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La dernière œuvre de Gunther Hölbl, publiée à Rome en 2021, complète sa série d’études sur les objets égyptiens et les aegyptiaca de la région méditerranéenne à l’âge du fer. Suite à ses publications sur la péninsule des Apennins, la Sardaigne phénico-punique et les îles de Malte, le présent volume traite des objets d’origine égyptienne ou égyptisante trouvés dans la Sicile grecque.

La préface de l’ouvrage a été rédigée par Paola Pelagatti, professeure d’archéologie à l’Université de la Tuscia (Viterbe). Elle souligne le rôle du professeur G. Hölbl et son expertise concernant les aegyptiaca en Méditerranée. Considérant le grand nombre d’objets présents dans l’île, la Sicile était donc le prochain territoire à étudier. Certains objets égyptiens associés au comptoir de Naucratis, le principal centre d’échanges entre l’Égypte et la Méditerranée grecque, ont été découverts sur l’île ; d’autres objets grecs et phéniciens, avec des motifs d’inspiration égyptienne, sont également présents. Beaucoup de ces objets sont issus d’un contexte sacré : l’objet importé le plus ancien trouvé en Sicile serait ainsi un vase avec des hiéroglyphes au nom de Ramsès II (de la XIXe dynastie, c’est-à-dire le XIIIe siècle avant J.-C.). En outre, un nombre important de scarabées furent trouvés dans un contexte funéraire. La plupart de ces objets d’inspiration égyptienne ont été jusqu’à présent ignorés dans la recherche. Pourtant, P. Pelagatti souligne que les aegyptiaca trouvés dans les sanctuaires et les nécropoles peuvent indiquer la classe sociale des défunts, favorisant ainsi des études anthropologiques et culturelles. Le professeur G. Hölbl s’est basé sur l’inventaire fait par l’archéologue sicilien Paolo Orsi des objets du Musée archéologique régional de Syracuse. En plus de leur étude, la documentation photographique faite sur ces objets est aussi remarquable. Ce travail améliore donc notre connaissance de la Sicile, ainsi que de ses relations avec la Méditerranée, dans le contexte de ce qu’on appelle la « Grécité d’Occident ».

L’ouvrage se divise en deux parties : la première (sous-divisée en trois chapitres) traite des aegyptiaca en Italie méridionale et en Sicile jusqu’à la fin de la période archaïque ; la seconde constitue le catalogue des objets.

La première partie débute avec un chapitre sur l’étude des aegyptiaca dans le monde méditerranéen. L’auteur rappelle que l’intérêt pour les relations et les échanges qui se sont produits entre le monde égyptien, le Proche-Orient et l’Égée a commencé très tôt dans la recherche. Cet intérêt s’est longtemps restreint à la période de l’âge du bronze, puis au 1er millénaire avant J.-C. Le pionnier dans cet axe est Jean Vercoutter et son ouvrage sur les trouvailles à Carthage ; ensuite, d’autres publications classées selon la géographie des objets ont vu le jour. Récemment, l’étude en plusieurs volumes de Christian Herrmann sur les amulettes de la région de Palestine et d’Israël prend le relais. Suivant l’intention de la série d’études Monumenti Antichi, ce travail présente le matériel archéologique de la Sicile et d’autres comparaisons similaires méditerranéennes. La méthodologie consistait en l’étude minutieuse de la forme des objets, leur matériau, les inscriptions hiéroglyphiques et les représentations figuratives sur les scarabées, ainsi que l’interprétation de ces objets égyptiens dans un nouveau contexte local (sicilien). Ces aegyptiaca témoignent particulièrement de la diffusion de la magie populaire égyptienne dans la Méditerranée. Nous devons comprendre que chaque objet avait un sens historique supplémentaire, c’est-à-dire en relation avec son contexte archéologique ; il devient ainsi un élément essentiel de la culture locale.

Ensuite, un chapitre est consacré à « la diffusion des valeurs culturelles égyptiennes en Italie méridionale durant le 1er siècle du 1er millénaire avant J.-C. : un processus historique ». Les contacts entre l’Égypte et le Levant se sont maintenus après l’effondrement (culturel, économique et politique) qui s’est produit vers l’an 1200 avant J.-C., dû aux « Peuples de la Mer ». L’exportation d’objets égyptiens confirme cette idée. En Italie méridionale, on a retrouvé les premiers témoignages de la civilisation égyptienne sur le site protohistorique de Torre Galli (Xe-IXe siècles avant J.-C.) : un scarabée en stéatite trouvé dans la tombe d’une femme et qui appartient à la « production en série post-ramesside » en témoigne. D’autres scarabées en bleu égyptien, communs à la zone du Levant et de l’Égée, ont aussi été trouvés dans des tombes en Étrurie et en Campanie au VIIIe siècle avant J.-C. : à Tarquinia, Cerveteri et Véies, ainsi qu’à Capoue.

Il faut aussi souligner les scarabées (environ 100) trouvés dans des tombes d’enfants de Pithécuse et qui sont datés de la période libyque en Égypte : ces scarabées auraient été transmis aux Grecs par les Phéniciens. Ils sont ensuite arrivés en Sicile et utilisés par la population locale indigène, puis emportés dans les tombes. L’auteur remarque que beaucoup de ces scarabées en faïence siliceuse sont des imitations qui ont été produites en dehors de l’Égypte ; il est arrivé à ces conclusions à partir de l’étude de leurs inscriptions et des représentations sur leurs revers. En effet, la diffusion de ce type de scarabée était courant dans le monde grec : l’Égée, la Grande-Grèce et enfin la Sicile grecque. En outre, l’auteur attire l’attention sur le manque de scarabées en Campanie ; en revanche, la présence d’amulettes de divinités égyptiennes (Sekhmet, Nefertoum, Bès, Ptah-Pathèque…) est remarquable au VIIIe siècle avant J.-C. Ce rassemblement est d’autant plus intéressant qu’à cette période on ne trouvait pas ces amulettes en Sicile. Enfin, d’autres objets (des sceaux, des vases et des statuettes comme le « flûtiste ») ont aussi été trouvés dans les temples, notamment le Persephoneion.

Le troisième chapitre se fonde sur « les aegyptiaca de la Sicile grecque à la période archaïque : répartition et groupes de trouvailles ». Cette partie est divisée entre les sites archéologiques et les objets de type égyptien. On peut remarquer que les objets égyptiens sont d’abord arrivés en Campanie et en Étrurie, puis en Sicile. En outre, une carte de la Sicile montre que la plupart des objets se concentrent dans le sud-est de l’île, notamment à Syracuse, Megara Hyblæa et Villasmundo. Quant aux objets, ils ont été classés selon leur typologie : des objets égyptiens particuliers (par exemple, les fragments du vase en granodiorite avec l’inscription de Ramsès II, trouvé dans le temple d’Athèna à Ortigia, Syracuse) ; des vases en faïence (notamment un groupe de vases à forme humaine agenouillée) ; des figurines de divinités, des coquillages et d’autres objets magiques en faïences ; enfin, des scarabées et scaraboïdes.

La deuxième partie de l’ouvrage correspond au catalogue. Les objets ont été classés selon leur site de découverte. Chaque notice comprend l’objet, les données techniques (lieu de conservation, numéro d’inventaire, mesures et matériau), une description faite par l’auteur, le site archéologique, l’origine (c’est-à-dire si l’objet provient d’Égypte) et la datation, suivi d’une bibliographie et parfois d’un dessin. Dans certains cas, des commentaires ont été faits sur les inscriptions, la classification, d’autres parallèles et des références, voire des hypothèses sur leur commerce… En total 196 objets ont été étudiés.

L’ouvrage conclut par 2 annexes : un tableau synthétisant les objets du catalogue, et un article dédié aux oushabti de Lipari et à la statue de Petamenophis de Syracuse. Ces derniers sont des objets qui ne correspondent pas à d’autres aegyptiaca trouvés en Méditerranée au 1er millénaire avant J.-C., mais qui ont pu arriver en Sicile à la période archaïque.

En conclusion, dans cet ouvrage le Professeur G. Hölbl présente un bref éventail des valeurs culturelles égyptiennes en Italie méridionale à l’âge du fer. L’auteur a pu examiner et photographier la plupart de ces objets, dont une quantité importante était encore inédite. Selon ses propres mots, ce projet d’étude sur les aegyptiaca de l’Italie méridionale et de la Sicile était un desideratum urgent. Des pièces particulièrement intéressantes sont prises en considération : un vase de Ramsès, une situle en bronze ou encore un faucon en bleu égyptien. Toutefois, le groupe le plus important est composé de scarabées provenant des tombes de la nécropole de Villasmundo, près de Syracuse. La classification des objets par site archéologique permet de remarquer que la plupart se trouvent en Sicile sud-orientale et méridionale. Cela correspond en effet aux colonies grecques, celles phéniciennes et puniques n’étant pas comprises dans cette étude. Il faut ainsi considérer le territoire de la Sicile comme un « melting-pot » de plusieurs cultures antiques (phénico-punique et grecque) dans lesquelles l’influence égyptienne est remarquable, comme le prouvent les objets ici présentés. Un grand nombre d’objets égyptiens et égyptisants attendent encore leur étude, notamment dans la région de l’Égée et de l’Occident méditerranéen.

 

Carmen Muñoz Pérez, Universidad de Cádiz.

Publié en ligne le 8 juillet 2024.