Ce volume, qui comporte quatorze communications autour du Code Théodosien, est né de trois demi-journées de rencontre dans le cadre du GDR 2135 – THAT (Textes pour l’Histoire de l’Antiquité Tardive). Ce groupe, créé en 2000 par George Tate et Françoise Thélamon, a achevé son existence institutionnelle en décembre 2007. Le lecteur trouvera de nombreuses informations sur le site de l’association qui lui a succédé
(http://recherche.univ-montp3.fr/THAT). Les objectifs sont clairement définis dès la première page de l’ouvrage : « faire connaître à l’ensemble de la communauté scientifique internationale la nouvelle entreprise de traduction française du Code Théodosien et […] réunir, autour de cette équipe du GDR, les chercheurs français et étrangers afin d’échanger sur ce texte essentiel pour la connaissance de l’Empire romain tardif et des fonctionnements de la société de
cette époque ».
Les communications se répartissent en trois parties inégales : après une présentation par Sylvie Crogiez-Pétrequin et Pierre Jaillette, une première partie traite de « la construction et la diffusion du Code Théodosien » ; une deuxième partie s’intéresse plus spécifiquement aux problèmes de traduction ; enfin une troisième partie, intitulée « Études particulières », est subdivisée en trois thèmes, assez classiques (l’État, la religion, la société).
Il s’agit donc de proposer à la fois un bilan et un programme de travail autour du Code Théodosien. Les difficultés de traduction et d’interprétation de cette compilation juridique sont maintes fois soulignées par les
différents intervenants.
Dans le premier article (« Code Théodosien et documents électroniques, p. 7-13) Pierre Jaillette et Pierre-Louis Malosse mettent à la disposition du lecteur la liste des sites Internet existant en 2008, portant sur les sources juridiques et plus spécifiquement le Code Théodosien (p. 12-13), ainsi que diverses ressources électroniques. Le second article (Pierre Jaillette, « Le Code Théodosien : de sa promulgation à son entreprise de traduction française. Quelques observations », p. 15‑36) rappelle quelques éléments généraux sur la genèse du Code Théodosien (motivations de Théodose II, étapes de sa réalisation et de sa promulgation), les étapes également de son édition (première édition imprimée, parue en 1517 à Anvers et réalisée par Pierre Gilles/Aegidius, en passant par Jacques Cujas et Jacques Godefroy, jusqu’à l’édition de Théodore Mommsen). Il n’existe cependant pas de traduction française du Code Théodosien, lacune que le groupe THAT entreprend de combler.
L’article d’Olivier Huck (« Sur quelques textes ‘absents’ du Code Théodosien : le titre CTh I, 27 et la question du régime juridique de l’audience épiscopale », p. 37-59) revient sur le caractère incomplet de la source et pose le problème de la composition et de la finalité du Code Théodosien. Après avoir exposé les thèses concurrentes sur les méthodes de travail des compilateurs ainsi que les incertitudes relatives au contenu des titres des cinq premiers livres du Code, il s’intéresse plus particulièrement au titre De episcopali definitione (CTh I, 27), qui a été reconstitué à partir du Ms Phillipps 1745. Il le compare aux Constitutions Sirmondiennes pour en tirer des éléments de compréhension de la méthode de compilation.
La genèse du Code n’est pas seulement au coeur de la réflexion du groupe THAT. La traduction occupe une bonne part de son activité. Il est à noter qu’un premier volume traduit (le livre V du Code Théodosien) a été publié en 2009 chez Brepols, par Pierre Jaillette et Sylvie Crogiez-Pétrequin. Une traduction des lois religieuses par Jean Rougé († 1991) a également été publiée aux Sources Chrétiennes, avec la collaboration de membres de THAT (Code Théodosien. Livre XVI – Les lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II (312-438), Paris, SC n° 497, 2005 ; Code Théodosien (I-XV), Code Justinien, Constitutions Sirmondiennes – Les lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II (312-438), Paris, SC n° 531, 2009). Jean-Pierre Callu s’intéresse, de façon originale, à un point laissé de côté dans l’étude de Tony Honoré parue en 1998 à Oxford (Law in the Crisis of Empire 379-455 AD. The Theodosian Dynasty and its Quaestors). D’après Jean-Pierre Callu (« Clausules et questeurs dans le Code Théodosien : les années 395-397 », p. 63-74) les clausules peuvent être également des marqueurs et leur étude permet de définir des styles propres à chaque questeur. Les exemples choisis sont ceux de deux correspondants de Symmaque : Florentin et Félix. Roland Delmaire (« Problèmes de traduction du Code Théodosien : quelques exemples tirés du livre XVI », p. 75-87) souligne, à partir d’exemples, la nécessité d’une connaissance précise des termes administratifs et juridiques, du vocabulaire de la chancellerie impériale ainsi que d’une critique argumentée, avant de traduire le Code Théodosien : « On ne comprendra pas le Code Théodosien après l’avoir traduit en français, il faudra le traduire après l’avoir compris en latin » (p. 86). L’approche de Sylvie Crogiez-Pétrequin est différente. Elle propose une analyse du terme « mansio » (mais aussi mutatio, statio, stabulum) dans le Code Théodosien (p. 89‑104) ; de même François Richard s’intéresse au sens du mot christianitas, d’abord dans les sources chrétiennes où il reste relativement rare, puis analyse sa formation, avant de conclure que le terme ne peut désigner que la « religion chrétienne », le « christianisme » et non la chrétienté.
Les études dites particulières de la troisième partie s’intéressent à des thèmes précis, à partir du Code Théodosien.
Les curiosi et leur place dans l’administration impériale, notamment leurs liens avec le magister officiorum, sont étudiés par Lucietta di Paola à partir du CTh VI, 29 mais aussi de sources variées, y compris iconographiques (p. 119-141). Bruno Pottier (« État, élites et ordre public : les occultatores de hors-la-loi dans le Code Théodosien », p. 143‑169) s’intéresse aux occultatores des hors-la-loi et des implications de la répression d’une telle pratique ; il s’oppose à l’interprétation de R. Mac Mullen et de B. D. Shaw, selon laquelle l’État cherche ainsi à lutter contre la formation de milices privées par les grands propriétaires. Il y voit bien au contraire un transfert de fonctions et de charges jusque là municipales, aux possessores.
Yann Rivière, dans son article « ‘Une cruauté digne de féroces barbares’ ? À propos du De emendatione seruorum (CTh IX, 12) » (p. 171-187) analyse deux lois : CTh IX, 12, 1, datée de 319 et adressée au Préfet de la Ville Bassus et CTh IX, 12, 2, de date plus incertaine (326 ? 329 ?) et adressée à Macrobius ; ces deux lois sont rassemblées dans un court titre : le De emendatione servorum. Après avoir rappelé les évolutions législatives qui limitent la cruauté des maîtres envers les esclaves, l’auteur propose une séduisante logique de construction du livre IX (voir tableau p. 185-187), qui donne une clé de lecture de l’ensemble : il reproduirait en fait le déroulement d’un procès avec l’introduction de l’instance, la liste des crimes, les aspects procéduraux, les sentences, enfin l’asile.
Dans « Ritus et cultus ou superstitio ? Comment les lois du Code Théodosien (IX et XVI) de Constantin à Théodose parlent des pratiques religieuses traditionnelles » (p. 191‑208), Nicole Belayche dresse le tableau assez classique d’un paysage religieux païen marqué par les permanences, avant les lois d’interdiction des décennies 380-390. Laurent Guichard s’intéresse à « L’élaboration du statut juridique des clercs et des églises d’après les lois constantiniennes du Code Théodosien XVI, 2 » (p. 209-223) et conclut que l’on « passe ainsi graduellement de lois sur le christianisme sous-tendues par les conceptions païennes, ou s’installant dans leur continuité, (XVI, 2, 2) à des lois visiblement et pleinement chrétiennes ». Karl-Leo Noethlichs essaie de saisir une « Éthique chrétienne dans la législation de Constantin le Grand ? », notion dont il propose une définition aux pages 226-227.
Dernier thème abordé : la société, à travers les acteurs et les femmes. Emmanuel Soler étudie « La législation impériale De scaenicis dans le Code Théodosien (XV, 7) » (p. 241-258) et souligne les intérêts contradictoires de l’État et de l’Église vis-à-vis des gens de spectacle et notamment les actrices. Les femmes sont également au coeur de l’article programmatique de Patrick Laurence (p. 259-269).
Cet ouvrage, première étape d’une entreprise de longue haleine et dont les participants sont conscients des difficultés, fournit ainsi diverses pistes de réflexion sur le Code Théodosien.
Hélène Ménard