présence régulière d’auxilia dans le camp de Bigeste durant une longue période. Un nombre conséquent de légionnaires détachés sur le territoire complète le dispositif. Les relations de la cité avec les soldats débutent au début de l’Empire par l’installation de vétérans. Les militaires présents dans la cité sont par la suite des vétérans ou des soldats de passage. La participation des unités à certaines constructions ou encore l’existence de liens économiques à travers les officinae tegulariae constituent aussi une autre forme de relation.
En introduction du dernier chapitre dédié à l’antiquité tardive, J. M. Carrié propose une analyse des formations héritées du Haut-Empire. Le terme auxilia usité sous le Haut-Empire prend un autre sens après Constantin en définissant une nouvelle catégorie d’unités alors que le vocable auxilium continue de s’appliquer aux anciennes troupes. La différence entre citoyens et pérégrins, disparue avec Caracalla, ne favorise pourtant pas un rééquilibrage entre les divers contingents. L’historien dénonce certains poncifs dont celui faisant du limes un dispositif de défense linéaire frontalier alors qu’il s’agit d’un ressort territorial sous l’autorité d’un duc. Il n’y a pas de coupure géographique entre les comitenses et les limitanei tandis que la barbarisation de l’armée prend de multiples formes. Le versement de la solde sous sa forme classique n’apparaît plus après 300. Celle attribuée à l’époque constantinienne est en nature avant un ultime retour au numéraire. La proportion entre légions et auxiliaires est globalement identique entre le milieu du IIe siècle et la fin du quatrième siècle. Sur 350 formations auxiliaires répertoriées sous Septime Sévère, 158 se retrouvent dans la notice des dignités. Leur diminution est à mettre notamment en relation avec leur promotion dans les troupes comitatenses. Les limitanei ne sont pas des paysans-soldats sans valeur militaire attachés à la terre. La diversification des moyens tactiques, la spécialisation de certaines unités délivrent une tout autre réalité. J. M. Carrié détaille enfin l’exercitus égyptien où les unités anciennes, surreprésentées, lui confèrent un caractère de déclassement. M. Petitjean relativise l’essor de la cavalerie au IIIe siècle en soulignant la non rupture entre le Haut-Empire et la période ultérieure immédiate. La proportion de cavaliers sous Hadrien, déjà en augmentation par rapport aux périodes antérieures, continue de croître sans excès jusqu’à l’époque de la notice des dignités. L’étude s’intéresse aussi à l’origine des nouveaux corps de cavalerie au IIIe siècle. En partant du constat de M. Roxan, l’auteur écarte l’hypothèse d’une destruction de ces formations au profit d’une refonte exercée dans les territoires alors contrôlés par Rome. De nouvelles d’unités, se substituant aux anciennes, apparaissent dès les années 260 sans volonté stratégique de constituer une réserve mobile. L’ensemble des composantes de l’armée est ultérieurement réorganisé en fonction de la proximité avec le prince avant les dernières modifications constantiniennes. G. Sartor se penche sur l’emploi des foederati dans les conflits tardifs. Ces soldats, qui doivent être perçus dans une double perspective diplomatique et militaire, sont de deux types : installés à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Empire. Sa défense les amenait à combattre non pas dans mais aux côtés de l’armée romaine. Leur engagement, dicté par le pouvoir, était temporaire. Capables d’appliquer les consignes de l’état-major, ces formations étaient commandées par leurs chefs ethniques dans un souci d’efficacité. Les fédérés percevaient diverses rétributions comme les gentes auxquels ils appartenaient. En cas de non mobilisation, leur entretien était supporté par la terre qui leur avait été cédé. Le pouvoir romain, par souci de contrôle et d’intégration, n’ignorait pas leur moindre coût comparé à celui des unités régulières. Les foederati, loin d’être indépendants, étaient finalement une réponse pragmatique du pouvoir aux défis militaires internes et externes de l’Empire. Selon P. Kovacs, des fédérés n’ont pas été installés en Pannonie par Gratien après la bataille d’Andrinople. En analysant la documentation, l’auteur établit que les années 380 sont calmes en Pannonie seconde, que l’organisation administrative demeure intacte et qu’avant 395 toute idée de dévastation s’avère fausse, contredisant ainsi un topos de la littérature tardive.
Nicolas Sauvage, Université de Bretagne Occidentale
Publié en ligne le 05 février 2018