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Le patrimoine visuel de la civilisation gréco-romaine est omniprésent dans de nombreuses régions de la « vieille Europe », et la référence à ce passé collectif fait partie, depuis le moyen-âge, de toutes les tentatives de restauration tout comme de réforme identitaire de notre continent ; depuis la renaissance des Carolingiens, Ottoniens et Hohenstaufen et de la « redécouverte » de l’Antiquité durant le Renaissance italienne et le classicisme du 18e siècle jusqu’aux néoclassicismes des 19e et 20e siècles. À chaque fois, les grands changements de paradigme ont été accompagnés par une nouvelle interprétation de l’Antiquité classique et la conviction d’avoir, cette fois-ci enfin, percé la « véritable » essence de cette civilisation afin d’en transférer les acquis au monde « moderne ».

Or, la situation dans les territoires « coloniaux » de l’occident – notamment les Amériques et le monde australasien – a rendu plus compliquée cette véritable obsession, car l’absence de continuité matérielle directe, la présence de populations indigènes avec leur propre culture et la mixité multiculturelle grandissante avec des groupes ethniques venant encore d’autres horizons culturels (Asie, Afrique) ne permettent que très abstraitement de réclamer les Grecs ou les Romains comme les « ancêtres » directs des citoyens du Nouveau Monde. Dès lors, l’intérêt pour l’Antiquité Classique devient le miroir d’une quête identitaire compliquée et aux brisures multiples, souvent douloureuses, comme le montre le débat actuel sur l’implication des sciences de l’Antiquité dans la justification « civilisationnelle » du colonialisme.

Et c’est précisément là aussi le point de départ du livre présent, qui est consacré à la réception de l’Antiquité Classique en Australie et en Nouvelle-Zélande. Comme c’est le cas avec tous les ouvrages collectifs, le sujet complexe ne peut être présenté et analysé de manière exhaustive ; nous sommes donc en présence d’un ensemble d’articles qui se veut représentatif sans pour autant épuiser le sujet. Dès lors, après une très courte introduction de la part de l’éditrice, Marguerite Johnson, qui consiste essentiellement en un résumé des contributions (1-12), nous trouvons seize articles répartis en six sections. La première est intitulée « The Colonial Past – Classical Influences in White Australia ». Marguerite Johnson (Black Out: Classicizing Indigeneity in Australia and New Zealand) y traite de la tendance des premiers explorateurs et conquérants de présenter les indigènes par le prisme implicite et explicite de leur formation classique. Prenant le point de vue des premiers Européens arrivés en Australie, Rachael White (Australia as Underworld: Convict Classics in the Nineteenth Century) analyse la réception de l’Antiquité dans les réflexions et témoignages des nombreux prisonniers envoyés en Australie au 19e siècle.

La deuxième partie, intitulée « Theatre – Then and Now », débute avec un article de la plume de Laura Ginters (Agamemnon comes to the Antipodes: The Origins of Student Drama at the University of Sydney) qui présente la tradition selon laquelle la première pièce mise en scène par la société dramatique universitaire de Sydney aurait été l’Agamemnon. Ensuite, John Davidson (Salamis and Gallipoli: The Campaigns of Phillip Mann) relate la carrière du professeur et metteur en scène Phillip Mann ainsi que les liens qu’il établit entre l’expérience traumatisante de la campagne de Gallipoli et la mise en scène des grands classiques grecs. De manière similaire, Michael Ewans et Marguerite Johnson (Wesley Enoch’s Black Medea) se concentrent sur Wesley Enoch, traducteur et directeur de tragédies grecques, et son contexte intellectuel et social. Jane Montgomery Griffiths (What Women Critics Know that Men Don’t), elle-même metteuse en scène, actrice et antiquisante, présente ses propres tentatives de présenter au public des adaptations volontairement provocatrices de littérature grecque ancienne.

La troisième partie, « Poetry and Classical Echoes in New Zealand » est tout particulièrement dédiée à la poésie néo-zélandaise : Geoffrey Miles (James K. Baxter and the Gorgon Moon) se consacre à l’interprétation des poèmes de Baxter par le prisme de son intérêt pour le monde classique, alors que Anna Jackson (Clodia Through the Looking Glass) présente ses propres tentatives d’adapter la poésie classique, notamment Catulle, à un contexte contemporain.

La quatrième partie, « Fictionalizing Antipodean Antiquities », est consacrée au domaine du roman. Nicolas Liney (Parilia Poscor – David Malouf Remembers the Parilia [Fasti 4.721]) discute de la réception des « Parilia » dans l’œuvre de David Malouf ; Elizabeth Hale (Imaginative Displacement: Classical Reception in the Young Adult Fiction of Margaret Mahy) se consacre à Margaret Mahy et sa manière de se référer à la tradition classique pour gérer le traumatisme australasien de la déportation ; Babette Pütz (Classical Influences in Bernard Beckett’s Genesis, August, and Lullaby) reprend le dossier de Bernard Beckett et de sa trilogie dystopique « Genesis » et de la place qu’y tient la méthode socratique ; et finalement, Anne Rogerson (Displaced Persons and Displaced Narratives in S. D. Gentill’s Hero Trilogy) attire l’attention sur Gentill et de sa réception de l’Odyssée et de l’Énéide.

La cinquième partie, « Australasia, Greece and Rome – Paper and Canvas » est centrée sur la peinture. Sarah Midford (Painting Anzacs in an Epic Landscape: Greek Myth, the Trojan War and Sidney Nolan’s Gallipoli Series) place au centre de sa contribution les tendances classicisantes des premiers explorateurs quand il s’agissait de reproduire visuellement le nouveau monde australasien, et Melinda Johnston et Thomas Köntges (Of Heroes and Humans: Marian Maguire’s Colonization of Herakles’ Mythical World) se consacrent à l’artiste contemporain Marian Maguire et sa tentative de représenter les indigènes opprimés par les colonisateurs selon le prisme du mythe héracléen.

La sixième et dernière partie, « Antiquity on the Australasian Screen », met au centre l’évolution du cinéma. Ika Willis (Temporal Turbulence: Reception Studies[‘] Now) se consacre à la série « Xena : Warrior Princess » (filmée en Nouvelle-Zélande) et ses nombreux anachronismes volontaires ; Hannah Parry (Classical Epic in Peter Jackson’s Middle-Earth Trilogies) étudie la mise en scène « colonialiste » de la Nouvelle-Zélande comme territoire « virginal » ; et Leanne Glass (Shifting Paradigms in Ben Ferris’ Penelope) analyse la réception de l’Odyssée d’Homère (ainsi que l’Ulysse de James Joyce) dans le film « Penelope » de Ben Ferris.

Le volume, hautement intéressant pour quiconque voudrait avoir un aperçu intense des nombreuses facettes complexes de la réception de l’Antiquité en Australasie, essentiellement d’un point de vue « colonialisme vs. post-colonialisme », ne contient malheureusement pas de conclusion et se termine sur les notes, bibliographies et registres d’usage.

 

David Engels,Instytut Zachodni,  Poznań- Université Libre de Bruxelles

Publié en ligne le 15 juillet 2021