L’École française de Rome a lancé en 2014 une collection intitulée Classiques École française de Rome. L’objectif est de rendre disponible au public des livres publiés par l’Efr qui sont devenus des incontournables mais qu’on ne trouve plus en librairie. La volonté de l’éditeur est de publier des ouvrages en format semi-poche à prix modiques (20-25 euros), en suivant un modèle économique qui fonctionne très bien en Italie. Pour ce qui concerne l’Antiquité, l’Efr a notamment réédité l’ouvrage d’André Tchernia (Vin de l’Italie romaine, Essai d’histoire économique d’après les amphores) ou encore celui de John Scheid (Romulus et ses frères, Le collège des frères arvales, modèle du culte public dans la Rome des empereurs).
C’est dans ce contexte que l’Efr a eu l’excellente idée de rééditer en 3 volumes réunis dans un coffret, trois ouvrages majeurs de Dominique Briquel réunis sous le titre général « L’origine des étrusques ». Toutefois, le sujet n’est pas relatif aux débats contemporains sur la question de l’origine des anciens toscans mais, comme l’indique la seconde partie du titre du coffret (« un débat antique »), « aux modalités selon lesquelles la problématique avait été conçue dans l’Antiquité ».
L’intérêt de ce coffret est de réunir des ouvrages qui traitent, du point de vue des Anciens, des trois grandes hypothèses qui prévalaient sur la question de l’origine des Étrusques. Hellanicos de Lesbos pensait qu’ils étaient des Pélasges venant de Thessalie, Hérodote certifiait qu’ils étaient des Orientaux, des Lydiens et Denys d’Halicarnasse, après avoir longuement discuté les deux précédentes hypothèses, les pensait autochtones. Chacune de ces thèses est étudiée avec beaucoup de minutie dans un volume de ce coffret. Ces thèses ont été reprises et analysées un nombre incalculable de fois jusqu’à nos jours pour tenter d’en évaluer la consistance historique et de percer le fameux mystère étrusque. Il n’était pas question pour l’auteur de clore le débat sur l’origine des Étrusques dont Massimo Pallottino a montré l’inanité dans L’origine degli Etruschi, un petit ouvrage essentiel qu’il publia à Rome en 1947. Il s’agissait pour Dominique Briquel de comprendre comment les Anciens imaginaient l’origine des Étrusques, et quelle place ils leur assignaient dans « les généalogies des peuples ». Il le résume en quelques mots en disant que son sujet est d’étudier des idéologies. Ainsi, on n’apprend pas de choses essentielles sur les Étrusques et leurs origines supposées dans les trois volumes de ce coffret, mais beaucoup sur la manière dont on les percevait dans l’Antiquité. Dominique Briquel démonte avec beaucoup de finesse les préoccupations idéologiques qui sont derrière ces hypothèses. C’est en cela que ces trois études sont fondamentales, car ce sont ces travaux d’érudition antique qui ont donné naissance à la question des origines et qui ont créé puis alimenté le fameux mystère étrusque.
Ces ouvrages représentent une somme (1459 pages) d’une grande érudition qui n’a absolument pas perdu de sa pertinence, même si la soutenance de la thèse de Dominique Briquel date d’il y a presque 40 ans. Ainsi, l’auteur n’a besoin que des deux dernières pages de sa préface pour se livrer à un mea culpa. Et encore, celui-ci ne concerne que des points qui ne sont pas fondamentaux (les fouilles archéologiques montrent que la présence étrusque à Pise est beaucoup plus ancienne qu’il ne l’avait imaginé par exemple). Il ne s’agit pas d’une nouvelle édition revue et corrigée, cela n’aurait pas eu beaucoup de sens. La volonté était de rendre ces ouvrages de nouveau disponibles pour le plus grand nombre et en particulier aux étudiants et au public cultivé. Dominique Briquel a toutefois introduit dans cette réédition une longue préface de 34 pages qui se trouve au début du premier tome. Il y présente sa démarche scientifique et il y fait une présentation et une mise au point très utiles des éléments scientifiques des débats sur les origines des Étrusques, de l’Antiquité à nos jours (avec une bibliographie de plus d’une soixantaine de titres).
Dominique Briquel n’a eu de cesse, durant sa carrière d’enseignant et de chercheur, de former des étudiants à la recherche et de rendre accessibles au public des sources qu’on penserait uniquement à la portée des spécialistes des littératures anciennes. En effet, ces ouvrages convoquent nombre d’auteurs que beaucoup de spécialistes ignorent même. Pourtant, le propos n’est jamais jargonnant et témoigne de la part de l’auteur de la volonté de transmettre au plus grand nombre les savoirs les plus pointus, pour œuvrer au développement de l’étruscologie française.
Laurent Hugot, Université de La Rochelle
Publié dans le fascicule 1 tome 122, 2020, p. 327-328