Dans ce court essai, l’a. examine quelques uns des aspects des épigrammes funéraires, essentiellement attiques, inscrites entre le VIe et le IVe s. av. J.-C. L’ouvrage, comme l’a. l’annonce dès l’introduction, s’appuie sur de nombreux travaux antérieurs, dont sont proposées tout à la fois une synthèse et une lecture critique.
Deux chapitres introductifs résument ce que l’on sait des pratiques funéraires à Athènes et de l’ornement de la sépulture d’une part, de l’origine de la forme poétique de l’épigramme d’autre part. L’a. insiste particulièrement sur les liens de l’épigramme avec les pratiques aristocratiques de l’époque archaïque et les exemples développés au chapitre suivant – les monuments funéraires de Phrasikléia et de Kroisos (ca 540 av. J.-C.) – illustrent cet aspect. Dans le cas de Phrasikléia, le poème funéraire établit un lien explicite entre la mort et le mariage : la jeune fille défunte reçoit des dieux le nom de korè au lieu d’un mariage (ἀντὶ γάμο) et, pour l’a., la parure de la statue est celle de la défunte le jour de ses noces. L’épigramme fait donc du mariage un moment décisif de la vie d’une jeune femme appartenant à une famille aristocratique, tout en renvoyant subtilement à la culture de ce groupe social par une allusion à l’hymne homérique à Aphrodite. C’est à Homère également et à Tyrtée que renvoie l’expression θρος Ἄρης (« Arès furieux ») qui clôt l’épigramme du monument funéraire de Kroisos commémorant son trépas en première ligne. Procédé littéraire nouveau au VIe s. av. J.-C., le poème invite le passant à s’arrêter, à pleurer le défunt et, implicitement, à admirer le kouros qui le représente en gloire. D’une façon convaincante, l’a. rapproche l’épigramme pour Kroisos de celle pour Tétichos, qui est explicitement qualifié d’ἀνὴρ ἀγαθός, ce que l’a. choisit de traduire par « noble ». L’adjectif est un signe de reconnaissance du groupe aristocratique, qui se conçoit comme « bon ». Commentant brièvement une stèle archaïque conservée à New York, dans laquelle on a parfois reconnu la représentation d’un frère et d’une sœur, l’a. revient ensuite sur les quelques épigrammes archaïques qui évoquent les liens entre frères et sœurs. Ces monuments sont bien moins nombreux que ceux qui mettent en jeu la relation filiale.
Le chapitre suivant aborde le thème des hommages funéraires rendus aux jeunes trop tôt disparus, qui se développe essentiellement au IVe s. av. J.-C. L’analyse du monument funéraire de Pausimachè est l’occasion pour l’a. de réfuter efficacement l’hypothèse selon laquelle la représentation du miroir sur les stèles funéraires serait le symbole de la séparation de l’âme et du corps. Elle y voit plus simplement l’objet féminin par excellence, dont le mode de représentation pourrait indiquer si la femme représentée est ou non mariée : une femme qui, telle Pausimachè, se regarde directement dans le miroir serait morte avant son mariage. L’a. discute ensuite l’évocation de l’ἥβη, la jeunesse, dans les épigrammes funéraires pour des jeunes femmes : ce terme, réservé en Attique, aux VIe et Ve s., aux hommes morts au combat, s’applique aux femmes à partir du IVe s., ce qui manifesterait la reconnaissance de la contribution féminine à la force et la fertilité de la cité. L’a. analyse ensuite brièvement différentes modalités d’expression de la mort avant le mariage. On distinguera l’épigramme particulièrement longue et complexe pour Dionysios fils d’Alphinos, cousin de l’orateur Hypéride, qui, affirme le poème, « partage la chambre commune de la nécessité (ἀνάγκη), de Perséphone ». Cette expression, associée à d’autres évocations eschatologiques, font dire à l’a. que Dionysios était probablement initié à un culte à mystères. Cette hypothèse reçoit un plus long développement à la fin de l’ouvrage.
Dans ce qui est sans doute le chapitre le plus original du livre, l’a. analyse longuement la stèle funéraire de Biotè, que son amie (ἑταίρα) Euthylla a fait ériger, selon l’épigramme. Ce monument unique en son genre est l’occasion de revenir, notamment par une étude de la signification du terme φιλότης, sur les relations d’amitié, d’affection et d’amour entre femmes dans l’Antiquité. Procédant à un examen critique de l’historiographie sur ce point, l’a. réfute efficacement l’opinion selon laquelle Biotè et Euthylla seraient des courtisanes et plaide pour une analyse fine des textes antiques, affranchie des catégories modernes qui ont tendance à informer a priori notre regard. Les relations entre éraste et éromène sont ensuite abordées à travers l’analyse de la stèle de Mnasitheus d’Akraiphia, érigée par Pyrrhichos. Ici, l’iconographie – un jeune homme nu tenant un coq et une fleur de lotus – ne laisse pas de doute sur le fait que la φιλημοσύνη évoquée par l’épigramme impliquait également des relations érotiques.
Les relations maritales, et plus précisément les qualités attendues d’une épouse, sont ensuite évoquées. L’épigramme exceptionnelle pour Mélitè, qui fait explicitement mention de l’amour réciproque entre époux, mais où l’on peut lire également une allusion aux qualités de la bonne épouse, l’« épouse-abeille » de Simonide, ouvre le chapitre. Comme le prouvent de nombreuses épigrammes, ces qualités peuvent assurer le renom éternel des épouses. Tous ne semblent donc pas avoir partagé le sentiment de Périclès qui, à en croire l’Oraison funèbre, n’appréciait rien tant chez les femmes mariées que leur discrétion. On distingue particulièrement parmi ces qualités l’εὐσέβεια, qui désigne la piété autant envers ses parents qu’envers les dieux.
Si l’on met à part les monuments pour les morts au combat, les causes du décès sont très rarement évoquées dans les épigrammes des époques archaïques et classiques. La mort en couches et le décès en mer constituent deux exceptions notables, que l’a. examine dans le chapitre suivant, rapprochant, parfois peut-être d’une façon un peu artificielle, ces deux événements dramatiques. Les épigrammes pour les femmes mortes en couches sont à vrai dire très rares avant l’époque hellénistique, mais on retiendra celle de Kléagora, qui dépeint le contraste pathétique entre l’enfant qui s’éveille à la lumière et la mère qui s’éteint. La conjonction entre l’instant de la vie et celui de la mort et l’association de la vie à la lumière sont des images reprises dans d’autres épigrammes. La mort en mer est au contraire un thème très ancien dans les épigrammes funéraires. Dès le VIIe s. av. J.-C., une épigramme corinthienne accuse le πόντος ἀναιδές (« mer insatiable ») de la mort de Deinias. L’impossibilité de donner au défunt une sépulture est un drame dont les familles se remettent mal et qui est souvent évoqué : Xénokléia, au IVe s. av. J.-C., se languit tant de son fils mort en mer, auquel elle n’a pu donner une tombe, qu’elle en meurt. Ces épigrammes qui évoquent les causes du décès se colorent souvent d’une tonalité épique.
Dans la dernière partie de l’ouvrage, l’a. aborde le sujet épineux du devenir de l’âme (ψυχή) après la mort et des croyances eschatologiques que l’on trouve exprimées dans les épigrammes. Une grande partie du chapitre est consacrée à l’analyse de l’expression « chambre de Perséphone », qui apparaît au IVe s. av. J.-C. dans les épigrammes. Selon l’a., contrairement à des allusions plus commune à Hadès, cette expression et les allusions à une mort heureuse ou à une mort commune à tous pourraient constituer une transposition dans les épigrammes funéraires des formules religieuses liées aux cultes à mystères, telles qu’on les trouve notamment sur les lamelles d’or inscrites que l’on plaçait parfois sur le corps des défunts. L’a. tisse par ailleurs un lien entre l’idée d’une récompense possible de l’âme après la mort à la mention de l’εὐσέβεια dans plusieurs épigrammes pour des femmes : on aurait donc là une preuve de la croyance selon laquelle la piété manifestée de son vivant peut recevoir une rétribution après le trépas. L’a. conduit ainsi très prudemment une brève analyse de l’évolution des conceptions du devenir de l’âme que l’on observe au cours du second classicisme.
Parce qu’il propose une synthèse claire d’une très abondante bibliographie et qu’il aborde avec beaucoup d’acuité les thèmes les plus importants du genre, cet ouvrage constitue une très bonne introduction à l’étude des épigrammes funéraires archaïques et classiques. On peut certes être plus ou moins convaincu par les arguments philologiques, historiques ou iconographiques que l’a. développe chemin faisant, mais elle prend toujours soin de présenter les opinions contradictoires des chercheurs sur les sujets les plus épineux et de présenter la sienne avec beaucoup de nuances. Le lecteur est ainsi constamment invité à poursuivre son exploration de ces monuments poétiques, qui méritent bien plus que le regard fugace d’un passant pressé.
Guillaume Biard, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, Aix-en-Provence
Publié en ligne le 15 juillet 2021