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Le gisement grec de Lerna se situe en Argolide. Il a été fouillé de 1952 à 1958 par “The American School of Classical Studies at Athens” sous la direction de J. L. Caskey. Le chantier était axé sur les occupations de l’âge du Bronze mais des niveaux plus anciens, néolithiques, ont été également mis au jour.

Ce volume est le septième volume publié sur les résultats de la fouille de Lerma et le second sur les occupations néolithiques, après celui de K.D. Vitelli en 2007, traitant de la céramique (cf. notre compte rendu dans cette même revue, REA 110, 2008, p. 701-702).

Les termes de Lerna I (Néolithique ancien) et Lerna II (Néolithique moyen et final) définis par J. L. Caskey ont été abandonnés et remplacés par les découpages chronoculturels correspondant au phasage réalisé par K.D. Vitelli, lui même développé à partir des données céramiques de la fouille proche de la grotte Franchti également en Argolide. Ainsi, les deux longues séquences sont corrélées ce qui facilite les comparaisons. C’est cette séquence qui est utilisée dans toute la monographie.

Il faut souligner que cette publication a été réalisée à partir des notes prises au cours de la fouille et qu’aucun des auteurs actuels n’y a participé. C’est toujours un exercice périlleux de retranscrire a posteriori des données sans avoir fouillé sur un gisement, ni même l’avoir vu.

Le chapitre 1 sert d’introduction dans laquelle sont mentionnés les travaux déjà publiés. Il présente également le plan de la publication. L’auteur explicite les limites de l’étude avec, notamment, des enregistrements de terrain hétérogènes et des ramassages des mobiliers par lot mélangeant différentes occupations. Les descriptions et les analyses de l’auteur ont été faites par secteurs et zones de fouille en suivant la chronologie des occupations, des plus anciennes au plus récentes. Il manque dans ce chapitre initial une carte de situation du gisement.

Le chapitre 2, le plus développé, traite des vestiges mis au jour dans les aires JA et JB (dénommées JA-JB), qui correspondent à la zone localisée au sud-ouest du site. Il s’agit de la surface la plus importante fouillée sur le site pour le Néolithique. Globalement carrée, cette zone d’une surface de 190 m2 (14 sur 13,5 m), a livré une stratigraphie dilatée qui est aussi la plus complète dans les zones néolithiques investiguées. Ainsi, elle sert de séquence de référence pour le site sans hiatus depuis la transition Néolithique ancien/Néolithique moyen (LER EN-MN) (entre 6100 et 6000 cal B.C.) jusqu’au Néolithique moyen (LER MN 6) (vers 5600/5500 cal B.C.). Ensuite, après une absence de plus d’un millénaire, l’occupation reprend au Néolithique final vers 4200 cal B.C.

Dans ce chapitre sont passées en revue successivement toutes les phases d’occupation. Pour chacune d’entre elles, sont décrits en détail les structures ainsi que les sédiments contemporains des aménagements. La présence systématique des cotes altimétriques inférieure et supérieure de tous les aménagements anthropiques (creusement, construction) ainsi que des couches est appréciable car elles permettent d’apprécier les puissances et l’étagement des différentes structures au cours du temps. Pour chacune de ces phases, l’auteur indique les anciennes interprétations puis celles qu’il propose à la lumière des données actuelles. Enfin, à la fin de chacun des paragraphes de chaque phase, sont inventoriés tous les vestiges qui en sont issus. L’idée est excellente et évite d’aller rechercher les informations dans les inventaires généraux.

Les occupations du plus ancien Néolithique correspondent à des fosses d’extraction de terre dont l’usage n’est pas attesté dans la fenêtre de fouille mais qui doivent probablement alimenter des zones où se développe un bâti. Ensuite, toujours à la transition Néolithique ancien/Néolithique moyen, les premières architectures en pierres et en terre, dénommées huttes, apparaissent timidement. Elles sont mises en relation avec le développement d’aires d’activité (taille du silex et de l’obsidienne). Une palissade en bois était peut-être présente également.

Au Néolithique moyen, se développent des bâtiments de forme rectangulaire à soubassement en pierre et à paroi en brique ou en pisé, avec une véritable implantation sur le long terme. Au cours des différentes phases architecturales, plusieurs plans de bâtiments constitués de pièces accolées de taille variable (entre 3 et 7 m2) ont été mis en évidence. Elles possédaient des sols en argile et ont souvent livré du matériel de mouture. Des fosses de stockage situées à l’extérieur des murs étaient parfois présentes. Au fil du temps, les constructions ont été érigées soit au même endroit, en continuité, ce qui semble avoir été la pratique principale, soit décalées dans l’espace. Au tout début du Néolithique moyen, plusieurs fours ont été mis au jour. Peu après, un fossé a été creusé. L’auteur n’y voit pas un aspect défensif mais une simple limite pour se protéger des animaux sauvages. Cette période voit également apparaître sur le site les premières sépultures en pleine terre.

Après une importante absence d’occupation dans ce secteur du site, le Néolithique final voit le retour d’occupations d’un tout autre type, matérialisées par des structures circulaires construites en terre présentant un comblement cendreux interprétées comme des fours en lien avec le pastoralisme. Deux sépultures ont été également mises au jour.

Ce chapitre dense est bien illustré avec, pour chaque phase, un ou plusieurs plans cotés des aménagements mis au jour ainsi que des photographies annotées (mais sans échelle).

Le chapitre 3 traite des autres zones de fouille, mais il s’agit en fait de sondages réalisés sur des surfaces restreintes (quelques mètres carrés) et de tranchées étroites réalisées dans le cadre de la recherche de vestiges de l’âge du Bronze dans la partie septentrionale du site. Le plan suivi pour ces compléments est identique à celui du chapitre 2. évidemment moins documentées que la zone JA-JB, ces fenêtre de fouille ont livré des séquences plus courtes, mais avec les mêmes phases. La transition Néolithique ancien/Néolithique moyen est peu représentée mais livre les mêmes fosses d’extraction de terre. Comme pour JA-JB, la période du Néolithique moyen est la mieux représentée avec la présence de bâtiments en pierre et en terre qui se succèdent sur un même lieu.

Partout sur le site, les niveaux supérieurs ont été détruits par l’édification des constructions de l’âge du Bronze. Ces sondages et tranchées peu étendus, même s’ils ne peuvent pas donner lieu à des interprétations car trop exigus, sont tout de même intéressants car ils indiquent la permanence, sur une grande surface, des mêmes témoins aux trois grands périodes chronologiques identifiées.

Le chapitre 4 qui traite des occupations néolithiques non phasées et le chapitre 5 qui s’attache aux dépôts anciennement mélangés sont très courts et ne mentionnent que les inventaires des objets qui en sont issus.

Le chapitre 6 fait le point sur les sépultures (une dizaine) mises au jour dans les niveaux du Néolithique moyen et du Néolithique final. L’auteur souligne le fait que les jeunes sont majoritaires au sein des inhumés. Les tombes sont au cœur de l’habitat mais toujours à l’extérieur des maisons. Il s’agit surtout d’inhumations primaires de sujets uniques hormis deux cas pour lesquels les tombes contiennent deux individus. Les architectures associées sont le plus souvent absentes, mais il faut noter qu’une couronne de pierres a été installée pour une sépulture. Les dépôts sont rares au Néolithique moyen et plus abondants au Néolithique final.

Le chapitre 7 traite des objets “mineurs” qui rassemble les artefacts en cuivre (contextes contaminés), en pierre (mais pas le lithique taillé publié antérieurement), les objets en matière dure animale et les terres cuites (notamment les figurines). Pour chacune de ces catégories d’objet, une brève typologie est indiquée, suivie des inventaires et des descriptions des pièces. Il est dommage que ce chapitre soit un peu fourre-tout et qu’aucune analyse poussée n’ait été réalisée sur ces objets qui ne sont pas toujours “mineurs” !

L’étude se conclut au chapitre 8 sur une discussion sur la gestion des troupeaux, l’économie de production, les échanges et la place du site au sein des autres établissements d’Argolide. Une carte situant les gisements cités aurait été la bienvenue.

La dernière partie du volume correspond aux annexes avec les listings des structures, les listes de lots de mobiliers, un bref texte sur la faune, les inventaires et le catalogue des objets mis au jour, la liste des illustrations réalisées dans le cadre de l’étude du lithique taillé, la bibliographie et les dessins des objets “mineurs” classés par phase chronologique (53 planches).

Cette publication sortie presque 60 ans après la fin des fouilles montre bien la ténacité des membres de l'”American School of Classical Studies” car reprendre des données d’une fouille réalisée dans un contexte au cours duquel l’archéologie moderne était balbutiante n’a pas dû être une mince affaire. Néanmoins, ce volume démontre qu’avec l’aide d’informations acquises plus récemment, et notamment grâce à l’étude réalisée par K.D. Vitelli sur la céramique néolithique contemporaine de la grotte voisine de Franchti qui a servi de modèle pour le phasage de Lerna, et une analyse critique des données issues des carnets de fouille, il était possible de mener au bout un travail initié plus de 60 ans avant. Bien sûr, cette étude présente quelques lacunes comme, par exemple, une série de datation 14C pour chaque phase qui aurait permis de mieux situer chronologiquement les différents états de construction pour le Néolithique moyen, ou une meilleure prise en compte des activités réalisées à chaque phase d’après les mobiliers recueillis. Ceci n’enlève rien à la qualité du travail et à la caractérisation des différentes occupations et nous conseillons aux archéologues qui s’intéressent aux premières communautés agropastorales européennes de lire cette monographie, en bien des points, exemplaire.

Fabien Convertini