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La destruction des monuments les plus emblématiques de Palmyre, parmi lesquels les temples de Baalshamin et de Bêl par Daech en 2015, a suscité une émotion internationale. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a organisé le 19 mai 2017 à Paris une rencontre avec différents chercheurs. Le but était de mettre en lumière les travaux effectués sur le site par deux architectes, le Suisse Paul Collart entre 1954 et 1956 et auparavant par le Français Robert Amy entre 1930 et 1945. Bien que les résultats de leurs travaux aient été publiés, l’intérêt des chercheurs se porte aujourd’hui, sur l’intégralité de leurs archives conservées, pour l’un à l’Université de Lausanne et, pour l’autre, à l’IRAA d’Aix-en-Provence. Devant le désastre que constituent les destructions par explosion des deux temples, il est plus que jamais important de se pencher sur les archives avant d’envisager une quelconque restauration qui pourrait obéir à la tentation du « spectacle scientifique », selon les mots de François Quantin (« Archéologie, architecture et archives », p. 27-44).

Les archives de Paul Collart sur la fouille du sanctuaire de Baalshamin et celles de l’épigraphiste de la mission, Christiane Dunant, sont conservées à l’Université de Lausanne et sont actuellement en cours d’analyse sous la direction de Patrick Maxime Michel de l’Université de Genève (« Le sanctuaire de Baalshamin à Palmyre dans les archives de Paul Collart à l’Université de Lausanne », p. 11-25). Plus de 3000 photographies sur négatifs souples ont déjà été numérisées et mises en ligne depuis 2005-2006 sur le portail http://tiresias.unil.ch, auxquelles ont été joints les clichés sur verre de Luc Boissonnas qui avait participé aux campagnes de P. Collart. L’objectif est désormais de procéder à la conservation de l’ensemble des documents originaux que les supports utilisés à l’époque (calques sur papier acide et papier collant) rendent fragiles, avant leur numérisation. Cet important matériel scientifique constitué à Palmyre, mais aussi à Baalbeck, se compose d’albums, de négatifs inédits, notamment sur la sculpture, de carnets de fouilles détaillés, de plans, de restitutions en coupe et en élévation. Ce fonds Collart est d’une importance considérable pour ceux qui font des recherches ou des expositions consacrées à Palmyre, mais il devrait aussi permettre d’aider à une éventuelle restauration du temple de Baalshamin ou d’une reconstitution en 3D, susceptible de mettre en valeur les différentes phases de son occupation entre le Ier siècle de notre ère et l’époque musulmane.

Le fonds d’archives de Robert Amy est lui aussi d’une grande richesse et exhaustivité avec plus de 9000 pièces dont 600 documents manuscrits et tapuscrits, des dossiers thématiques, plus de 2000 photos, des plans, des coupes, des restitutions, qui n’ont pas tous été utilisés pour la publication finale des travaux menés au temple de Bêl à partir de 1930 à l’initiative d’Henri Seyrig, alors directeur des Antiquités pour le Liban et la Syrie sous le Mandat. Robert Amy avait documenté de façon extrêmement précise tous ses relevés avec des mesures détaillées des blocs, des décors, des éléments peints etc…, dont l’opuscule de l’Académie donne de multiples exemples (Sophie Binninger, « Le temple de Bêl à Palmyre. Étude préliminaire des archives produites par Robert Amy (fonds IRAA) », p. 45-72). Non seulement ces relevés peuvent aujourd’hui aider à identifier les blocs récupérables dans les décombres du monument, enrichir les bases de données et les inventaires qui devront être faits, mais plus encore « par une exploitation systématique de leur contenu, ils semblent pouvoir réévaluer nos connaissances sur ce temple », comme le fonctionnement du chantier dans l’Antiquité, la mise en œuvre des scellements et des poses ou plus encore la genèse de la construction et ses étapes.

C’est à d’ailleurs à une sorte de réévaluation que la communication de Pierre Gros s’est attachée en proposant une « relecture à partir des choix formels et ornementaux des concepteurs du temple de Bêl » (p. 95-133). Celui-ci, dont il est habituel de dire qu’il a été « habillé grec », serait en réalité par différents détails de son plan, de son élévation et de ses choix décoratifs une « réplique » de la tradition hellénistique dont témoignent des édifices de même époque ailleurs dans le monde gréco-romain. Au moyen de nombreux exemples et comparaisons, P. Gros parvient à la conclusion que le temple de Bêl peut être considéré comme un « retour à la tradition hellénistique » dont des bâtisseurs, issus d’horizons culturels différents, ont néanmoins abouti à « une dialectique » beaucoup plus subtile que l’apparence du monument en donne, celle d’avoir réussi une assimilation parfaite de l’architecture hellénistique tout en préservant malgré tout une identité syro-mésopotamienne.

La communication de Christiane Delplace et Jacqueline Dentzer-Feydy est venue rappeler combien les édifices cultuels, dont le temple de Bêl occupe le site primitif, a profondément marqué la topographie et l’urbanisation du site (« Topographie cultuelle et urbanisation à Palmyre », p. 73-91). Chaque sanctuaire, dont l’emplacement de certains est encore à découvrir (temple du bois sacré ou temple d’Atargatis), est étroitement lié aux tribus et aux clans auxquels appartiennent les notables de l’oasis qui les financent, ainsi qu’en témoigne l’épigraphie. De ces différents sites cultuels se dégage une évolution de l’urbanisme du site depuis l’âge du Bronze récent jusqu’à l’époque musulmane avec ses expansions et ses rétrécissements. L’opportunité malheureuse fournie par la destruction du temple, devrait trouver un élément positif, celui de pouvoir fouiller plus avant l’emplacement du temple de Bêl. Car, avant toute reconstruction ou dégagement intempestif, il est indispensable de comprendre la stratigraphie des occupations antérieures et de pouvoir préciser dans ce secteur les évolutions de l’habitat.

La préoccupation constante du devenir du site a marqué cette journée d’étude consacrée aux archives constituées sur le site de Palmyre. Il apparaît indispensable aux yeux des chercheurs, archéologues ou historiens, qu’avant tout travail de restauration des monuments détruits et, a fortiori, avant de songer à leur reconstruction, les équipes qui les prendront en charge devront tenir compte, sans précipitation, des importantes archives françaises et suisses, afin de ne pas infliger à Palmyre un nouveau désastre que serait une reconstruction destinée davantage à effacer le passé qu’à le respecter.

Annie Sartre-Fauriat

Publié en ligne le 12 juillet 2018