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Le 1er septembre dernier, alors qu’il se trouvait dans sa chère île de Thasos, Olivier Picard a été brutalement ravi à l’affection des siens. Tous ceux qui l’ont connu et qui ont eu l’occasion de travailler avec lui prennent la mesure du manque que tous ressentent.

Olivier Picard était né en 1940. Sa carrière universitaire fut particulièrement brillante. Normalien, agrégé, membre de l’École française d’Athènes, il soutint sa thèse d’État à 36 ans. Professeur à la Sorbonne en 1979, il dirigea ensuite l’École française d’Athènes de 1981 à 1992. Il sut transformer cet établissement, de si grande importance pour les liens scientifiques entre la France et la Grèce, en un lieu ouvert où chercheurs français et grecs, mais aussi de nombreux autres pays, purent à la fois poursuivre leurs propres travaux et mener à bien les plus fructueuses collaborations. Rentré en France, il occupa ensuite de hautes fonctions dans la recherche. Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres depuis 2009, il était président de l’Institut de France pour l’année 2023.

Olivier Picard était avant tout un numismate. Le titre de sa thèse publiée en 1979, Chalcis et la Confédération eubéenne, Étude de numismatique et d’histoire, montre assez que les monnaies constituaient le matériau fondamental de sa recherche. Cet ouvrage, qui couvre la période allant du IVe au Ier siècle avant notre ère, prouve que c’est à Chalcis, et non à Érétrie, qu’était frappé le monnayage fédéral des Eubéens. Il montre en outre que, à Chalcis, les périodes de monnayage fédéral alternent avec celles du monnayage civique, mais ne se recoupent pratiquement pas. L’étude de la production monétaire chalcidienne a une grande importance pour l’histoire politique de Chalcis et de l’Eubée, mais aussi, avec l’étude systématique des trésors comportant des monnaies de la cité, pour l’histoire économique de la région. Ce double intérêt pour l’histoire politique et pour l’histoire économique se retrouvera par la suite dans tous ses travaux.

Tout en travaillant de manière systématique sur les monnaies de Thasos, auxquelles il a consacré de nombreux articles, Olivier Picard s’est intéressé à des horizons plus lointains. Il a ainsi publié en 2007 avec Jean-Noël Barrandon un ouvrage sur les monnaies de bronze de Marseille. Mais c’est avec son programme de recherche sur les monnaies de l’Égypte ptolémaïque et romaine que se sont révélées de nouveau ses qualités de savant mais aussi ses talents d’organisateur. S’appuyant sur une petite équipe d’élèves et de collègues, numismates et papyrologues travaillant de concert, il est à l’origine de la publication de deux volumes qui ont marqué de manière décisive la recherche sur l’histoire financière de l’Égypte dans ces périodes : L’exception égyptienne ? Production et échanges monétaires en Égypte hellénistique et romaine en 2005, et Les monnaies des fouilles du Centre d’Études Alexandrines. Les monnayages de bronze à Alexandrie de conquête d’Alexandre à l’Égypte moderne en 2012. Avec Fabienne Burkhalter, il a ainsi établi que l’inflation des prix du début du IIe siècle a.C. ne correspondait pas à une phase de surabondance de la petite monnaie de bronze mais était avant tout un phénomène comptable. Il a aussi joué un rôle majeur dans le nouveau classement des monnaies de bronze d’époque ptolémaïque. La coédition du volume Nomisma, La circulation monétaire dans le monde grec antique en 2011 a souligné son intérêt maintenu pour les trésors et pour l’usage de la monnaie sous toutes ses formes.

Remarquable chercheur, Olivier Picard ne dédaignait par les travaux de synthèse, si utiles aux étudiants, en particulier à ceux qui préparent les concours de recrutement de l’enseignement secondaire français. Avec Les Grecs devant la menace perse en 1995, Guerre et Économie dans l’alliance athénienne (490-322 av. J.-C.) en 2000, et Royaumes et cités hellénistiques de 323 à 55 av. J.-C. en 2003, il a marqué des générations d’étudiants en histoire ancienne, en leur communiquant de manière accessible un savoir fondé sur les travaux de la recherche la plus récente.

Car fondamentalement Olivier Picard n’était pas un chercheur retiré dans sa tour d’ivoire. Il avait le souci des autres, comme en témoignent son rôle à la tête des grandes institutions qu’il a dirigées, mais aussi comme on ne manquait pas de s’en rendre compte lorsqu’on le rencontrait. Il connaissait sur le bout du doigt, à un degré qui pouvait surprendre, les travaux de ses interlocuteurs, pouvait donc en discuter de manière approfondie et savait prodiguer les conseils les plus judicieux. En outre, il ne manquait pas de prendre des nouvelles des conjoints et familles de ses élèves et de ses collègues. Son rayonnement tranquille s’accompagnait souvent de traits d’humour qui montraient aussi qu’il savait juger des choses et des hommes.

Ses encouragements à toujours persévérer vers le meilleur vont nous manquer, mais son exemple continuera à inspirer plusieurs générations d’étudiants et de chercheurs.

 

Alain Bresson

Professeur émérite – Université de Chicago