En publiant un secteur de l’habitat, les auteurs rappellent opportunément que Delphes ne se limitait pas à son sanctuaire oraculaire, même si cette idée est encore souvent présente ; il s’agit là d’une conséquence imprévue de la convention franco-hellénique relative à la fouille du site qui limitait la concession à l’espace enclos dans le péribole — l’article 1 précisait que « l’emplacement des anciennes enceintes … sera déterminé en commun par l’Éphore général des Antiquités et la direction de l’École française à Athènes ». Une étude menée en 1983 avait montré l’intérêt de secteur de quelque 70 m d’est en ouest et 40 m du nord du sud qui avait été en partie dégagé par la grande fouille ; six campagnes entre 1990 et 1997 ont permis de renouveler la connaissance de l’habitat de la Delphes de la fin de l’Antiquité.
La première partie (p. 5 – 43) est consacrée à la description des vestiges bâtis, à leur restitution et à leur interprétation. Si cet habitat s’est implanté sur un réseau de terrasses mis en place dès le VIe siècle av. J.-C., la documentation n’offre aucune possibilité de conclure sur la situation avant la construction des ensembles A (comprenant un triclinium et ses dépendances), B (thermes) et C (pièces d’habitation), qui constitue l’état I qui précède les remaniements à l’origine de l’état II et ne permet pas non plus de choisir entre deux modèles d’évolution , celui d’une fusion de plusieurs unités en une seule ou celui d’une division d’un ensemble en plusieurs structures. À la fin du VIe siècle ap. J.-C., le quartier cessa d’être le lieu d’un habitat luxueux pour accueillir des ateliers d’artisans et quelques sépultures avant d’être abandonné vers 610-620. La description, très précise, s’appuie sur une illustration abondante comportant des photographies qui donnent une excellente image des appareils, ainsi que des plans et axonométries et des coupes qui permettent de bien visualiser les niveaux et de suivre aisément l’évolution dans le temps du secteur.
La seconde partie (p. 45 – 101) est consacrée au matériel (monnaies, céramique — vaisselle, lampes et pesons —, os d’animaux et coquilles) trouvé lors des six campagnes de fouilles. A. Destrooper (p. 46-74) a étudié les 70 monnaies de bronze trouvées lors de la fouille qui sont replacées dans un contexte régional. Toutes sont documentées par des photographies de leurs moulages et replacées dans des tableaux par ateliers. Une carte permet de visualiser dans le temps les ateliers représentés qui sont, à quelques exceptions près, situés dans le territoire de l’Amphictionie pyléo-delphique ; seules 47 pièces du corpus sont véritablement en relation chronologique avec l’habitat ; 22 sont antérieures et une est largement postérieure. Comme le matériel céramique a été publié en 2010 par Pl. Petridis dans son étude consacrée à la céramique proto-byzantine de Delphes (FD V, 7), ce dernier se borne (p. 75-80) à une brève présentation du matériel qu’il replace dans son contexte chronologique : si l’éventail va du Ier au VIIe siècle, l’essentiel est formé par d’exemplaires des vie et viie siècle et la plupart ont été produits à Delphes même. L. Karali a étudié la matériel ostéologique (p.81 – 88) et malacologique (p. 89-101) des secteurs B et C, en présentant les différentes espèces, domestiques ou sauvages, qui sont attestées, les informations sur la mise à mort et la découpe apportées par les traces encore visibles. Quoique le petit nombre d’éléments invite à la prudence, on constate la place dominante des caprinés (73 ,4%), suivis par les porcs (20 %) et les bœufs (8%). La présence d’espèces sauvages résultant de la chasse est en accord avec le niveau social que supposent les vestiges d’habitat dans leur premier état. Le matériel malacologique a fait l’objet d’une étude exhaustive richement illustrée en couleurs ; il comprend deux fois plus de coquilles d’espèces marines que de coquilles d’espèces terrestres et renseigne essentiellement sur les pratiques alimentaires, car on ne saurait fonder l’existence d’une industrie de la pourpre à Delphes sur les 76 exemplaires de la fouille. On notera un objet précieux d’exportation : un léopard en nacre de tridacne.
Une brève synthèse (p. 105-107) présente les conclusions sur ce secteur qui a connu sa plus prospérité à la fin de l’Antiquité entre le milieu du IVe siècle et le milieu du VIe siècle. L’abandon du site de Delphes vers 620 demeure obscur, même si on ne peut plus attribuer aux Slaves une destruction violente que rien n’atteste. Le refuge des Delphiens entre cette date et l’attestation d’une nouvelle occupation permanente du site dès lors appelé Kastri reste inconnu.
La publication d’une grande qualité pourra cependant susciter chez le lecteur une légère déception. Les pages de synthèse de Pl. Pétridis dans son livre sur la céramique proto-byzantine de Delphes ou celles de la contribution de V. Déroche au IXe Congrès international d’archéologie chrétienne en 1986 apportaient plus à qui voulait connaître la Delphes de la fin de l’Antiquité. Il aurait sans doute fallu reprendre tous les secteurs connus de la ville tardive dans un ouvrage plus important, mais l’ensemble aurait souffert de l’inégal degré de précision de l’approche archéologique entre les tranchées d’exploration de la grande fouille et un secteur minutieusement exploré comme celui qui fait l’objet de la publication ici analysée.
Anne Jacquemin