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Les actes du colloque « Quand l’usage fait l’image : les Gaulois, de la manipulation historique à l’archétype. Nouvelle enquête historiographique », qui s’est tenu les 18 et 19 septembre 2014 à Clermond-Ferrand, ont été édités en 2017 par Oriane Hébert et Ludivine Péchoux sous le titre Gaulois. Images, usages et stéréotypes. Ce colloque a été organisé en contrepoint de l’exposition « Tumulte gaulois, représentations et réalité ». Il s’inscrit aussi dans la filiation du colloque, qui avait été précurseur dans la dénonciation des stéréotypes concernant les Gaulois, organisé à Clermond-Ferrand, en 1980, sous le titre « Nos ancêtres les Gaulois » et qui avait donné lieu à une belle publication en 1982. Ludivine Péchoux avait déjà coordonné en 2011, l’ouvrage Les Gaulois et leurs représentations, avec des contributions de nombre d’auteurs du colloque de 2014.

L’ouvrage de 415 pages contient un index des noms propres, les résumés en français et en anglais des communications -sans laisser de place aux discussions qu’elles ont pu susciter- et 97 pages d’illustrations, pour la plupart en couleur et d’une excellente qualité, à l’exception des reproductions des films fixes, trop sombres et parfois trop floues pour être lisibles. Les images sont rassemblées selon 7 thématiques, qui ne reprennent ni les intitulés ni l’ordre des articles, ce qui s’explique par les renvois multiples à une même illustration. Conserver l’ordre des communications aurait cependant permis une consultation plus aisée de cette documentation. Il est en revanche agréable de pouvoir se référer aux notes en marge du texte.

Dans une longue introduction, Oriane Hébert rappelle les récentes publications et expositions qui ont traité des stéréotypes gaulois. La publication envisage d’apporter un éclairage nouveau sur la question, pour comprendre comment s’est élaborée l’image des Gaulois et ce qu’elle nous enseigne sur les sociétés qui les ont construites. Les interventions sont ensuite déclinées selon les trois axes annoncés dans le titre de l’ouvrage : la construction des images, les usages des images et le poids des stéréotypes.

La première partie s’ouvre par la communication originale de Sarah Rey, qui s’intéresse à la spécificité du regard porté par les historiens protestants sur la religion des Celtes dès le XVIe siècle. En insistant sur le lien privilégié avec la divinité, ces historiens ont présenté la religion des Celtes comme une préfiguration de la Réforme. Les Romantiques allemands se sont quant à eux intéressés au rapprochement avec la nature, inspirés par les druides officiant dans un cadre bucolique. Pour le huguenot Camille Jullian, les druides sont mêmes les précurseurs des pasteurs calvinistes, ce qui lui permit d’affirmer que « la Tène est protestante ».

La construction des images porte ensuite sur Malvina, que Saskia Hanselaar présente comme la première bardesse celtique. Elle apparait dans les poésies d’Ossian et a inspiré les femmes peintres de la fin du XVIIIe siècle. Modèle de vertu, elle s’oppose à la fougue de Velleda, autre gauloise qui a davantage intéressé peintres et écrivains.

Le texte de Christophe Vendries concerne lui aussi les bardes, mais dans le cadre plus vaste de l’étude très documentée de la musique gauloise. En l’absence de données archéologiques, les représentations d’instruments étaient assez fantaisistes au début du XIXe siècle, faisant de la harpe l’instrument gaulois par excellence. Dans un souci de véracité historique, les peintres ont ensuite représenté des lyres, symboles de poésie ou des trompes gauloises, associées au bruit et à la guerre. L’auteur conclue en expliquant que la musique a longtemps été incompatible avec l’image du barbare gaulois et que son étude ne s’est développée que lorsque le Gaulois a été reconsidéré, au point d’être capable de maîtriser les instruments de musique.

Cette partie se conclue par une étude pointue de la sculpture du chef gaulois d’Emmanuel Frémiet, menée par Laurent Olivier, Lionel Pernet et Catherine Bastien. L’article explique pourquoi le sculpteur, pourtant soucieux de précisions historiques, a pris pour modèle des objets de l’Âge du Bronze, conservés dans les collections du musée du Louvre, pour représenter le guerrier gaulois. La sculpture a été réalisée très précisément au moment où les archéologues ont identifié la Tène comme une période distincte de l’Âge du Bronze, sans que Frémiet n’ait eu connaissance de ces découvertes. Toujours est-il que le modèle du Gaulois qu’il a proposé a eu une étonnante postérité, inspirant Millet, Royer ou Bartholdi pour les traits de Vercingétorix et faisant du casque ailé, l’emblème gaulois par excellence.

Les démarches proposées dans la seconde partie s’inscrivent dans la continuité du colloque de 1980. Les deux premières contributions portent sur la recherche des origines. Andrea Binsfeld a, dans un premier temps, montré comment en 1815, dans un contexte d’indépendance, les Luxembourgeois ont cherché à s’identifier aux Trévires, des Germains résistants aux Romains, cherchant ainsi à légitimer dans l’Antiquité leur positionnement entre la France et les Hasbourg.

La démarche d’Eugène Warmenbol, pour le cas belge, est assez similaire. L’érection de statues, de Boduognat d’une part, quasi inconnu des textes antiques et d’Ambiorix, d’autre part, symbole de la résistance à l’étranger -dont les représentations sont plus proches de celles d’Arminius- traduisent la volonté de se rapprocher de l’Allemagne face aux prétentions françaises, au moment de la construction de la nation belge avec une double identité : germaine au Nord et gauloise au sud. Ces deux approches complètent l’étude des héros de l’Antiquité, utilisés à des fins nationalistes en Europe au XIXe siècle.

Les deux contributions suivantes portent sur la réception d’œuvres représentant des Gaulois. Dans la première, Hélène Jagot, conservatrice de musée, porte son regard sur les créations présentées au Salon. Elle explique comment, à partir des œuvres de Chasseriau, Erhmann ou Millet, les Gaulois ont servi la cause impériale ou au contraire républicaine. S’appuyant aussi sur des peintures moins connues, comme celle de Luminais, elle rappelle que la conquête romaine est toujours présentée comme un mal nécessaire pour la construction de la France moderne et un faire-valoir de la colonisation.

La seconde contribution concerne l’inauguration de la statue de Bartholdi. Julien Bouchet montre combien la préoccupation d’Émile Combes n’était pas tant la sculpture de Vercingétorix que l’occasion de commémorer la patrie et la laïcité.

Enfin, les deux dernières contributions de cette partie concernent l’enseignement primaire. Christian Amalvy, spécialiste des manuels de l’école primaire et des ouvrages de vulgarisation, analyse, dans un premier temps, les origines de la France. Il montre l’opposition entre les Républicains, pour lesquels Vercingétorix est le premier héros national, et les monarchistes, qui attribuent ce rôle à Clovis. Les deux camps se retrouvent cependant pour présenter sans ambiguïté la conquête romaine comme porteuse de civilisation et légitimant de ce fait les conquêtes coloniales.

Ensuite, Germain Collombet a proposé une analyse originale des films fixes. Après une rapide présentation de cet objet pédagogique – dont il aurait été utile de mesurer les usages réels en classe et leur impact sur les élèves –, l’auteur distingue trois périodes, que l’on retrouve également dans les manuels scolaires : avant la conquête romaine – lorsque les Gaulois sont présentés comme des barbares –, pendant la guerre des Gaules -surtout envisagée pour ses aspects militaires – et enfin au moment de la romanisation.

La dernière partie s’attache au poids des stéréotypes avec deux interventions bien documentées et assez classiques dans leur démarche, qui montrent comment les lieux communs sur les Gaulois se sont mis en place : l’indiscipline par Laurent Lamoine, qui revient sur le dossier des sources, et le sacrifice humain par Alexandre Page. Ce dernier explique que ce topos faisait débat au XIXe siècle, dans la mesure où il ne convenait guère à l’engouement pour les Gaulois. Ainsi, certains historiens ont cherché à le minimiser ou le justifier en le comparant aux des pratiques des Indiens d’Amérique.

Les deux textes suivants déconstruisent de façon très convaincante quelques « vérités » sur les Gaulois. Dans le premier, Serge Lewuillon, dénonçant les rapports de subordination entre les sources écrites et archéologiques, montre comment se sont forgés, à partir de confusions, le terme et la représentation du carnyx.

La seconde démonstration est menée par Sylvia Neto-Pelletier au sujet de l’« Empire arverne », concept forgé par Camille Jullian et repris par le numismate Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu sous le terme d’« hégémonie ». Elle montre combien les représentations et la notoriété de certains chercheurs les ont empêchés d’envisager sereinement les sources dont ils disposaient, en sur-interprétant les textes. Des avancées ont été possibles lorsque des monnaies, découvertes en contexte, ont permis de revenir sur certaines datations et de limiter l’influence arverne à des sphères d’échanges économiques, sans présumer de leur hégémonie politique.

La dernière contribution de cet ouvrage porte un regard nouveau et critique sur le sujet. Olivier Buchsenchutz se refuse à une énième dénonciation des stéréotypes sur les Gaulois et engage les chercheurs à proposer de nouveaux modèles. Pour cela les historiens ne doivent plus limiter les études sur les Celtes à l’espace français, car il ne rend pas compte des réalités anciennes. Ils doivent oublier les clichés véhiculés par les Grecs et les Latins et se défaire du complexe de supériorité transmis par la bande dessinée Astérix et revenir sur une conception linéaire de l’évolution conduisant au progrès. Le chercheur présente ensuite à grands traits l’économie, les pratiques funéraires et la société des Celtes, montrant qu’il n’y a pas d’opposition entre barbare et civilisé, ni de modèle urbain démocratique qui s’opposerait à des campagnes dominées par l’aristocratie.

En conclusion, Ludivine Péchoux met en perspective l’essentiel des communications en rappelant le contexte de construction et de diffusion des stéréotypes sur les Gaulois, portés par les historiens Jules Michelet, Amédée Thierry et Henri Martin, à la recherche des origines de la France. Elle confesse aussi que la volonté de démonter les stéréotypes s’est heurtée à l’équipe de communication de l’exposition, qui n’a eu de cesse d’y revenir.

Cet ouvrage est l’aboutissement d’un courant historiographique amorcé au début des années 1980, qui a analysé la part du XIXe siècle dans la construction d’une identité nationale transposée sur un passé peu connu. Les auteures se revendiquent d’une histoire culturelle, une histoire des représentations et de l’étude des processus de perceptions. Mais comme le souligne avec beaucoup de justesse Olivier Buchsenschutz, il est temps désormais de consacrer les études sur les Gaulois à l’écriture d’une histoire débarrassée des idéologies identitaires, en s’appuyant sur les abondantes données archéologiques. Peut-être faudrait-il, en effet, proposer des images alternatives et ne plus reproduire, sous prétexte de les dénoncer, celles élaborées il y a plus d’un siècle.

Aurélie Rodes, Professeure d’histoire-géographie, Docteure en Sciences de l’Antiquité

Publié en ligne le 05 février 2018