Trajan (53 ?-117) est, sans doute, l’empereur qui a suscité le plus de louanges. Certains, comme ceux de son familier Pline le Jeune, ne sont peut-être pas d’une absolue sincérité et relèvent souvent de la rhétorique des Panégyriques. Mais, historiens anciens et modernes s’accordent à dire que ce fut l’un des plus grands empereurs que Rome ait connu. Reste, comme le souligne dans son introduction, claire et précise, Christophe Burgeon, que les maigres sources relatives à son sujet, rendent difficile de « dépeindre la personnalité de Trajan, définir son projet politique et analyser le déroulement de ses campagnes militaires » (p.11).
En effet les historiens antiques qui le louent sont souvent aveuglés par leur haine de Domitien, comme Dion Chrysostome qui fut exilé par lui ou peu précis, comme Dion Cassius, qui écrit un siècle après la mort de l’empereur. Mais il est vrai que nous lisons l’historien qu’à travers l’abrégé de Xiphilin ! Trajan lui-même a écrit des Commentaires : deux livres qui rapportent la guerre en Dacie. Mais ils sont perdus. On comprend alors, devant la pauvreté des témoignages antiques, l’absence de biographies modernes. D’où l’intérêt, mais aussi la difficulté, de la tache que s’est- courageusement-fixée CB.
Disons, dès l’abord, que le pari a été réussi : le lecteur dispose enfin d’une biographie nette, précise, documentée de l’empereur. Mais, avant de la commenter, penchons-nous d’abord – pour le plaisir du lecteur- sur ce qu’en dit l’historien Aurelius Victor, au chapitre XIII de ses Vie et caractère des empereurs romains : « Ce prince se montra pour la république tel que le génie sublime des plus illustres écrivains put à peine, et bien difficilement l’exprimer. Élu empereur à Cologne, célèbre colonie de la Gaule, il fit preuve d’habileté dans l’art militaire, de douceur dans les affaires politiques, de munificence dans l’allégement des charges des cités. Il est deux choses que l’on attend des princes modèles, la vertu dans la paix, la bravoure dans la guerre, et, des deux côtés, la prudence; Trajan possédait si bien la juste mesure des plus belles qualités, qu’il semblait, en les tempérant l’une par l’autre, en avoir fait le plus heureux mélange; seulement il aimait un peu trop la table et le vin. Libéral envers ses amis, il jouissait de leur société, comme s’ils eussent été ses égaux. (…) Il semble superflu de vouloir énumérer en détail chacune des vertus de Trajan : disons, en un mot, qu’il les cultiva, les perfectionna toutes. Car il fut infatigable au travail, protecteur zélé des meilleurs citoyens et des gens de guerre : il aimait principalement le génie dans toute sa simplicité, ou l’érudition dans sa plus vaste étendue (…) Passionné pour la justice, il introduisit, dans le droit divin et humain, plus d’une disposition nouvelle, sans cesser d’être le fidèle gardien de l’ancienne législation. » (Traduction de M. Festy, CUF, 1999).
Retour à la Biographie, qui se déroule en trois parties.
Première partie : »Trajan avant Trajan », quatre chapitres qui font le point sur la carrière du futur empereur.
La formation et les origines familiales (1) : l’éducation de Trajan a sans doute été traditionnelle, Pline nous le montre aussi familier du grec que du latin, ce qui est normal pour un jeune aristocrate. Est-il parti en Grèce, comme beaucoup, pour parfaire son éducation ? Rien ne l’indique. En tout cas, l’empereur et son épouse Plotine firent beaucoup pour les lettres. Ensuite, la carrière de son père, Trajanus, né vers 28-30 (2), puis, sa propre carrière jusqu’en 89 (3), carrière classique, : préteur en 59-60, service en Judée en 67, lors de la Guerre Juive, consul en 70, questeur en 81-82 (?), préteur en 86-87, consul en 91, sans doute gouverneur de la Haute-Germanie en 95-97. Une notable exception : Trajan fut l’un des rares patriciens à avoir accédé au commandement d’une légion, la Legio VII Gemina, entre 86 et 89. Dernier chapitre (4) les règnes de Domitien et de Nerva qui adopte le futur empereur en 97, homme dont on peine pourtant à connaître la véritable personnalité, même si l’on connaît ses qualités : générosité, simplicité, bonté, fidélité à la parole donnée.
Deuxième partie : « L’Administrateur ». Sept chapitres qui, après le récit de l’accession au pouvoir en 98 (5) et la description des rouages de l’Empire (6), montrent comment l’idéologie politico-morale et religieuse de Trajan (9) a déterminé son administration (7) et, surtout, sa politique sociale, avec l’instauration de l’alimenta en 101 (8) et sa politique juridique (11). Reste la difficile question des finances (le poids de l’aureus est réduit en 99, la monnaie est dévaluée en 107) traitée au chapitre 10. Trajan et son épouse Plotine cohabitent harmonieusement avec Marciana, la sœur de l’empereur Sa nièce Vibia Sabina épouse Hadrien en 100.
Un seul reproche à CB : il aurait fallu, sans doute, insister davantage sur le problème des chrétiens de Bithynie, sur lesquels Pline le Jeune, gouverneur de la province, attire l’attention de l’empereur. Pour la première fois, en effet, va se poser, en termes juridiques, la question chrétienne. Que faut-il faire des chrétiens qui refusent de sacrifier à l’empereur ? Dont la réponse pleine de bon sens et de modération, montre bien comment l’intelligence politique menée jusqu’à bout aurait peut-être permis d’éviter la christianisation de l’Empire. Aurait-ce été un bien ? Cela, c’est une autre histoire !
Troisième partie : « Le chef de guerre »
Trajan par ses qualités physiques (grande taille, corps athlétique et ses manières militaires a toutes les qualités d’un chef de guerre. On est là dans un domaine plus connu : guerres daciques, la première en 101-102, la seconde en 105-106 (12), conquête de l’Arabie qui devient province romaine en 107 (13), guerre parthique, en 114-117, qui culmine en 116 avec la prise Ctésiphon (14). Mais, bien que le modèle militaire de l’Empereur ait été Alexandre le Grand, tout comme César et Marc-Antoine plus d’un siècle auparavant, Trajan refusa de marcher sur les traces de celui-ci, se jugeant trop vieux pour cela.
Presque en même temps que la guerre contre les Parthes survint, à la fin de l’année 116 une révolte juive (p.206-207), prémices de celle que devra plus tard affronter Hadrien. Mais là, il faut bien avouer que, devant le peu de détails que donne CB, le lecteur reste un peu sur sa faim Il semble bien d’ailleurs, si l’on en juge par l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe (IV, 2), que la révolte ait commencé dès 115 et qu’il ait fallu envoyer des légions pour la soumettre. On s’étonne que CB ne mentionne nulle part Lucius Quietus, prince maure qui s’était distingué en Dacie, consul en 115, puis gouverneur de Palestine et qui étouffa la révolte avec une telle cruauté que « la guerre de Quietus » est restée célèbre dans la tradition rabbinique.
A sa mort Trajan laissera à son successeur Hadrien un Empire au sommet de sa puissance (15).
Chronologie, bibliographie, Index complètent cet ouvrage dont les qualités font qu’on le recommandera chaudement au lecteur.
Claude Aziza, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III
Publié en ligne le 11 juillet 2019