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Ce volume comprend les actes de deux colloques, l’un sur les basiliques et l’autre sur les agoras, tenus à Bordeaux pour le premier en 2007 (organisé par L. Cavalier), et à Istanbul pour le second en 2010 (organisateur R. Descat). Ces colloques se complètent assez bien, puisque les basiliques sont un des éléments constitutifs des forum/agora des cités romaines d’Asie.

Ce sont en effet ces basiliques d’Asie qui forment l’essentiel des contributions (Aphrodisias, Hiérapolis, Smyrne, Magnésie du Méandre, Xanthos) auxquelles vient se greffer un article sur l’agora de la colonie romaine de Philippe ; la description de ces monuments est encadrée par une introduction et une conclusion de P. Gros S’ y ajoute une contribution de P. D. Scotton concernant les normes vitruviennes dans l’ensemble des basiliques d’Orient et d’Occident dont on connaît les dimensions (p. 25-89). Il en ressort que les proportions de la basilique normale de Vitruve (un rapport largeur/longueur, pas moins de 1/3 et pas plus de 1/2) ne sont pas celles appliquées à Fano (5/8) et qu’une grande diversité règne en ce domaine (dans l’espace et dans le temps) ; l’auteur met en évidence que les proportions les plus fréquentes sont par ordre décroissant 0, 39, 0 61, 0, 33 et 0, 44 et que le ratio augustéen le plus représenté, 0, 61 correspond bien à la basilique de Fano. Les petites basiliques joueraient un rôle dans la diffusion du culte impérial.

Les immenses basiliques orientales jouent aussi un rôle dans les honneurs rendus au prince : ainsi celle de Hiérapolis (280 m de long, 20 m de hauteur) comportait en son centre un arc de triomphe en forme de propylon qui a certainement porté un quadrige impérial, même si l’attribution au monument d’une dédicace à Antonin le Pieux n’est pas sûre. Aphrodisias est tout aussi impressionnante par ses dimensions (29 x 146 m), par son agencement (une entrée sur chaque petit côté et une salle au Sud avec un lanterneau de 20 m de haut), enfin par son décor figuré (des reliefs portant la légende des fondateurs et une frise de masques et de guirlandes qui rappelle celle du portique de Tibère et qui est comme la marque de cet urbanisme d’Aphrodisias). On regrettera que l’étude des chapiteaux de Smyrne, permettant à L. Cavalier de distinguer 2 phases et 3 ateliers, ne soit pas accompagnée de la présentation architecturale. En revanche, à Magnésie du Méandre, H. Ötaner restitue un monument aux proportions vitruviennes « normales » (78×29 m, rapport 2,5), mais comportant quelques originalités : une abside sur le petit côté à l’Est avec une entrée flanquée d’escaliers pour accéder à l’étage, deux autres entrées sur les longs côtés Nord et Sud flanquées d’une abside et formant un décrochement, une salle Est ouvrant par des arcs sur la nef centrale (comme à Aphrodisias, Éphèse et Xanthos) reposant sur des chapiteaux figurés. L. Chevalier, comme M. Sève, s’interroge sur la pertinence du terme de basilique pour les portiques qu’ils étudient, et qui devaient en avoir la fonction, mais P. Gros lève les doutes des auteurs, quitte à proposer une modification dans le cas de Xanthos, en ajoutant des claustra pour fermer un côté.

Ce dernier, évoquant les origines du plan, insiste sur l’oecus aegyptius et pour le terme même de royal, fait référence à l’atrium regis qui aurait occupé l’emplacement de la future basilica Aemilia sur le forum romain et où l’on recevait les rois dès le IIIe siècle av. J.-C., selon F. Zevi. Ce bâtiment typique des forum romains, à l’Ouest comme à l’Est de l’empire, s’inscrit dans des compositions grandioses et bordant des places où subsistent des activités gymnasiales, fonctions que l’on relie à la polyvalence des espaces (agora-palestre) qui caractérise l’évolution de l’urbanisme romain.

Ces places font l’objet du deuxième colloque et de la deuxième partie du livre. Là encore ce sont les sites d’Asie Mineure qui sont à l’honneur et où les nouveautés sont les plus importantes ; on se prend à rêver qu’ils soient complètement fouillés. Il me semble que J. des Courtils a bien mis en valeur l’absence d’agora stricto sensu sur les sites de la Lycie (et de la Carie en tout cas, à Loryma). Les structures politiques, où dominent des dynastes, bloquent l’apparition d’une place « à la grecque[1]» ; mais celle-ci se développe avec l’époque augustéenne, le modèle de la « Cité » administrativement ‘autonome’ – ce qui ne veut pas dire qu’elle fût libre – étant partout répandu, en même temps qu’un modèle urbanistique de places dotées de portiques, étonnants par leur taille et leurs structure, aux fonctions variées. L. Cavalier présente une série de ces « portiques à étage(s), donnant sur une place et dont le soubassement joue un rôle de soutènement » (Agai, Alinda bien connus, mais plus rares Lyrbée-Séleucie, Selgé, Smyrne et Aspendos où, sur ces deux sites, il faut aller chercher sous les structures romaines les antécédents hellénistiques ; les portiques de Tlos et de Xanthos sont d’époque impériale et les plans à trois nefs sont de type basilical, comme on l’a vu ci-dessus). L’auteure montre bien la diversité des fonctions, les soubassements pouvant servir de stockage pour les besoins locaux ou pour l’annone et des bureaux pouvant être tournés vers la place. La fonction de ces places est bien mise en valeur par M. Mathys qui suit le développement des agoras de Pergame : agora du haut religieuse et ‘civique’, agora du bas marchande, jusqu’au IIe siècle av. J.‑C. Sous Attale II les fonctions et la structure de ces agoras se rapprochent, et on note la présence d’agoranomes sur l’agora du haut[2]; enfin au IIe siècle ces agoras sont utilisées conjointement comme un civic stage : la présence d’une statue d’un consul sur l’une et l’autre place est là pour le montrer. Le gymnase et le sanctuaire d’Athéna n’ont donc pas le monopole de ce rôle. Les fouilles d’Assos, présentées par N. Arslan et K. Eren, enrichissent notre connaissance de l’histoire de la place centrale et montrent ses développements depuis le IVe siècle av. J-C. autour d’un bouleutérion : la composition de l’agora de basse époque hellénistique a donc une longue histoire. L’évolution de l’agora de Thasos révèle des surprises, puisque J.-Y. Marc fait la preuve d’une phase hellénistique du macellum romain ; il serait étonnant que cette « invention » soit réduite à Thasos, mais force est de remarquer que rien de tel n’apparaît ailleurs et notamment dans les agoras d’Asie Mineure. Je ne suivrai pas l’archéologue thasien dans ses suppositions d’un rôle religieux du marché hellénistique qu’il met en relation avec un autel de même date qui se trouve sur l’agora ; cet autel n’est pas tourné vers le bâtiment et rien ne prouve qu’il faille trouver à Thasos, décidément très ‘prototypique’, une illustration de la boucherie comme sacrifice, selon la formule de J.‑P. Vernant[3]. Je ne suis pas non plus entièrement convaincu, en tout cas moins que R. Descat en conclusion du colloque, par l’interprétation de l’agora d’Athènes par P. Marchetti. Je suis prêt à suivre ce dernier sur la localisation du Ptolémaion et je trouve intéressantes les remarques sur le couple Aphrodite-Hermès que l’on retrouve tant à Athènes qu’à Argos, mais je ne souscrirais pas volontiers à cette phrase qui résume sa position (p. 219) : « les Romains à l’époque augustéenne occupent l’espace, ils ne l’altèrent pas ». Dans le petit manuel que j’ai écrit sur Athènes, j’ai suivi P. Gros[4] et je maintiens qu’Auguste et Agrippa ont développé un plan qui consistait au contraire à cacher les bâtiments anciens, signes de la grandeur d’Athènes, en mettant au milieu de la place un Odéon et le temple du dieu de la guerre ; il s’agit d’une révolution et la preuve qu’Auguste n’aimait pas beaucoup les Athéniens. Le princeps convoque à son triomphe les rois grecs en installant sur la place une galerie de portraits comme celles de la Maison des papyri d’Herculanum. Je doute aussi qu’il se soit reconnu particulièrement dans les Ptolémées, souverains d’une Égypte contre laquelle il s’était battu à Actium.

Il sera intéressant de voir de quel côté pencheront nos collègues italiens, qui mènent, sous la direction d’E. Greco, une entreprise impressionnante de révision de tous les problèmes de la topographie athénienne[5].

Roland Étienne

[1] Il en est de même à Amathonte de Chypre, où la place désignée comme « agora » n’a rien à voir avec un centre civique : cf. P. Aupert et al, Guide d’Amathonte, Athènes 1996, p. 71-80.

[2] Il n’en reste pas moins que l’agora du haut conserve des fonctions civiques et que les magistrats de la cité sacrifient sur l’autel de Zeus Polieus lors de l’entrée officielle (apantisis) d’Attale III : cf. L. Robert, BCH 108 (1984), p. 472-489.

[3] Signalons que, contrairement à ce qui est dit, l’agora des Italiens à Délos n’est pas un marché ; Cl. Hasenohr a bien montré que les agoranomes et les instruments de mesure se trouvaient ailleurs Cl. Hasenohr, « Athènes et le commerce délien : lieux d’échange et magistrats des marchés à Délos pendant la seconde domination athénienne (167-88 av. J.‑C.) » dans K. Konuk éd., Stéphanéphoros, De l’économie antique à l’Asie Mineure, Hommages à R. Descat, Bordeaux 2012, p. 95-109.

[4] P. Gros, « Nouveau paysage urbain et cultes dynastiques : remarques sur l’idéologie de la ville augustéenne à partir des centres monumentaux d’Athènes, Thasos, Arles et Nîmes » dans Chr. Goudineau, A. Rebourg, Les villes augustéennes de Gaule, Autun 1991, p. 127-140 dit exactement le contraire : « On a cherché à supplanter par le jeu des volumes et des perspectives, les divinités poliades, au nombre desquelles Athéna, qui était honorée dans le temple du dieu forgeron. Celui qui dès lors impose sa présence massive sur la place publique, c’est le dieu guerrier Arès qui, dans le même temps, s’apprête à régner sur Rome sous les espèces de Mars Ultor, sur le nouveau forum d’Auguste, alors en voie d’achèvement » (p. 131) ; R. Étienne, Athènes espaces urbains et histoire. Des origines à la fin du IIIe siècle ap. J.-C., Paris 2004, p. 173-183.

[5] E. Greco dir., Topografia di Atene, vol. 1 Athènes 2010, vol. 2 Athènes 2011.