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Ce volume produit d’un colloque sur le jardin antique et l’Antiquité dans le jardin s’est tenu à Vérone dans le célèbre « Giardino Giusti »[1] qui est lui-même un cas d’étude pour une partie des contributeurs du volume. Si l’étude des jardins antiques dans le monde romain débuta avec celle de Pierre Grimal en 1943[2], il s’agit dans le cas présent d’évoquer la résurgence du goût de l’antique à l’époque de Renaissance italienne et tout particulièrement dans l’espace même du jardin.

Les trois premières contributions restituent le cadre du jardin romain, son esprit, ses vocations et ses artisans. Marc Mayer I Olivé, interroge le concept d’hortus et de villa dans « Cicerón en el jardín ». En fait, d’après les écrits de Cicéron, le jardin apparaît comme le lieu de l’otium associé aux notions d’utilitas/voluptas/delectatio, une vision partagée par tous les Romains aisés pourvus à Rome même de demeures avec jardins, ou encore de villas dans la campagne voisine. Le jardin offre un cadre privilégié pour s’y retirer, s’y reposer, et c’est sans doute dans le cadre d’une de ses villas que Cicéron retrouvait loin des querelles politiques romaines, l’apaisement procuré par ce locus amoenus habité du souvenir de sa fille qu’il y avait fait enterrer.

Lluís Pons Pujol, dans « Enfoques metodológicos en el estudio de lors jardines romanos », propose d’étudier les jardins par le biais de l’épigraphie, de la loi et de la philosophie en s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles les Romains, tout comme nous, aujourd’hui, avaient des jardins. Le jardin apporte en effet, le bien-être de chacun, appelant à la détente de l’esprit en procurant calme, apaisement, et répondant à l’imagination de tous, car « le jardin n’est pas un lieu mais l’idée d’un lieu ». En outre, le jardin est précieux pour l’historien car les codes avec lesquels les hommes et les femmes de chaque époque communiquent entre eux se retrouvent dans la pratique des jardins. L’étude des jardins demeure problématique, car peu de jardins de cette époque ont pu être soit reconstitués, soit retrouvés ou même fouillés ; quant aux peintures murales, on ne peut de façon tangible se fier à la réalité du jardin qu’elles restituent. À Rome, les maisons aristocratiques avaient des jardins structurés comme des constructions vitruviennes aussi le jardin est-il un art qui imite un autre art et non pas la nature elle-même. La particularité romaine repose certainement sur l’association du jardin à la mémoire des défunts comme l’a également souligné Marc Mayer I Olivé. À Rome, les tombes habitaient des jardins entourés de murs, dotés d’équipements d’irrigation (puits, citernes), complantés d’arbres fruitiers, et un triclinium y était dédié au repas en l’honneur du défunt. Le jardin trouve ici l’une de ses vocations majeures comme lieu d’expression de la mémoire familiale, bénéficiant à ce titre d’exemption fiscale jusqu’à ce que l’empereur Trajan réalisant comment les grands propriétaires fonciers esquivaient le fisc au prétexte de l’usage mortuaire s, décida d’imposer tous les jardins sans exception.

Ces jardins romains antiques étaient entretenus par des spécialistes qu’évoque Giulia Baratta, dans « Horti romani : I topiarii ». Le topiaire est par exemple le styliste qui préside à l’organisation du jardin et dont l’existence est connue grâce aux sources épigraphiques, celles des pierres tombales notamment. Les jardiniers spécialisés, des esclaves affectés aux grandes propriétés impériales, étaient souvent d’origine grecque et dotés d’un certain savoir-faire technique qu’eux seuls possédaient. Ce n’est qu’au deuxième siècle que la profession d’hortolani apparaît dans les inscriptions, évoquant clairement l’entretien du jardin.

La seconde partie des contributions s’attarde sur l’Antiquité dans le jardin, par exemple, sur la présence de vestiges romains à Vérone et dans toute l’Italie du nord. On peut observer comment l’intérêt pour l’antiquité permit le développement de jardins lapidaires ornés de vestiges authentiques mais aussi de productions artistiques imitant l’art antique.

Le jardin Giusti fait l’objet d’une enquête détaillée sur la constitution des mobiliers qui l’ornent encore et dont beaucoup sont d’origine ou d’inspiration antique. Arianna Candeago, dans « Vicende Veronese della collezione Molin », décrit ces mobiliers qui avaient appartenu au patrice vénitien Girolamo Ascanio Molin (1738-1814). Ce dernier se serait marié à Vérone et les aurait ainsi rapportés de Venise à cette occasion. Alfredo Buonopane, dans « ‘Donec in musei speciem crecerent…’, Il giardino Giusti e les sue iscripzioni », décrit précisément ce magnifique jardin lapidaire possédant 46 inscriptions latines dont 22 collectées et exposées par Agostino Giusti, le fondateur du jardin (m. 1615) sur le modèle des jardins aristocratiques romains de cette époque, et qui nous sont parvenues grâce à l’action pérenne de conservation de la famille Giusti. D’ailleurs, d’autres types de vestiges ornent le jardin dont un chapiteau ici décrit par Luigi Sperti, dans « Il capitello figurato della collezione giusti del giardino a Verona ». Ce chapiteau monumental datant du premier siècle aurait appartenu à une basilique du forum romain. Gravé du nom d’une femme de la gens Apicia, il est à la fois décoré de cornupia aux quatre coins et des divinités Tellus et Cérès et aurait fait partie des décors de l’Église Saint Cécile à Vérone à un moment de son histoire. Myriam Pilutti Namer, poursuit l’étude du jardin Giusti avec l’histoire de deux de ses statues : « Due togati in veste de Frates Arvales ? Marco Aurelio Mattei e Lucio Vero a Palazzo Giusti (Verona) ». Ces statues antiques -dont l’une issue de la collection Mattei, arrivent à Vérone à l’occasion du mariage de Paola Molin (m. 1851), fille de Girolamo Ascanio Molin de Venise avec Carlo Giusti (m. 1853). Elles traduisent la diffusion d’un goût des élites pour l’art impérial romain qui naquit à la Renaissance. Ici, les deux empereurs sont représentés comme les frères Arvales dotés d’un voile et d’une couronne ; ce collège d’où ils auraient dû être théoriquement issus célébrait les rites agraires. Le jardin Giusti possède aussi un buste et une tête analysés par Luca Siracusano, « Un busto per Alessandro Vittoria, une testa per Girolamo Campagna (E altre due sculture moderne in Palazzo Giusti a Verona) ». Girolamao Campagna dans les années 1570 sculpta en effet des bustes d’empereurs romains, signes du goût de l’Antique à l’époque de la Renaissance vénitienne.

Avec Giulo Bodon, dans « Per la fortuna del Giardino di antichità nella prima rinascenza veneta : il caso padovano », nous quittons Vérone pour Padoue où un phénomène similaire se produisit dans le jardin de la famille Maggi Da Bassano où les trouvailles archéologiques furent exposées à des fins de conservation et de mémoire. En effet, à la Renaissance, le jardin devient le lieu d’exposition privilégié pour les antiquités romaines découvertes lors de fouilles ou achetées et cette pratique se répandit dans toute l’Italie, à Rome, Florence ou encore à Venise ici choisie par Eleonora Zorzi, dans « La persistenza dell’antico a Venezia : i dodici Cesari nel giardino di Palazzo Soranzo-Cappello ». Les bustes des douze césars ornant le jardin de ce palais auraient été achevés en 1638 sous la direction du grand sculpteur Clemente Molli (m. 1664). En effet, la Vie des douze césars de Suétone était une œuvre appréciée à Venise du XVIe au XVIIIe siècle, et les familles nobles, faute de vestiges d’époque en nombre suffisant, commandaient des bustes de ces empereurs pour décorer leur palais dans le souci d’affirmer une légitimité politique inscrite dans un imaginaire du pouvoir symbolisé par l’Empire romain.

En dehors des jardins, d’autres institutions comme le musée Maffeiano fondé à Vérone au XVIIIe siècle, disposent également des collections lapidaires. Ce musée est le premier musée épigraphique au monde ; il possède une collection unique de 258 pièces identifiées pour leur provenance selon les critères élaborés par Mommsen lui-même. On peut d’ailleurs en lire le détail dans la contribution de Lorenzo Calvelli, « Le izcrizioni non veronesi del museo Maffeiano. Alcune considerazioni di metodo ».

À l’instar du Giardino Giusto, Fabrizio Paolucci, évoque le cas de la Villa Corsi Salviati au nord-est de Florence dans « Archeologia in Giardino ? A proposito di alcune antichità conservate a Villa Salviati (Sesto fiorentino) ». Elle fut acquise par Simone di Jacopo Corsi en 1502 et des sarcophages du IVe siècle y furent découverts, constituant l’exemple le plus ancien de témoignages impériaux à Florence. Ce cas démontre entre autres, que dans l’antiquité tardive on érigeait encore des monuments funéraires près des lieux de résidence et des grands axes de circulation et non à l’écart des lieux habités.

Nous quittons la Renaissance pour le XIXe siècle qui connut un renouveau de l’art du jardin, avec Antonio Sartori, « Ercole Silva, Uno sinodo giardinesco ». Ercole Silva, auteur Dell’Arte del Giardini (1801-13), voulut en effet réconcilier la tradition italienne et celle du jardin anglais alors à la mode dans toute l’Europe.

Enfin, l’ouvrage se clôt par la contribution de Massimo de Vico Fallani, Carlo Pavolini, Marta Pileri, Elizabeth Jane Shepherd portant sur « La sistemazioni a verde di Michele Busiri Vici per Ostia Antica : un caso di studio », le beau projet de l’architecte Michele Busiri dans les années 1940 dont la réalisation fut malheureusement empêchée par la seconde guerre mondiale et qui proposait la valorisation des ruines d’Ostie par un environnement de jardins.

Ce tour d’horizon des jardins italiens rappelle que le jardin n’est pas seulement botanique, ou peuplé de flore et de faune mais qu’il possède une dimension lapidaire qui nous a été léguée par l’Antiquité romaine, à la fois par la présence des tombes et de leurs stèles, mais aussi de vestiges qui y sont exposés, ou encore de témoignages artistiques sculptés rappelant la grandeur de Rome et son souvenir que les élites italiennes voulaient conserver pérenne.

Anna Caiozzo, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5607, Institut Ausonius

Publié en ligne le 17 décembre 2021.

[1] https://giardinogiusti.com/

 [2]P. Grimal, Les jardins romains à la fin de la République et aux deux premiers siècles de l’Empire : essai sur le naturalisme romain, Paris 1943 [1969 ; 1984].