Ce recueil d’articles, consacrés aux sources épigraphiques de l’espace alpin romain, est en rapport étroit avec la mise en ligne d’un site internet relatif aux Alpes dans l’Antiquité (http://alpiantiche.unitn.it), développé par l’Université de Trente sous la responsabilité d’E. Migliaro, co-éditrice de l’ouvrage. Le projet fut associé à la réunion d’un colloque international consacré à l’épigraphie de l’espace alpin romain, tenu en novembre 2005 à Trente. Réunissant des spécialistes venus des divers « pays alpins » (France, Italie, Suisse, Autriche, Slovénie), son ambition affichée (cf. l’avant‑propos d’A. Baroni, p. 9) était de fournir un nouveau et important jalon de la recherche sur les Alpes antiques, après les colloques réunis par le passé à Bourg-en-Bresse (1969, sur les cols alpins), Gargnano del Garda (1974, sur la communauté alpine dans l’Antiquité), Saint‑Vincent (1987, sur le Val d’Aoste et l’arc alpin dans le contexte politique antique) et Aoste (1999, sur les Anciens et la montagne). L’accent mis sur les sources épigraphiques est remarquable et traduit leur apport fondamental à la connaissance du monde alpin, puisqu’elles enrichissent un corpus littéraire fort limité. Au même titre que l’archéologie, elles offrent une finesse d’approche permettant de poser des questions dépassant les généralités et les poncifs sur l’« isolement », la « marginalité » ou le « retard » des espaces montagnards alpins. Car réfléchir à l’histoire des Alpes dans l’Antiquité, c’est assurément développer une réflexion sur le déterminisme géographique, sur les notions de centre et de périphérie, de plein et de vide, tout en explorant les apports, les limites et les pièges de ces approches. C’est s’interroger sur le rôle structurant des vallées, des cols et des ressources naturelles, des routes et des centres urbains, en essayant d’intégrer une approche fine relevant de l’histoire locale, à une analyse plus large tenant compte des données de l’histoire générale. Une nécessité d’autant plus forte que la période romaine constitue un moment unique de réunion de l’ensemble alpin sous un même pouvoir. C’est donc, in fine, poser la question de ses particularismes et de sa participation à l’édifice impérial, de sa « romanisation », des moyens et des visages de son intégration au monde romain. De fait, et bien qu’à des titres divers, les quinze contributions réunies, ainsi que les propos introductifs et conclusifs, prêtent largement attention à ces questions ou fournissent d’utiles éléments d’appréciation. Le travail de P. Arnaud et Fr. Gayet, par exemple (p. 13-61), se distingue par sa densité et par son souci d’articuler histoire locale et histoire globale. Sans négliger le rôle du relief et les particularismes locaux, l’étude met l’accent sur l’ouverture du versant occidental des Alpes occidentales romaines, sur la force et la précocité de son intégration. À une échelle plus réduite, S. Giorcelli Bersani (p. 145-168) tente une approche historique de la vallée d’Aoste (considérée comme une « area di strada ») soucieuse d’évaluer toute l’importance des voies de communication en termes économique et social. A. Sartori (p. 183-209) réfléchit quant à lui au concept d’« épigraphie de montagne », et l’un des mérites du volume, qui constituait aussi l’un des objectifs du colloque, est de fournir un état d’avancement des corpus épigraphiques relatifs à l’espace alpin, qu’il s’agisse de parutions nouvelles ou annoncées. Il faut souligner, de ce point de vue, l’importance des publications effectuées en France depuis une dizaine d’années, dans le cadre des Inscriptions Latines des Alpes (ILAlpes) et des Inscriptions Latines de Narbonnaise (ILN), grâce au travail notamment de B. Rémy et de ses collaborateurs. La matière réunie lors de ces travaux a parfois été directement mise à contribution (Fr. Bertrandy, p. 129-139, à propos des inscriptions du département de l’Ain, région périphérique du Nord-Ouest des Alpes), illustrant ainsi tout le profit qui peut être tiré de ces vastes entreprises. La réflexion méthodologique n’est pas absente, qu’il s’agisse du travail quotidien de l’épigraphiste (B. Rémy, p. 121, livrant ses réflexions, éprouvées par la pratique, sur l’édition des textes), ou de la validité de la méthode d’analyse régressive (M. Tarpin, p. 99-114, à propos de la « double capitale » des Voconces). Dans d’autres cas, où l’édition des corpus n’est pas encore achevée mais demeure en cours d’élaboration, le volume offre l’occasion de réunir des documents remarquables ou récemment mis au jour (ainsi G. Menella, p. 75‑98, pour le versant italien des Alpes Maritimes et Cottiennes ; A. Valvo, p. 231-261, pour le territoire alpin de Brescia ; E. Weber, p. 281-292, pour le Norique, ou encore Cl. Zaccaria, p. 315-350, pour les Alpes orientales), voire de produire une analyse d’ensemble sur un espace plus ou moins vaste (Fr. Wiblé, p. 169-182, pour la Vallis Poenina ; F. Mainardis, p. 293-314, pour la cité de Iulium Carnicum). Mais le volume ne comporte qu’un seul inédit (M. Lovenjak, p. 351-363) : une courte inscription dédiée à la déesse Sauercna. Enfin, un souci louable est apporté à la production des inscriptions et de leur support, aux ateliers et aux sources d’approvisionnement lapidaire (A. Buonopane, p. 263-279, à propos de Tridentum et de son territoire). Au total, les réflexions présentent inévitablement plus ou moins de force et de portée, mais le volume apporte une contribution bienvenue à l’approche historique des Alpes antiques. Compte tenu du lien existant entre le colloque de Trente et le développement d’un site internet sur les Alpes antiques, on pourrait désormais formuler le voeu que s’étoffe l’espace consacré à l’épigraphie par ce même site, en proposant davantage de textes et de critères d’interrogation. Quoi qu’il en soit, les dernières conclusions tirées par E. Migliario (p. 365-370) retiennent l’attention et semblent convaincantes : marquées par une certaine unité physique et historique, les Alpes antiques offrent dans le même temps un visage complexe, fait de modes, de parcours et de degrés d’échanges et d’intégration d’une grande diversité. Un tel constat paraît proche de ceux que l’on peut faire pour d’autres régions de l’empire. N’est‑ce pas, en somme, une indication forte de la pleine participation de l’espace alpin à la vie du monde romain, et des limites des présupposés déterministes dont il fait encore souvent l’objet ?
Patrice Faure